Attirer plus de 200 personnes sur la colline du Pharo à Marseille un soir de décembre venteux et glacial porte un nom : ça s’appelle casser la baraque. Et ce n’était pas pour voir un spectacle ou faire un gueuleton, non. Ces jeunes, ces vieux, ces citoyens sont venus pour s’informer sur le don d’organes, cet acte de générosité absolu qui malheureusement a du plomb dans l’aile. En France une famille sur trois refuse ce don, à Marseille c’est plus de 50% !
Magique Justine, greffée du coeur à 1 an
Comment briser cette spirale de mort ? Durant près de deux heures, des médecins, des soignants, des personnes ayant reçu un coeur ou un foie ont témoigné. Formidable Justine Boulanger, 13 ans, collégienne au Pradet dans le Var, greffée du coeur à l’âge d’un an. Radieuse, enthousiaste, sportive, son sourire fait chavirer la salle bondée mise à disposition dans le cadre du prestigieux congrès international de la Société Francophone de Transplantation. La jeunesse fait mouche.
Auprès d’elle, la Dr Florentine Garaix, qui coordonne les transplantations pédiatriques à la Timone, rappelle que la soif de vie de ces enfants greffés est remarquable. Et ceci malgré les traitements antirejet, des immunosuppresseurs qu’il faut prendre tous les jours et toute la vie. Ils occasionnent des effets secondaires.
L’appel de la docteur Marine Jeantet
Directrice de l’Agence de la Biomédecine (ABM) qui régule l’activité des greffes en France (+ de 5 000 par an), la Dr Marine Jeantet était le grand témoin de cette conférence. Elle a déploré elle aussi le fort taux d’opposition au don pédiatrique (45%) qui condamne à la mort 10 à 20 enfants chaque année. 600 minots sont actuellement en attente d’un organe dans notre pays, 250 sont transplantés annuellement.
Elle invite les parents à la réflexion suivante : donner les organes alors qu’il n’y a plus rien à faire permet à d’autres parents de ne pas vivre la même douleur. Elle a souhaité rappeler qu' »on prélève bien les patients en état de mort encéphalique et pas des vivants !« . Elle a insisté sur l’importance des discussions familiales pour faire connaître son avis. C’est le moyen le plus sûr : prenez position, dites ce que vous souhaiteriez en cas d’accident.
L’incroyable destin de Laurent, greffé du foie
Autre incroyable parcours présenté hier soir que celui de Laurent Demola, Aubagnais de 58 ans. Atteint à 17 ans d’une hépatite C qui a évolué en cancer, il a été greffé d’un foie par l’équipe du Pr Jean Hardwigsen à la Timone en 2016. Il bénit son donneur et la famille de celui-ci qui a accepté le prélèvement de l’organe vital. Mais alors, Laurent ne se doutait pas que six mois plus tard lui-même serait confronté à ce choix cruel : doit-on accepter le don d’organes si un de ses proches se retrouve en état de mort cérébrale ?
Il a eu à prendre cette décision avec sa soeur lorsque le fils de celle-ci a trouvé la mort à l’âge de 22 ans dans un accident, à Gap. Cyrille était le filleul de Laurent. Et ses proches ont accepté le don. « Quand un tel drame arrive, on est dans le déni de la mort. On est en état de sidération. Heureusement, le Noël précédent, Cyrille m’avait dit qu’il était admiratif que j’ai été greffé. Et que si un malheur lui arrivait, il voudrait donner ses organes. On n’a donc pas hésité. Il est très important de se positionner dans chaque famille. Vivre avec l’organe d’un autre, c’est de l’amour. »
Marion nous a tous fait pleurer
Silence dans la salle. L’émotion est intense. Franchement, on a tous pleuré. Comme lorsque Marion Jacquin, infirmière justement spécialisée dans le prélèvement d’organes, raconte le choix accompli l’été dernier par sa famille de faire don des organes de son papa âgé de 70 ans. « Il est tombé dans l’escalier, sa colonne vertébrale était brisée. Il ne pouvait plus respirer par lui-même, il ne pouvait plus vivre, on a réalisé qu’il fallait arrêter les thérapeutiques. Un jour, on avait parlé du don d’organes, et il nous avait dit que si quelque chose pouvait sauver quelqu’un, on devrait le faire. On connaissait son avis. »
La foi catholique de cette famille l’a confortée dans cette décision altruiste. « Ce sont les valeurs de générosité et d’attention à l’autre dans lesquelles nous avons toujours baignés. C’était donc évident. » Pourtant, certaines religions seraient opposées au don d’organes au nom du respect absolu de l’intégrité du corps.
L’islam encourage le don d’organes
L’islam est régulièrement pointé du doigt pour s’y opposer. « C’est faux« , répond avec beaucoup de douceur Amaria Abbas. Cette soignante, aumônière musulmane bénévole dans les hôpitaux parisiens, note « des confusions entre le cultuel et le culturel. En aucun cas l’islam ne s’oppose au don. Il est dit dans le Coran : « Qui sauve une vie, sauve l’humanité. » Et d’entonner le refrain du « Mendiant de l’amour » d’Enrico Macias, « Donnez, donnez moi, Dieu vous le rendra » ! « Donner un organe, c’est considéré en islam comme une aumône pérenne, qui court jusqu’à la résurrection du donneur. » Se tournant vers la Dr Marine Jeantet, Mme Abbas l’interpelle : « Vous devriez aller promouvoir le don d’organes dans les mosquées pendant le Ramadan. Les imams vous accueilleraient bien volontiers. »
Lydia a sauvé plusieurs vies
Le conseil est retenu. Mme Jeantet précise que la sensibilisation au don d’organes est déjà proposée dans la formation des imams en France. La Dr Sandrine Wiramus, qui a rejoint l’ABM à Marseille, rapporte l’histoire d’une jeune fille musulmane, Lydia, dont la maman a décidé le don d’organes après son accident fatal. Malgré l’opposition farouche de ses quatre oncles au nom de l’islam, précisément.
De son vivant, l’adolescente s’était prononcée en faveur du don. Pour elle et sa maman, il n’y avait pas de raisons religieuses de s’y opposer. « Elle a sauvé plusieurs vies en donnant le coeur, le foie, le pancréas et deux reins, et elle a rendu la vue à deux personnes avec le prélèvement des cornées« , témoigne la Dr Wiramus.
« Chaque donneur est un héros »
Le docteur Marco Caruselli, médecin de la Coordination des dons d’organes et de tissus à l’APHM, rappelle qu’en effet, un prélèvement peut sauver « 5 à 6 personnes. Les gens ne le savent pas« . Il insiste sur le niveau de sécurité optimal de toute la procédure, aussi bien pour valider l’état de mort cérébral qui est incontestable, que pour assurer la compatibilité maximale entre l’organe donné et le receveur.
« Pour nous soignants, chaque donneur est un héros car il sauve des vies. » Et il ajoute à destination des détracteurs du don d’organes : « Nous respectons évidemment pleinement le corps lors du prélèvement. »
Dr Delaporte : comment j’ai prélevé sur des dizaines de patients décédés
Prélever des organes sur des hommes et des femmes en état de mort cérébrale à Marseille, Avignon ou Gap, parfois des enfants aussi malheureusement, la Dr Véronique Delaporte, chirurgienne urologue à l’hôpital de la Conception, a accompli ce geste des dizaines de fois. « C’est une intervention chirurgicale qui se déroule au bloc opératoire. Nous procédons exactement dans les mêmes conditions que lors des opérations sur nos patients. Une fois les organes prélevés, nous refermons en suturant puis nous posons des pansements. Comme pour n’importe quel malade. La famille du défunt retrouvera un corps absolument présentable, sans aucune trace visible. »
Ce respect absolu des donneurs, Nadine Pluchino et Frédéric Iride le confirment. Ces cadres de santé sont en charge des chambres mortuaires de l’APHM. Ils accueillent les familles qui viennent récupérer le corps de leur défunt après le prélèvement, qui a été habillé selon leurs voeux. Ils leur prodiguent attention et réconfort.
Les lycéennes ont conquis le public
Mais on peut le dire, avant cela, ce sont cinq lycéennes qui ont emporté l’adhésion de l’assistance et ont donné le tempo à cette conférence. Elèves de Saint-Charles Camas (Marseille 5e), elles ont réalisé sous la conduite de leur professeur de SVT Marianne Roux, un sondage sur le don d’organes auprès de 171 ados de leur établissement. Il en ressort que la plupart d’entre eux ont entendu parler du sujet mais 48% refuseraient de donner leurs organes en cas d’accident mortel.
Puis, le 17 octobre, ces élèves ont assisté à une conférence organisée par MProvence et l’APHM au sein de leur lycée. « A la fin de la conférence, on a répondu à un autre sondage et beaucoup ont changé d’opinion car ils ont mieux compris l’importance du don« , souligne Chahinez Boughara, en terminale et qui se destine à des études médicales. Avec elle, Kamylia Ait Kaci, Apolline Dulac, Kindzy Issa Moindze et Jeanne Merk ont démontré l’envie d’engagement de la jeunesse pour une cause qu’elles jugent indispensable.
Dès 13 ans, on peut dire si on est pour ou contre
Rappelant que c’est dès l’âge de 13 ans que l’on peut faire connaître son accord ou son désaccord, la directrice de l’Agence de la Biomédecine est restée un peu scotchée par cet engagement inhabituel chez des adolescents.
Ces filles, qui prenaient pour la première fois la parole devant une foule d’adultes dont des professeurs de médecine venus de toute la France, sont impressionnantes de maîtrise. Le public a adoré. Le professeur Philippe Brunet, chef du service d’uro-néphrologie de l’APHM, était littéralement conquis et est allé leur dire. Plusieurs d’entre elles ont ainsi conforté leur espoir d’intégrer des études de santé.
Greffes d’organes de singe ou de cochon : ça ne marche pas !
Il restait à un tandem de choc à présenter les hypothèses de remplacement des organes humains. La Dr Clara Dassetto, spécialisée en transplantation hépatique, et le Dr Raphaël Godefroy, son homologue sur le rein, ont débuté par un exposé sur les xénogreffes. Qu’il s’agisse de greffons issus de singes il y a quelques décennies ou de porcs génétiquement modifiés plus récemment, ça n’a jamais marché au-delà de quelques jours. Le corps humain ne peut les tolérer.
Idem avec les organes artificiels, même s’il existe un coeur mis au point par la société française Carmat. « Il a fonctionné 2 à 3 mois maximum. » Conclusion : la seule solution est la greffe d’organes humain. Et selon les experts, cela devrait durer encore des dizaines d’années !
La promesse du Pr Antoine Thierry
Après les mots d’introduction du professeur d’urologie lyonnais Lionel Badet, président de la Société Francophone de Transplantation, il revenait à celui qui le remplacera demain soir au terme du congrès de Marseille, le néphrologue poitevin Antoine Thierry, de conclure la séquence par un énorme bravo adressé aux Marseillais. Il a promis que désormais ce congrès international accueillerait chaque année une conférence ouverte au public afin de populariser le don d’organes.
Qui ne donne pas n’est pas… Marseillais !
Et maintenant à Marseille ? Présidente de la commission de transplantation de l’APHM, la pugnace professeur de néphrologie Valérie Moal a souligné que la mobilisation va s’amplifier. D’abord le samedi 14 décembre avec le match choc entre l’Olympique de Marseille et Lille qui sera dédié à la cause du don d’organes auprès des 65 000 spectateurs. A cette occasion, dix adolescents greffés porteront les drapeaux d’avant-match et un message parodiant le célèbre chant des supporters « Qui ne saute pas… » s’affichera sur les écrans de l’Orange-Vélodrome : « Qui ne DONNE pas n’est pas MARSEILLAIS ». Yeah !
A partir de janvier, les médecins, les infirmiers, des greffés et l’auteur de ces lignes entameront une tournée des lycées pour sensibiliser la jeunesse de cette région qui porte l’avenir de la solidarité nationale. Premières séquences : le 9 janvier au lycée Antonin-Artaud, le 4 février au Cours Bastide, le 31 mars à Honoré-Daumier. Suivront les lycées Thiers, Périer, Marseilleveyre, Notre-Dame de France…
Si vous êtes donneur d’organes, un seul message : dites le à vos proches.
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