A Marseille, on casse encore des murs à coups de livres !

Les livres font de la résistance ! C'est incroyable à l'heure où les écrans ont submergé notre quotidien : une association continue depuis 30 ans avec succès à promouvoir le goût des mots dans des quartiers et des cités vulnérables de Marseille grâce à une équipe offensive et un équipement génial : l'Ideas Box. Avec l'ACELEM, le livre demeure un outil d'insertion fantastique.

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A deux pas de la cité Bellevue Félix-Pyat, dans ce quartier de Marseille (3e) présenté comme l’un des plus pauvres d’Europe, je suis tombé à la renverse. Quoi ? Il y avait donc encore en cet automne 2023 des gens qui croyaient sincèrement aux vertus de la lecture ? Et qui se donnaient un mal de chien pour les faire partager à un public généralement éloigné des bibliothèques et autres lieux du savoir ?

Etaient-ce de doux rêveurs ? D’utopiques résistants à l’air du temps où les écrans avalent tout, où les influenceurs colonisent les esprits et scotchent au canapé des gosses de plus en plus gros, de moins en moins actifs ? Dans cette époque désenchantée, lire était censé être un truc de vieux ou bien une purge imposée à des élèves par des enseignants qui savent bien que leurs élèves vont piquer les problématiques des dissertations sur ChatGPT.

Comme une ascension de l’Everest

Eh bien non ! A Marseille le livre a littéralement doit de cité. Depuis 30 ans, l’Association culturelle d’espaces lecture et d’écriture en Méditerranée (ACELEM) bouscule les idées reçues et casse les barrières derrière lesquelles on voudrait enfermer les moins favorisés. Emmenée par son directeur historique, Ousmane Diémé, l’équipe a décidé de fêter son anniversaire haut et fort jusqu’au 8 novembre sur le thème « A Marseille, la lecture fait tomber les murs ! »

Cette ascension de l’Everest a débuté en 1993, à la Savine, avec un premier Espace Lecture qui a ouvert ses portes aux habitants de la cité très excentrée du 15e arrondissement.

« Ce nouvel équipement avait pour objectif de favoriser la lecture et l’écriture auprès des personnes éloignées du livre et qui ne fréquentaient pas les bibliothèques de la Ville, rappelle Abdelhafid Kherbouche, président de l’ACELEM. Très vite, le projet a été validé par les habitants qui se sont appropriés le lieu. »

 

28 heures d’évasion par semaine

Ce fut le point de départ d’une chaîne d’Espaces Lecture dans différents quartiers de la Politique de la Ville : la Solidarité (15e), la Viste (15e), Val Plan (13e), Saint-Mauront dans le 3e (où est basé le siège de l’association), Air-Bel, la Valbarelle (11e) et la Cayolle (9e). S’appuyant sur deux animateurs, ils offrent, du mardi au samedi, 28 heures d’ouverture hebdomadaire pour permettre aux habitants d’accéder gratuitement à différentes activités culturelles, numériques et artistiques.

« On a introduit le numérique car les gamins ne veulent pas réécrire les textes. Avec l’ordinateur, c’est une approche différente, qui valorise leurs productions, souligne Chrystine Bernard, la coordinatrice des Espaces Lecture depuis 1999. Là, l’objectif est que les enfants acquièrent des compétences autour des écrans. »

« Aucun gamin ne résiste à une histoire »

Mais les livres demeurent le socle de la démarche. « Aucun gamin ne résiste à une histoire, poursuit Mme Bernard. Un livre, c’est personnel. On l’utilise comme on veut, pas besoin de batterie. Et surtout, ici, on apprend à lire pour soi, pas dans un but scolaire. Lire, c’est une mécanique qui fait fonctionner le cerveau, la mémoire et la vision. Si on n’a pas une pratique de lecture suffisante, on ne peut pas comprendre le monde. Si on ne parle pas à ses enfants, qu’on ne leur raconte pas d’histoires, ils n’ont pas le sens du récit. Or ce sens contribue à l’apprentissage. »

La Box de Starck, une idée de génie !

Il y a vingt ans, après une décennie de pratique dans des locaux au pied des tours, il a fallu répondre à une demande croissante. Mais comment trouver des locaux ?  C’est alors qu’a surgi la solution des « Ideas Box ». Merci les Nations-Unies, Bibliothèques sans Frontières et… Philippe Starck ! Le designer avait  imaginé, d’abord pour les zones d’urgence et de post-conflit comme en Haïti, une grosse boîte culturelle dépliable en 20 minutes, n’importe où à l’extérieur.

Comme une poupée gigogne, la Box contient des boîtes plus petites avec des tapis, des tables et des chaises, 250 livres, des tablettes numériques, enregistreurs sonores, casques, enceintes, et même un module de projection cinéma pour des documentaires, des fictions et des courts-métrages ! Un véritable couteau suisse culturel qui permet de déployer une médiathèque de 100 mètres carrés en 20 minutes.

Tous les quartiers de Marseille en profitent

Ces équipements ont pris place dans les quartiers prioritaires et les territoires ruraux en Europe, en Australie et aux Etats-Unis. Deux Ideas Box financées par la municipalité et gérées par l’ACELEM tournent sur plusieurs quartiers de Marseille (Les Marronniers, Maison Blanche, Sainte-Marthe et les Rosiers dans le 14e, Benza dans le 10e, la Cabucelle, Bassens, La Bricarde et Notre-Dame Limite dans le 15e, Malpassé, les Olives et La Rose dans le 13e, la Halle Puget dans le 1er…) près de terrains de sport, dans les jardins publics, en pied d’immeubles… Ce travail de proximité est conduit en étroite collaboration avec les acteurs locaux, à l’image des centres sociaux, les Maisons pour Tous, les associations de quartier ou l’Education nationale.

Financée à 100% par des subventions publiques, dont l’Etat, l’association a voulu marquer le coup pour ses 30 ans qui, loin d’être un point final, sont un point d’étape et même l’opportunité de rebondir. Car la bataille pour la lecture, l’écriture, l’accès à la culture et le développement de l’esprit critique apparaît plus que jamais décisive.

Une expo à l’Alcazar, un colloque le 7 novembre

Des Espaces Lecture ont été rénovés à Air Bel et la Solidarité et sont inaugurés à cette occasion. Une Ideas Box est déployée place François-Mireur près de la bibliothèque de l’Alcazar, cours Belsunce, jusqu’au 28 octobre. L’Alcazar propose d’ailleurs une exposition artistique sur 30 ans d’action de l’ACELEM. Mardi 7 novembre, de 9h à 13h, ce lieu accueillera des rencontres professionnelles avec des élus, le préfet délégué à l’Egalité des chances, des éducateurs, des experts de la lecture et des chercheurs de l’université.

Il y a donc encore une vie autour du livre après les réseaux sociaux et les jeux en ligne ! Et ça, c’est une sacrément bonne nouvelle, parce qu’avec l’ACELEM, nous en sommes convaincus : le livre rend libre, le livre rend créatif, le livre fait grandir, le livre crée de l’échange, aiguise la curiosité. Le livre sème du bonheur jusque dans des endroits où on n’imagine plus qu’il y a un champ des possibles.

Pour en savoir plus : ACELEM, 12 avenue Edouard-Vaillant, 13003 Marseille. 04 91 64 44 84, www.acelem.org, acelem@wanadoo.fr

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