Don d’organes : les étudiants en communication visent leurs 80 000 camarades

Inscrits en master à l'Ecole de Journalisme et de Communication d'Aix Marseille Université, 15 étudiants ont planché sur la meilleure façon de sensibiliser les 80 000 étudiants d'AMU au don d'organes. Marseille est la ville où le taux d'opposition des familles est le plus élevé. En 2024 ce sont 865 Français qui sont décédés faute de greffons disponibles. L'enjeu sociétal est donc considérable.

Santé

Comment parler du don d’organes à des jeunes de 20 ans qui croquent la vie à pleines dents et n’ont pas forcément envie d’envisager une mort accidentelle pouvant les conduire à donner leur coeur ? C’est le « challenge », ou le défi si l’on préfère, auquel se sont confrontés une quinzaine d’étudiants en master 1 Communication d’intérêt général (COMINT) que dirige la Pr Brigitte Juanals, à l’Ecole de Journalisme et Communication d’Aix Marseille. Objectif : imaginer des actions de sensibilisation à destination des 80 000 étudiants (et des 8 500 personnels) de la plus grande université de France, Aix Marseille Université (AMU). Un travail que j’ai personnellement encadré dans le cadre de mon enseignement dans cette école.

Ce cours très pratique donc, en lien avec la campagne d’information initiée en octobre 2024 par l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (APHM) et MProvence, a permis aux cinq groupes de réflexion constitués de proposer une quinzaine d’idées. Sur un plan pédagogique, il s’agissait d’élaborer un scénario de campagne visant à faire prendre conscience des enjeux du don d’organes. En préambule, un nécessaire travail d’information s’est avéré indispensable. Car le don d’organes est un sujet peu évoqué, méconnu sinon tabou, dans notre société.

Les étudiants de master 1 COMINT de l’Ecole de Journalisme et Communication d’Aix Marseille ayant participé à la réflexion (Photo DR)

On est tous donneurs sauf si…

Les étudiants ont d’abord décortiqué un sujet qui ne leur était pas familier. Il convient ainsi en préambule de rappeler qu’en France, depuis la loi Caillavet de 1976, toute personne est présumée donneuse d’organes sauf si elle a manifesté par écrit son opposition sur le Registre national des refus. Ce que personne n’accomplit, ou si peu : 300 000 refus enregistrés pour 67 millions d’habitants. Il y aurait donc plus de 66 millions de citoyens avec le coeur sur la main. Voilà pour la théorie généreuse et un tantinet idéaliste.

Car, de l’aveu des soignants, ce n’est pas du tout si simple. Dans les faits, il convient de convaincre la famille des personnes souvent décédées accidentellement. Si les proches s’opposent au prélèvement, et même si de son vivant la victime avait exprimé son accord, fut-ce par écrit, les médecins n’interviennent pas. Le corps est alors rendu à la famille, une fois débranchées les machines qui permettaient aux organes de rester perfusés.

La plus mauvaise question

Pour bien saisir la complexité du sujet, ils ont rencontré la docteur Véronique Delaporte, urologue et chirurgienne à l’hôpital de la Conception, responsable chirurgicale de la transplantation rénale à Marseille (147 greffes de rein ont été effectuées en 2024 dans cet établissement de l’APHM). Elle a souligné que la question adressée aux familles pour savoir si elles accepteraient le prélèvement du coeur, du foie, des reins et des poumons, voire des cornées, d’os ou de tissus, est « la plus mauvaise question posée au plus mauvais moment. Les gens viennent d’apprendre le décès brutal de leur mari ou de leur enfant et en plus on leur demande s’ils acceptent qu’on prélève des organes pour sauver des vies. »

La Dr Véronique Delaporte et son équipe réalisent une greffe de rein à l’hôpital de La Conception.

Dr Delaporte : « Mes enfants ont donné leur accord »

L’an dernier en France, 865 personnes – dont 20 enfants – sont décédées faute de greffons disponibles et des milliers d’autres vivent grâce à des machines ou survivent dans l’espoir d’un don.

Beaucoup de familles s’opposent au prélèvement (54% de refus à Marseille l’an dernier, contre 36% à l’échelle de la France) par colère, pour des raisons religieuses ou en invoquant leur méconnaissance de la volonté du défunt. Précisons que toutes les religions se déclarent officiellement favorables au don d’organes, au nom de la primauté de la vie sur la mort. Et dans les enquêtes d’opinion, 8 Français sur 10 se disent d’ailleurs favorables au don d’organes. Alors pourquoi un taux aussi faible de prélèvements ?

Pour contourner cet obstacle majeur, la Dr Delaporte a expliqué aux étudiants qu’il faut parler du don d’organes et se positionner sur le sujet  « quand tout va bien ! Je l’ai fait dans ma famille, avec mes enfants qui avaient alors entre 12 et 24 ans, lors d’une discussion un jour en fin de repas. Ce n’était pas du tout sinistre, car le don c’est la vie. Et puis il faut penser qu’un jour, en cas de maladie, on peut tous avoir besoin d’un organe pour vivre. Donc c’est à double sens. Chacun a pu dire si oui ou non il serait favorable. Tous ont dit oui au don. Quand il y a une discussion familiale, tout le monde est informé. S’il survient un drame, personne ne peut s’opposer ou dire « on ne sait pas ce qu’il/elle aurait voulu. »

Véronique Delaporte

A noter que 8 étudiants de ce groupe ont manifesté leur souhait d’assister à une greffe d’organe, si la possibilité se présente.

Fresque, match de hockey, live Twitch

Moralité : il faut en parler. D’ailleurs le slogan de la campagne d’information déployée à Marseille actuellement dans les lycées s’intitule « Je donne, Tu donnes, Il donne – Donneurs d’organes, dîtes-le à vos proches« . C’est sur cette base que sont partis les étudiants en master pour bâtir leurs propositions ciblant les étudiants.

Loane Baltus, Loula Ranc et Ilhasse Tchanile ont imaginé la création d’une « fresque de la solidarité » sur le mur d’un campus aixois, réalisée lors d’un atelier pédagogique conduit par des étudiants en art avec des enfants des centres aérés. Dans leurs cartons, également, un match de hockey de l’équipe phocéenne des Spartiates dédié aux soignants et un live Twitch avec une influenceuse le 22 juin, à l’occasion de la Journée nationale du don d’organes.

Hockey Spartiates de Marseille ©Spartiates

Jeu de piste sur le campus

Yachmine Nombre, Ines Ben Amor, Israël Nse Oyono et Jordan Picon ont pensé à un concours invitant les étudiants à « donner » leurs organes sous une forme artistique puis d’exposer leurs oeuvres et de les soumettre à un vote. Autre idée, réaliser durant une semaine un jeu de piste via des affiches dispersées sur le campus d’Aix et comportant un QR Code à flasher, renvoyant vers des questions sur le don. Un stand d’information compléterait le dispositif avec un temps d’échange chaque fin d’après-midi.

Contrôle-surprise !

Safaa Djoher Belghazali, Anja Pierrelee et Patience Vyizigiro ont baptisé leur opération « Contrôle surprise ! Etes-vous donneur ? » Elle serait sous-tendue par la diffusion d’emailing et un affichage en fond d’écran dans toutes les salles de cours. Il y aurait également le témoignage d’une étudiante sur le sujet, la création d’une application « Marseille DD » (pour Donneur D’organes) et un concours créatif sur le thème de la « seconde chance ». Comme le fait de recevoir un organe constitue une seconde chance de vivre.

Cartes de donneurs… de collection

Yanis Bengler, Nina Choux et Mathilde Bonal envisagent le déploiement dans les amphis de cartes de donneurs « de collection », astucieusement imagées et sur lesquelles seraient reprises des informations essentielles sur le don. Ils se verraient également bien tenir un stand d’information avec d’autres étudiants sur le festival Marsatac, et développer une collaboration avec une appli proposant des réductions aux moins de 26 ans.

Le porte-clé qu’on ne quitte jamais

Amine Mejd, Noé Tasse et Liana Zediri voudraient diffuser lors de la rentrée universitaire un porte-clé rouge en simili-cuir promouvant le don à travers le dessin d’un organe en vert, et un slogan : « Mon choix, leur avenir. #JeDonne ». « Le porte-clé est l’un des objets le plus présent avec nous, personne ne sort sans ses clés« , expliquent-ils.

Affiches ou kakémonos reprenant ces codes couleur présenteraient des chiffres et informations impactant sur le don dans les halls de 7 campus à Marseille, La Ciotat, Aubagne et Aix-en-Provence. Une vidéo avec le slogan « Vous avez le pouvoir de changer des vies » et un appel aux contributions compléteraient le dispositif sur les réseaux sociaux de l’université.

Ces suggestions seront présentées lors d’une prochaine réunion du comité de pilotage de la campagne conduite par l’APHM et MProvence. Après avoir ouvert le chantier de la sensibilisation du grand public, des lycéens et de leurs familles, les médecins, infirmiers et communicants composant ce comité ont déjà déclaré vouloir l’étendre vers les étudiants. Voici une bonne base de travail !

Conférence de sensibilisation au don d’organes pour 150 lycéens du Cours Bastide à Marseille, le 4 février 2025

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