A Marseille, une révolution pour surveiller le foetus

Radiologue spécialisé en imagerie de la femme enceinte et de l'enfant au Centre IMAGE et à la Clinique Bouchard (Elsan) de Marseille, le docteur Guillaume Gorincour pilote une plateforme de recherche en IRM foetale quasi unique en France. Elle vise à prédire plus finement si des bébés vont naître trop petits ou s'ils auront des retards de croissance dans l'enfance. Il détaille les formidables progrès de l'imagerie pour surveiller le bébé à naître et même les soigner in utéro, et il rassure les parents : les anomalies graves sont assez rares, et les moins graves se traitent plutôt bien.

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Chaque bébé à naître fait l’objet de plusieurs échographies classiques, que cherche précisément à contrôler le médecin ?

Docteur Guillaume Gorincour : Pour une grossesse « d’évolution normale » on a 3 échographies qui sont recommandées et qui sont remboursées par la sécurité sociale qui sont l’échographie du premier trimestre, du 2e et du 3e trimestre : donc en gros à 12 semaines d’aménorrhée, 22 semaines d’aménorrhée et 32 semaines d’aménorrhée. Elles ont des objectifs différents. La première échographie va avoir pour but essentiellement de dater la grossesse précisément, de vérifier s’il y a un ou plusieurs bébés, qu’il n’y a pas de grosse malformation précoce visible assez tôt et ensuite de faire le dépistage de la trisomie 21 par la mesure de la clarté nucale et la prise de sang qu’on appelle les marqueurs sériques de dépistage. La 2e échographie sera l’échographie dite « morphologique », c’est la grosse écho, l’échographie qui va permettre d’essayer de dépister le plus de malformations possible. Et enfin la 3e échographie est dite souvent l’échographie de croissance, qui va avoir pour objectif de vérifier que la croissance du bébé est normale, qu’on n’a pas un bébé un peu trop petit ou un petit peu trop gros.

Les 3 échographies vont également amener à vérifier que le placenta n’est pas positionné trop près du col de l’utérus, voire éventuellement recouvrant sur le col de l’utérus, ce qui peut éventuellement contre-indiquer un accouchement par voie basse. Donc c’est peut-être même d’un point de vue médical, avec le fait de savoir s’il y a un ou 2 bébés, l’élément le plus important de la surveillance échographique de la grossesse.

La majorité des mères et des foetus en bonne santé

Quel est le pourcentage de cas où sont suspectées des anomalies, et comment se passe dans ce cas la suite des examens ?

Très heureusement, comme souvent, la majorité des gens sont en bonne santé. Ce qui est le cas aussi des fœtus. Le risque de malformation des organes est estimé entre 3 et 5% des grossesses. Donc c’est assez faible. C’est une institution de dépistage à faible risque pour nous en tant qu’échographistes. Dans certaines situations, l’échographiste de dépistage va découvrir des images qu’il va estimer inhabituelles. On a un cahier des charges assez précis qui a été fait par la commission nationale des échographies obstétricales et fœtales, qui établit les différentes recommandations sur tout ce qu’on doit essayer de voir aux différentes échographies. L’idée étant que toutes les dames enceintes sur le territoire, où qu’elles soient, puissent avoir le même niveau minimum d’échographie de dépistage.

Si l’échographiste de dépistage trouve une image inhabituelle, il va l’adresser à un échographiste qu’on va appeler diagnosticien, un peu plus expérimenté, qui va devoir dire si cette image inhabituelle est une image inhabituelle variante de la normale ou anormale. Si c’est une variante de la normale on rentre dans le circuit de dépistage et la patiente reste à bas risque.

Des malformations prises en charge dès la naissance

Si l’image est confirmée comme étant vraiment anormale avec une malformation, on va rentrer dans un circuit d’échographies de référence qui va passer par les centres de diagnostic prénatal. Ils vont devoir vérifier d’abord si cette malformation est isolée ou associée à d’autres; si cette malformation est éventuellement grave et mettant en jeu le pronostic ou de l’organe, voire vital du bébé. Si éventuellement cette anomalie justifie la réalisation de prélèvements de liquide amniotique pour vérifier qu’il n’y a pas d’anomalie chromosomique associée.

Ensuite, selon l’évolution, si c’est une malformation isolée sans anomalie chromosomique et qui se prend en charge de manière cohérente à la naissance, on va orienter le couple vers le spécialiste par exemple. Pour une dilatation d’un rein, on va l’envoyer vers l’urologue pédiatre. Pour une dilatation intestinale vers un chirurgien viscéral pédiatre. Pour une un kyste de l’ovaire vers un endocrinologue pédiatre, etc. Si par contre l’anomalie est jugée d’une particulière gravité, éventuellement incurable et/ou associée à l’anomalie chromosomique, on va devoir aborder la discussion avec le couple d’une interruption de grossesse pour motif thérapeutique. Et ça, c’est vraiment limité aux situations où on a une malformation ou un syndrome chromosomique d’une gravité particulière avec une incurabilité.

Anomalies cardiaques bénignes

Quelles sont justement les pathologies les plus fréquentes que vous découvrez sur les fœtus grâce à l’imagerie médicale ?

Les plus fréquentes heureusement sont assez banales, notamment les problèmes des reins. Les dilatations des reins par exemple pendant la grossesse sont des choses qui sont vues très, très fréquemment. On va les suivre pendant la grossesse, on va leur faire rencontrer l’urologue et on va les suivre après la naissance. La majorité vont régresser après la naissance. Une petite minorité va être ce qu’on appelle des uropathies, des anomalies de développement du système d’excrétion du rein et là ça va se prendre en charge en surveillance ou parfois en chirurgie. Ce sont vraiment les plus fréquentes et qui sont heureusement les plus bénignes. Moins fréquentes mais qui arrivent quand même en 2e ou en 3e, ce sont les anomalies cardiaques.

Certaines d’entre elles sont assez bénignes. Ce sont par exemple des petites communications entre les ventricules. Celles-là, on va les faire rencontrer les cardiologues pédiatres qui vont aussi les suivre après la naissance. La plupart vont se fermer spontanément après la naissance. Certaines cardiopathies vues pendant la grossesse vont être un peu plus compliquées. Elles vont devoir faire envisager une chirurgie après la naissance.

Parfois, c’est dramatique…

Une certaine proportion d’entre elles, heureusement minoritaires comme par exemple ce qu’on appelle les cardiopathies uni-ventriculaires, comme s’il y avait un seul ventricule, sont pour la plupart au-delà des ressources thérapeutiques. On va leur faire rencontrer les chirurgiens cardiaques pédiatriques, les cardiologues, les généticiens, les réanimateurs et on va pouvoir rentrer dans la discussion de l’interruption de grossesse pour raison thérapeutique, qui est toujours quelque chose de dramatique pour les couples parce que c’est une vraie épreuve, un vrai deuil à faire, pour lequel il y a beaucoup d’accompagnement qui est fait bien sûr.

Parfois, heureusement c’est la minorité, l’issue peut être effectivement mauvaise avec une interruption médicale de grossesse. On a des options possibles qui sont ce qu’on appelle l’accompagnement palliatif néonatal programmé. C’est-à-dire finalement, notamment pour des cardiopathies graves mais qui sont diagnostiquées tardivement pendant la grossesse, on peut discuter avec les couples qui ne souhaitent pas une interruption médicale de grossesse le fait d’aller au bout de la grossesse, de faire naître ce bébé, que les parents et le bébé puissent se rencontrer et puis qu’on fasse après la naissance un accompagnement palliatif. Ce sont des choses qui ont commencé à se faire beaucoup au Canada et en Suisse il y a quelques années, qu’on commence également à faire dans certains centres en France.

Cela permet ne serait-ce que d’avoir en tout cas deux options. Parce qu’on dit souvent qu’un des principes de l’éthique dans la médecine, c’est d’avoir deux options équivalentes en termes de choix. Avoir une option entre ne pas garder une grossesse et garder une grossesse avec un enfant et une malformation gravissime, ce n’est pas vraiment un choix. Ce sont deux options qui sont bien sûr pas du tout équivalentes. Offrir cette 3e option qui est cet accompagnement palliatif programmé, parfois finalement ça donne un peu de lumière dans un horizon qui est très triste.

L’échographie décisive du 2e trimestre

Existe-t-il des profils de mère à risque ?

C’est dur d’être très généraliste. L’organisation des échographies aujourd’hui va faire qu’au premier trimestre de la grossesse, on va dépister les grossesses pour lesquelles on a un risque augmenté de trisomie 21 au travers de la mesure de la clarté nucale, de l’âge de la maman et de la prise de sang. Si les patientes sont dépistées avec un risque élevé, on va leur proposer d’emblée éventuellement l’amniocentèse pour vérifier. Là on peut avoir un diagnostic avec un risque identifié très précocement. On peut avoir aussi des mères à risque parce qu’il y a des antécédents dans la famille, des antécédents de maladies génétiques, de maladies métaboliques, de trisomie 21, etc. Celles-là, elles seront déjà surveillées de manière particulière.

Par exemple, les mamans qui ont déjà eu un premier bébé avec une cardiopathie congénitale vont être suivies d’un petit peu plus près. Mais finalement, dans beaucoup de situations, la situation à risque va être le signe d’appels échographiques à l’échographie du 2e trimestre de la grossesse. Et c’est là qu’on va enclencher le bilan. Il peut mettre en évidence parfois des anomalies chromosomiques équilibrées chez un des deux parents. Et là, pour le coup, ça peut entraîner un risque de récidive pour des grossesses ultérieures. C’est un peu comme ça qu’on va stratifier les risques.

Prééclampsie : danger de mort de la mère et du bébé

Il y a un nouveau risque qu’on commence aussi à identifier, qui sort un peu du cadre des anomalies morphologiques, c’est le risque de prééclampsie : les problèmes d’hypertension de la femme enceinte qui peuvent donner plus tard ce qu’on appelle la prééclampsie. C’est-à-dire une situation à risque très élevé de mort pour la maman et pour le bébé.

On commence à avoir maintenant des marqueurs qui permettent à l’échographie du premier trimestre de la grossesse, en même temps qu’on fait la clarté nucale et la prise de sang pour la trisomie, de faire un doppler des artères utérines et une prise de sang supplémentaire qui va classer les patientes à risque élevé ou faible de prééclampsie. Celles qui seront à risque élevé seront éventuellement mises sous traitement antiagrégant, et surtout surveillées de beaucoup plus près.

En chirurgie foetale, on a tout tenté…

Grâce aux progrès de l’imagerie, quelles interventions peut-on tenter pour « opérer » le bébé in utéro ?

J’ai grandi vraiment à mon début d’internat avec cette arrivée de la chirurgie fœtale. Il y a eu beaucoup de fantasmes qui se sont mis dessus. Il y avait une équipe américaine à l’époque, à San Francisco, qui a à peu près tenté tout ce qui était possible, par exemple de ponctionner chez des fœtus. On a eu une vague comme ça très enthousiaste et puis on s’est rendu compte que, finalement, ça ne marchait pas si souvent. Et finalement, aujourd’hui, quand on parle de chirurgie fœtale, on parle de certaines procédures qui sont assez limitées.

Premièrement la chirurgie fœtale des grossesses mono choriales : ces sont des jumeaux avec un seul placenta. Il y a 10% des grossesses mono choriales qui ont ce qu’on appelle un syndrome transfuseur-transfusé. Les deux bébés s’échangent du sang de manière asymétrique avec un gros bébé pléthorique et un petit bébé anémique. Ce qu’on peut essayer de faire, c’est de recréer une séparation milieu de ce placenta à l’aide de lasers. On va insérer comme un coelioscope dans l’utérus et on va « griller » un équateur du placenta pour reséparer les circulations. Ce n’est pas un geste lambda. Quand on fait une chirurgie fœtale et qu’on rentre dans l’utérus, on risque de déclencher une prématurité. Donc les indications se pèsent vraiment au cas par cas. Mais ça commence à bien marcher.

Ils mettent un ballonnet dans la trachée du foetus, et ça marche !

Il y a une autre chirurgie fœtale qui se fait, c’est la chirurgie notamment pour les hernies diaphragmatiques congénitales. C’est un défaut de développement du poumon et de la coupole diaphragmatique gauche qui fait que les intestins vont remonter de ce côté-là du thorax et vont empêcher le bon développement des poumons. Une équipe belge a développé un protocole d’endoscopie trachéale fœtale. On met un endoscope dans l’utérus, on va intuber le fœtus, mettre dans sa trachée un petit ballon qu’on va gonfler. Ce ballon va empêcher que le liquide sorte du poumon comme une expiration de liquide amniotique, et du coup le liquide va s’accumuler et va faire grandir le poumon. Ce gonflage du ballonnet est réversible, donc on peut le dégonfler quand on estime que le poumon a assez grandi; ça, ce sont vraiment les deux grands actes de chirurgie fœtale.

On commence à avoir aujourd’hui également des protocoles de recherche sur la chirurgie fœtale du spina bifida, qui est une anomalie de fermeture de la colonne vertébrale avec des malformations de la moelle épinière. On se rend compte que parfois, sur certaines formes très précises, si on peut traiter au bon moment, on peut essayer d’endiguer la progression pathologique des conséquences de ce spina, notamment des conséquences de la dilatation des ventricules du cerveau.

13 patientes incluses dans le programme marseillais

Après Paris, vous êtes le 2e centre en France à la clinique Bouchard à Marseille à bénéficier d’une nouvelle plateforme de recherche en IRM fœtale. Quels progrès va-t-elle vous permettre de réaliser ?

La plateforme LUMIERE, c’est vraiment une plateforme avec la vision que l’imagerie bouleverse nos connaissances sur cette fameuse période des 1000 premiers jours qui commencent bien sûr dès la période in utéro. Les nouveaux outils d’imagerie, les échographies avancées et l’IRM permettent d’accumuler des connaissances supplémentaires sur le développement des organes, du cerveau, des poumons, du placenta aussi, du fœtus. Ce protocole, qui est un PHRC (programme hospitalier de recherche clinique) national avec tout l’encadrement juridique et éthique, permet de proposer à des patientes enceintes, sans aucun problème pour elles et le bébé, de participer à cette recherche en disant « finalement je peux faire bénéficier peut-être des futures femmes enceintes des progrès qu’on va réaliser grâce à ces recherches. »

La plateforme est centralisée à Paris et depuis quelques mois maintenant nous sommes le 2e centre d’inclusion à la clinique Bouchard. Nous avons des vacations dédiées à la recherche. C’est un partenariat entre l’AP-HP et la clinique Bouchard, le groupe Elsan, et puis le centre IMAGE. On a inclus 13 patientes sur deux sujets particuliers qu’on étudie à Marseille.

50% des bébés diagnostiqués trop petits ont en réalité un poids normal…

1- l’estimation du poids fœtal; ça paraît tout bête mais les techniques échographiques d’estimation du poids, c’est la fameuse formule de Hadlock qui nous permet de donner à l’échographie du 3e trimestre par exemple une estimation, de pouvoir vous dire « Madame, votre bébé aujourd’hui pèse 1832 grammes ». En fait, ce qu’on dit beaucoup et ce qu’il faut souvent dire aux patients, pour leur expliquer, c’est que ce chiffre très précis a 15% d’écart type en plus ou en moins possible. On peut se tromper de 15% en plus ou en moins. Cette formule n’est pas si précise que ça. Ce qui fait qu’aujourd’hui en France, la moitié des bébés qu’on suspecte d’être petits avec cette formule, ont en fait un poids normal à la naissance. Donc on a estimé par excès qu’ils étaient des petits bébés, on a fait des bilans « pour rien » et on a inquiété des couples pour rien.

…et 50% des petits poids ne sont pas identifiés !

A l’inverse, si on prend tous les bébés nés avec un petit poids à la naissance, la moitié d’entre eux n’ont pas été identifiés comme suspects d’être petits. Eux, ce sont des bilans qu’on aurait dû faire et qu’on n’a pas pu faire. On s’est rendu compte avec l’IRM fœtale qu’on va calculer ce qu’on appelle le volume entier du bébé en IRM. C’est un jeune étudiant en master et maintenant en thèse qui s’appelle Amine Bouachba qui travaille là-dessus. On mesure, on segmente le fœtus en IRM, on mesure l’intégralité de son volume.

On s’est rendu compte que la densité fœtale était à partir de 16 semaines d’aménorrhée égale à 1, ce qui fait que si on a 2,3 litres, en fait le bébé fait 2,3 kilos. Probablement que dans quelques années, ce qu’on espère, c’est que peut-être ces bébés suspectés comme étant petits en échographie auront une IRM pour vérifier s’ils sont vraiment petits ou pas. On pourra permettre comme ça de corriger ces erreurs par excès ou ces erreurs par défaut.

Une révolution arrive : la radiomique sur le placenta

2- Deuxième sujet sur lequel on travaille spécifiquement à Marseille notamment, c’est le placenta. On dit souvent que c’est la boîte noire de la grossesse ! Il se passe plein de choses là-dedans, qui sont le reflet des échanges entre la maman et le bébé. Un des points importants, c’est ces fameux bébés qui sont petits, ces retards de croissance. On pense qu’il y a probablement des informations à aller voir en imagerie pendant la grossesse dans ce placenta, qu’on n’arrive pas à voir aujourd’hui. On est parti du principe qu’il y a une révolution qui est en train d’arriver en imagerie aujourd’hui, qui s’appelle la radiomique.

La radiomique, c’est ce qu’un algorithme pourrait chercher dans les images, dans les pixels, que l’œil humain n’est bien sûr pas capable de voir. C’est les organisations des signaux, des pixels entre eux. C’est l’organisation géométrique des pixels entre eux, etc. Et ça, c’est validé en imagerie par exemple pour les cancers du poumon. La radiomique des cancers du poumon permet de prédire le type de mutation génétique du cancer du poumon. Dans le même esprit, on est en train de faire un protocole de radiomique sur un placenta et on va comparer des placentas de bébés avec des poids normaux et des placentas de bébés avec des petits poids à la naissance. On va voir si les paramètres de radiomique permettent de différencier les deux. L’idée à terme c’est, qu’une fois qu’on aura fait ça sur des placentas ex-vivo, on pourra ensuite essayer in vivo pendant la grossesse d’aller interroger un placenta en radiomique et de pouvoir prédire si ce bébé aura une altération de la croissance plus tard.

L’espoir : revasculariser un placenta défaillant

Ce qui veut dire que quand on a ces informations, quand le bébé naît, on peut tout de suite mettre en place des process pour sa prise en charge ?

Et même éventuellement essayer d’anticiper ! Parce que le fait d’avoir des diagnostics de plus en plus tôt et de plus en plus précis pourra permettre aussi de développer certaines thérapeutiques auxquelles on ne pense même pas aujourd’hui. Typiquement dans un placenta ce sont des phénomènes probablement très liés à des phénomènes d’angiogenèse. Peut-être qu’un jour des médicaments de néo angiogenèse pourront permettre de relancer la vascularisation d’un placenta qui s’est implanté de manière un peu sous optimale.

N’existe il pas le risque de surévaluer justement ce risque de maladie et en conséquence de multiplier inutilement les interruptions de grossesse thérapeutiques généralement, voire choisies par les parents ?

C’est une vraie très bonne question et ça renvoie à ce qu’on appelle le risque de faux positif. Le faux positif, c’est qu’on a suspecté quelque chose in utéro mais en fait ça n’était pas présent en réalité après la naissance. On a culturellement plus l’angoisse du faux négatif, c’est-à-dire rater quelque chose qu’on n’a pas vu en échographie et qui finalement était présent. Les progrès de l’échographie font que ce nombre de faux négatifs diminue un peu. Il n’est pas de zéro. L’échographie ou l’IRM, ce n’est pas une caméra qu’on met à l’intérieur du ventre. Il y a toujours des choses qu’on ne voit pas mais en tout cas, avec ces outils surpuissants, probablement que le taux de faux positifs risque d’augmenter un petit peu.

Diminuer le risque de faux positif

Comment est-ce qu’on essaie de le contrarier ? D’abord avec ces systèmes d’imagerie multimodalités, c’est-à-dire l’échographie, l’élastographie, l’IRM, la radiomique sont des points de vue différents sur une même pathologie. L’idée, ce sera de voir si tous les éléments d’imagerie sont concordants vers le même diagnostic. Si un des éléments est discordant, ça pourrait nous faire par exemple dire « attention », peut-être qu’il y a un risque de faux positif. La façon dont on essaie de diminuer cela, c’est de travailler de manière collégiale.

Quand on a une image inhabituelle, quand on n’a vraiment pas l’habitude, un des premiers réflexes c’est de montrer à mes collègues : est-ce que tu as déjà vu ça, toi, qu’est-ce que tu en penses ? La collégialité va nous permettre d’éviter aussi bien des faux négatifs que des faux positifs. Parce que bien sûr, le but est aussi prénatal. C’est faire un état diagnostic le plus précis et ne jamais faire d’interruption de grossesse thérapeutique ni par excès ni par défaut. On doit être le plus personnalisé et précis possible.

Vous avez dit au début de notre entretien qu’il y avait entre 3 et 5% d’anomalies détectées avec l’échographie sur les organes du fœtus. Est-ce que ça veut dire qu’il y a 3 à 5% des enfants qui naissent et qui vont conserver ces anomalies parfois graves ? Ou est-ce qu’il y en a un certain nombre qui se résorbent ?

Là je parle vraiment des images échographiques inhabituelles, c’est-à-dire un dépistage qui alerte sur quelque chose d’inhabituel. L’immense majorité sont des choses qui seront soit des variantes de la normale, soit des choses qui vont régresser après la naissance, soit des choses qui vont être du ressort d’une chirurgie ou d’une prise en charge postnatale. C’est une toute petite fraction de ces 3 à 5% qui va être associée à des choses graves, à des anomalies chromosomiques, voire à des interruptions médicales de grossesse.

« Si vous refusez le risque, ne faites pas d’enfant ! »

En 20 ans, vous avez vu évoluer la situation avec une imagerie de plus en plus perfectionnée. Est-ce que les bébés qui naissent aujourd’hui ont de plus en plus d’anomalies ou au contraire de moins en moins ?

Les progrès techniques nous font voir des choses qu’on ne voyait pas il y a quelques années. Ce qui me marque le plus dans l’évolution de mon métier, c’est l’évolution des relations avec les couples. Je dis souvent que j’ai l’impression parfois, quand je fais des échographies, de faire un peu une sociologie du couple et de la parentalité. On se rend compte que les attentes changent, que les grossesses sont très investies. On voit que les papas aujourd’hui sont plus investis que quand j’ai commencé, ce que je trouve absolument génial. On voit qu’il y a une pression de la société, une pression de normalité, une pression de réassurance. C’est surtout ça je crois que j’ai vu évoluer.

J’ai souvenir d’un couple, je crois qu’ils étaient avocats tous les deux. Ils étaient très angoissés en début d’échographie. On essaie de les rassurer et puis à un moment donné il y a eu quelque chose de verbalisé,  du ressort « écoutez docteur, nous on ne veut prendre aucun risque ». Moi j’ai 3 enfants et je n’ai pas su répondre autre chose que « si vraiment vous ne voulez prendre aucun risque, il vaut mieux ne pas faire d’enfant. Parce que les vrais soucis, les vraies choses en termes de gravité, elles arrivent après la naissance hein ! Parce que vos enfants vont aller à l’école, traverser la route, etc. »

La médicalisation de la grossesse génère beaucoup d’angoisse

La grossesse en France est une des grossesses les plus médicalisées par rapport à d’autres pays européens. C’est très bien mais c’est générateur aussi de beaucoup d’angoisses et de pression. Comme je le dis souvent, le rôle du radiologue et puis de l’échographiste en général, c’est d’être un peu le médiateur entre ces images, dures à comprendre, et donc angoissantes, et la réalité. Et donc de faire cette espèce de traduction entre le langage des images et puis le langage commun.

Vos patients d’aujourd’hui, de 2023, sont-ils plus stressés que ceux de 2003 ?

Je le crois un peu, oui.  Pas les mêmes stress peut-être. Quelque chose de plus précieux dans la grossesse. Peut-être parce que l’âge de la première grossesse augmente aussi un petit peu. Donc on a peut-être une petite nuance qualitative sur l’investissement mis dans ces grossesses et ces enfants à venir. Ce qui est plutôt chouette…

 

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