Ne rêvez pas de vivre avec un coeur ou un rein… de cochon !

La greffe à partir d'organes de porcs va-t-elle sauver des milliers d'humains chaque année ? Rien qu'en France, 22.000 personnes sont en attente de greffe et chaque jour 3 décèdent faute d'un foie, d'un coeur ou de poumons disponibles. C'est un leurre dangereux que de miser sur cette solution à court et moyen terme, affirment les spécialistes marseillais de la transplantation. La seule issue, c'est le don d'organes entre humains et c'est cela qu'il faut promouvoir. MProvence et l'APHM ont décidé de faire de 2025 l'année du don.

Santé

L’an dernier, en France, quelque 800 personnes – adultes et enfants – sont décédées faute d’organes disponibles pour remplacer leur coeur, leur foie ou leurs poumons défaillants. Des milliers d’autres ne vivent que grâce à des machines. C’est notamment le cas des dialysés dont les reins ne fonctionnent plus.

L’espoir viendra-t-il des porcs, comme le laisse entendre un récent article du site Futura, lui-même basé sur un reportage dans une ferme américaine de l’Agence France Presse ?

200 porcs élevés spécialement aux USA

A Blacksburg, en Virginie, 200 porcs génétiquement modifiés sont élevés dans des conditions totalement aseptisées au sein de la ferme-laboratoire de l’entreprise Revivicor. La recherche sur la xénogreffe avance très vite aux Etats-Unis et une 3e greffe de rein a été réalisée le 25 novembre 2024 sur une patiente de 53 ans, grâce à l’organe d’un cochon élevé à Blacksburg.

L’unique rein de Towana Looney ne fonctionnait plus depuis 2017. Cette habitante de l’Alabama vivait depuis sous dialyse, mais son état général se dégradait fortement. Un hôpital new-yorkais a été autorisé à pratiquer cette greffe de rein, à la suite de laquelle la patiente reste pour le moment hospitalisée tout en déclarant, voilà deux semaines, aller bien.

Les deux transplantations précédentes à partir de reins de porcs s’étaient terminées par le décès des patients quelques semaines plus tard.

Objectif 2029

Preuve que la recherche progresse, le rein reçu par cette Américaine comporte dix modifications génétiques, contre une seule précédemment. Elles sont destinées à améliorer la compatibilité biologique entre l’animal et l’humain afin d’éviter que l’organe ne soit rejeté par le corps du receveur.

Le marché des xénogreffes serait immense pour Revivicor, société côtée en bourse. 90.000 patients sont en attente de greffe de rein aux Etats-Unis. L’objectif de l’entreprise est de commencer cette année une étude clinique sur des patients avec des greffes de reins issus de ces porcs, avant une commercialisation à grande échelle à partir de 2029 si l’agence américaine du médicament (FDA) donne son accord.

1 million de dollars : le prix du rein de porc

Le prix de vente d’un rein ainsi conçu tournerait alors autour du million de dollars, soit environ le coût de dix ans de dialyse aux Etats-Unis, rapporte Futura. Revivicor anticipe déjà l’autorisation de la FDA et prévoit la construction de plusieurs fermes-usines dix fois plus grandes que celle de Blacksburg, coûtant un a deux milliards l’unité.

A ceux pour qui il n’y a pas de petits bénéfices, précisons tout de même que le reste de l’animal élevé pour ses organes est détruit, car il est jugé impropre à la consommation. Quant aux défenseurs du bien-être animal ou aux opposants à cette méthode qui entend faire des animaux les fournisseurs de « pièces de rechange » pour les humains, le PDG de Revivicor leur répond qu’utiliser un porc « pour ses organes à des fins de xénogreffe, c’est bien plus noble » que de finir en morceaux de viande.

« Ne comptez pas sur les xénogreffes pour empêcher les gens de mourir »

De grands espoirs reposent également sur des greffes de coeur. En 2022, faute d’autre solution, une équipe de l’université du Maryland avait greffé un coeur de porc sur un patient. Il était décédé deux mois après son opération.

Dr Clara DASSETTO, médecin spécialiste en transplantation hépatique
Dr Clara Dassetto, médecin spécialiste en transplantation hépatique à la Timone (Photo K.B.)

En France, l’élevage d’animaux génétiquement modifiés n’est pas l’option choisie. Et pour une raison simple : les médecins ne croient pas du tout, dans un avenir proche ou à moyen terme, à une compatibilité animal-homme. C’est ce qu’a bien réaffirmé en décembre dernier à Marseille la Dr Clara Dassetto, experte de la greffe de foie à l’hôpital de la Timone, lors d’une conférence dédiée au don d’organes dans le cadre du congrès de la Société Francophone de Transplantation.

« Les organes artificiels en sont au point de la recherche« , expliquait le Dr Geoffroy Brioude cet automne, à l’occasion de la campagne de sensibilisation au don d’organes lancée par notre média avec l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (APHM). Selon ce spécialiste de la greffe de poumon à l’Hôpital Nord de Marseille « les xénogreffes ne seront pas d’actualité sans doute avant plusieurs dizaines d’années. On ne peut pas compter sur ça pour soigner les gens et les empêcher de mourir. »

Pr Valérie Moal : « Seul le don d’organes humains sauve des vies »

Présidente du comité de transplantation de l’APHM, la médecin spécialiste du rein Valérie Moal (hôpital de La Conception), ne dit pas autre chose : « Peut-être que dans 20 ou 30 ans on pourra remplacer les organes déficients par des organes artificiels. Mais là, actuellement, compter sur des organes créés à partir de cellules souches, compter sur des greffes à partir d’organes d’animaux, c’est illusoire pour sauver les 22.000 patients en attente de greffe en France. Donc il n’y a que le don d’organes qui permettra de sauver ces gens-là. »

La Pr Valérie Moal, néphrologue à La Conception, lors d’une conférence sur le don d’organes le 4 décembre 2024 à Marseille (Photo K.B.).

En France, environ 5.000 greffes d’organes sont réalisées chaque année. Mais la liste des receveurs ne cesse de s’allonger. On est donc très loin du compte. En cause, notamment, le taux d’opposition au prélèvement d’organes qui atteint 36% à l’échelle nationale, et même 52% à Marseille. Il ne cesse de monter.

« On ne sait pas, alors on ne donne pas »

De plus en plus souvent, les familles des personnes décédées accidentellement refusent que les médecins prélèvent des organes sur leurs proches. Elles invoquent de pseudo raisons religieuses – or toutes les religions sont officiellement favorables au don d’organes – ou la méconnaissance de la volonté du défunt de donner ses organes. « On ne sait pas ce qu’il/elle aurait voulu, on n’en a jamais parlé. Dans le doute, non, on préfère ne pas donner pas ses organes. »

Faut-il rappeler ce qu’il advient alors de ces organes à partir du moment où est débranchée la machine maintenant le corps en vie, alors que le cerveau est irrémédiablement détruit ? « Ils se décomposent en quelques jours, comme le reste des chairs, rappelle un chirurgien de la Timone. Cela vaut-il mieux que les employer à sauver des vies et leur permettre de fonctionner encore pendant des dizaines d’années ? Sans compter que le don d’organes peut aider les familles à faire leur deuil en se disant qu’une partie de l’être aimé continue à vivre ainsi, et qu’il a sauvé des vies. »

L’unique solution : dire à ses proches si on est donneur

Il n’y a donc qu’une solution pour augmenter le nombre de greffes : c’est d’en parler en famille afin d’informer ses proches de sa volonté de permettre le prélèvement en cas de mort accidentelle. Histoire que n’incombe pas aux parents, aux enfants ou au conjoint, une décision cornélienne.

Soulignons qu’un don des principaux organes – coeur, foie, poumons et reins – permet de sauver entre 5 et 7 vies. On peut également choisir de ne donner que certains organes.

La Dr Véronique Delaporte et son équipe réalisent une greffe de rein à l’hôpital de La Conception (Photo Ph. S).

67 millions de Français « candidats » à la greffe

On doit en outre rappeler que sur 67 millions de Français, nous sommes potentiellement… 67 millions à être receveurs ! En effet, une hépatite fulminante, une cirrhose provoquée par l’alcool ou l’obésité, une défaillance cardiaque gravissime ou une dysfonction majeure des reins peuvent toutes nous conduire à la nécessité d’une greffe de foie, de coeur ou de rein. C’est vrai également de maladies et malformations infantiles.

C’est pour tenter de contrer cette fatalité de la baisse des dons d’organes qu’en 2025 l’APHM et MProvence vont poursuivre et amplifier la campagne de sensibilisation au don initiée l’automne dernier. Nous avons ciblé les lycéens. Dix conférences-débats de 2 heures associant un médecin, une infirmière et un(e) patient(e) greffé(e), auront lieu à partir de cette semaine.

Elèves de Saint-Charles Camas (Marseille 5e),
Des lycéens, à l’image de ceux de Saint-Charles Camas, ont déjà été sensibilisés au don d’organes. Ici Chaïnez, élève en terminale, présente les résultats de leur sondage lors d’une conférence publique le 4 décembre à Marseille (Photo K.B.).

Le véritable enjeu n’est pas dans une ferme futuriste

Ces rencontres sont préparées en concertation généralement avec les enseignants de SVT. En amont, un groupe d’élèves réalise un sondage interne à l’établissement scolaire : que connaissent les lycéens de la greffe, sont-ils favorables au don d’organes ? La première conférence de cette année aura lieu ce jeudi 9 janvier au lycée Antonin-Arthaud de Marseille (13e arrondissement), avant le Cours Bastide (6e arr.) le 4 février puis le lycée Honoré-Daumier (8e arr.) en mars.

Si les chirurgiens emploient déjà dans certains centres des tissus de porc pour réaliser des greffes (partielles) de cornées, des valves cardiaques ou de peau sur des grands brûlés, ne croyez pas aux coeurs ou aux foies de porcs modifiés au bénéfice des hommes ! C’est, pour l’instant, de la science-fiction. L’emballement médiatique que suscite cette perspective peut masquer le véritable enjeu : accroître le don d’organes humains.

En 2025 et pour très longtemps encore, ils sont les seuls à pouvoir sauver des vies à grande échelle.

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