Est-il légitime de se sentir déprimé ou triste, peut-être en colère, après deux années de pandémie et dans le contexte de la guerre en Ukraine ?
Docteur Jonathan Drai : Cette question de la légitimité ne se pose pas. Dans le cas d’une guerre ou d’une pandémie ou même quand il n’y a pas du tout d’événement particulier, chacun a le droit de se sentir angoissé ou triste. Et poser la question de la légitimité, c’est comme s’il y avait un stéréotype sous-jacent selon lequel certaines angoisses seraient légitimes. Certains individus auraient de bonnes raisons et d’autres n’auraient pas vraiment le droit d’être angoissés.
Après, il y a la question de l’accumulation. Ces deux dernières années ont été assez lourdes sur le plan sanitaire, on a demandé de faire des efforts y compris sur le plan psychique. Quand on demande à des gens de se confiner, on leur demande de se mettre dans une configuration totalement inédite. Un couple va rester ensemble H24 pendant deux mois et une famille les uns sur les autres sans aucun espace où chacun peut décompresser, et cela déjà peut épuiser des gens avec un fonctionnement tout à fait normal; ça peut aussi épuiser des réserves chez des personnes déjà fragiles, et enfin chez des personnes très précaires, enlever tout un réseau social autour d’elles du fait des confinements. Cela va induire des décompensations, des dérégulations d’une pathologie chronique qui va avoir tendance à s’aggraver.
Sur la question de la guerre, ça renvoie à des stéréotypes culturels en tant qu’Occidentaux qui sont très anciens, très profonds. On a tous été éduqués à l’école avec des photos de guerre, on a tous des stéréotypes très forts, très archaïques, et bien sûr que c’est légitime (de se sentir triste ou déprimé).
Les patients angoissés par les discours complotistes, un phénomène nouveau
Quelles sont les manifestations les plus courantes de ces angoisses ?
Globalement, on retrouve souvent des troubles du sommeil ou des ruminations, c’est-à-dire une pensée circulaire qui tourne toujours autour du même sujet mais qui ne vient pas apporter de réponses. On peut avoir une humeur qui va s’affaisser, une humeur triste avec un moment de déprime ou sous une forme de dépression. Un des signes plutôt précoce, en tout cas c’est ainsi que l’on reçoit les gens à l’Hôpital Européen ou en cabinet, ce sont des gens qui à la levée des confinements n’ont pas pu reprendre un fonctionnement social satisfaisant ou du même niveau qu’auparavant. Un autre point assez nouveau, ce sont des gens qui viennent, très angoissés par le discours complotiste qui joue sur ces angoisses. A chaque consultation, ils viennent avec des nouvelles craintes, une nouvelle prophétie qui est imminente et catastrophique. Cela vient nourrir de manière très, très profuse beaucoup de monde.
Chacun est assailli d’informations effrayantes qu’il ne maîtrise pas, à la télé ou sur son smartphone. Que provoque sur nos esprits cette peur sans cesse réactivée face au virus, face aux Russes, face au réchauffement climatique… ?
Il faut déjà se poser la question : c’est quoi les informations en 2022 ? Le problème des informations en continu, des fils d’actualité, c’est que ça ne se termine jamais. Et ça, c’est assez nouveau dans le traitement de l’information. Il y a 20 ou 30 ans, ce n’était pas le cas. Avant, il y avait l’information et son traitement. On pouvait recevoir une information choquante, mais il y avait un délai, un traitement, une synthèse, du sens donné à l’information, et ensuite on pouvait l’intégrer, la digérer et ensuite la mettre en perspective pour baisser justement cette couche d’angoisse autour de l’information.
« 1 heure d’infos par jour, c’est peut-être suffisant »
Mais là maintenant ça n’arrête jamais. C’est comme un fil Instagram, même Google Actualités, c’est tout le temps renouvelé, avec des live. On le voit bien avec la guerre en Ukraine, chaque média fait des live en direct avec ce qui se passe, avec des informations pas toujours vérifiées mais qui sont toujours très, très angoissantes. Et donc l’idée serait de pouvoir allouer un temps. C’est ce que je disais à mes patients durant les confinements. Vous avez le droit de vous informer mais peut-être qu’une heure par jour, c’est suffisant. Et c’est peut-être mieux de le faire à midi qu’à 11 heures du soir juste avant de dormir. Et de toute façon, l’information, on a l’impression qu’elle ne s’arrête jamais. Mais des faits signifiants, il n’y en a pas toutes les heures ! Je conseille de maîtriser, pas de se couper, mais de décider quand on veut s’exposer et de ne pas être à la merci H24 d’une notification qui pourrait venir, comme ça, signifier la fin de tout.
A quels signes, ou à partir de quels comportements, conseillez-vous de voir un psychothérapeute ou un psychiatre ?
De manière très simple. On vient voir un psychiatre comme on va voir n’importe quel médecin. On va voir le généraliste, le cardio ou le pneumo parce qu’on a mal quelque part. On vient voir le psychiatre parce qu’on a mal. La souffrance psychique, c’est pas parce qu’elle ne se voit pas à la radio ou à l’échographie ou sur le bilan sanguin, qu’elle n’existe pas. Et si on arrive à remettre la question de venir chez un psychiatre sur des questions évidentes, alors c’est légitime de venir chez un psychiatre. C’est pas la révision des 100.000 ! On ne vient pas pour savoir si on a tort ou si on a raison. On ne vient pas parce qu’on est forcément défaillant. On vient parce que ça fait mal à un moment donné. Le psychiatre doit pouvoir soulager, comme n’importe quel médecin.
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