Tout sent mauvais à la maison ? Et si c’était vous le problème !

Le Covid fait des ravages à long terme. Le service ORL de La Conception (APHM) a carrément créé un hôpital de jour qui ne désemplit pas. Les demandes affluent de la part de patients qui ont perdu l'odorat et parfois le goût, ou qui ne les ont pas pleinement retrouvés. Il existe des solutions pour les rééduquer. Emmanuelle Albert, orthophoniste, autrice du "Petit manuel pratique pour retrouver l'odorat et le goût" (Deboeck éditions), détaille cette prise en charge à Marseille. Si au-delà de 3 mois post-Covid vous ne sentez toujours rien ou que le parfum adoré de votre femme (adorée aussi) sent mauvais, inquiétez-vous...

podcasts

Le phénomène de la perte de goût et/ou d’odorat est-il bien compris ? Quelles en sont les conséquences pour les malades ?

Emmanuelle Albert, orthophoniste : Le Covid a en effet entraîné de nombreux troubles de l’odorat et du goût. La prévalence des patients a fait que, dans le service, le professeur Justin Michel a créé un hôpital de jour pour permettre aux patients d’avoir un parcours coordonné d’examens et de consultations. Pour essayer de proposer un traitement au mieux pour ces patients, et pour faire de la recherche, en particulier sur le syndrome de Covid long.

De nombreux patients ont l’impression d’avoir perdu l’odorat et le goût. Ce n’est pas si simple. Il semblerait que la plupart aient surtout perdu l’odorat et que ce soit la sensation de perte de la rétro-olfaction, c’est-à-dire de la perception des arômes en bouche, qui donne l’impression de la perte du goût. Mais sur la plupart des variants [du Covid] il n’existerait pas à proprement dit de troubles du goût au sens où on l’entend dans le langage courant.

Rééducation intensive sur 3 mois

En passant dans votre service, les malades retrouvent-ils pleinement leurs facultés olfactives et gustatives, et à quelle échéance en moyenne ?

Il faut d’abord qu’ils aient passé des examens et qu’ils voient un médecin ORL. Il peut éventuellement leur proposer un traitement s’il voit qu’il y a une persistance d’un oedème, au niveau par exemple de la muqueuse nasale ou des fentes olfactives. Et ensuite on leur propose une rééducation olfactive avec un orthophoniste. A quelle échéance ? Cela dépend depuis combien de temps ils ont les troubles, et surtout de la sévérité des troubles.

On fait des protocoles sur 3 mois car on essaie de déclencher un processus de récupération en renouvellement des cellules olfactives, des neurones olfactifs. Pour ça, on fait un protocole de rééducation intensive sur 3 mois, avec une guidance et une auto-rééducation quotidienne par le patient. Ensuite, on voit quand même de nettes améliorations des compétences et on se dit que le reste va finir par récupérer avec le temps et un entraînement, qu’il soit actif ou passif. Le simple fait de manger, de boire et de vivre normalement fait partie aussi de l’auto-rééducation.

Quand le conjoint se met à sentir mauvais…

Perdre l’odorat et le goût, est-ce anecdotique, ou bien cela perturbe-t-il vraiment les patients ?

Pour certains, c’est anecdotique, car ils n’étaient pas investis dans ces sens-là. Pour d’autres, cela peut même déclencher des troubles anxio-dépressifs. Parce que perdre l’odorat et le goût, c’est perdre le plaisir de manger, le plaisir du goût de partager ces moments-là entre amis. Mais cela peut aussi déclencher beaucoup de stress quant à des intoxications potentielles, avec le gaz, avec des produits qui pourraient être périmés. Et même des difficultés dans l’attachement aux autres, sur le plan de la libido [Emmanuelle Albert précisait notamment que l’odorat de certains patients est tellement distordu qu’ils ne supportent plus l’odeur de leur conjoint. Ils trouvent qu’il sent mauvais, ce qui perturbe sérieusement les rapports amoureux et l’équilibre du couple]. Je vois beaucoup de jeunes parents très attristés de ne plus sentir l’odeur de leurs enfants. Émotionnellement, ce n’est pas facile à vivre. On a aussi beaucoup de professionnels, des cuisiniers, des oenologues, des vignerons, qui se retrouvent très affectés par ces troubles.

Quand on retrouve ses capacités, de quoi cela témoigne-t-il physiologiquement ? D’une réparation neuronale ?

Oui. La rééducation olfactive va devoir encourager cette neurogénèse, cette « réparation » neuronale. On va faire des exercices qui vont permettre de réassocier la sensation perceptive avec le décodage de cette odeur aussi au niveau supérieur, central. Lors des exercices, on va demander au patient de faire appel à sa mémoire, aux émotions et aussi à ce qu’on appelle la sémantique. C’est-à-dire tout ce qu’il sait sur cette odeur, de manière à recréer ce chemin entre la sensation et le traitement cérébral de cette odeur.

Tout sent mauvais : le patient ne code plus les odeurs

Pourquoi êtes-vous encore autant sollicitée aujourd’hui alors que l’épidémie recule depuis plusieurs mois ?

L’épidémie recule mais elle n’est pas terminée. Les patients que nous voyons aujourd’hui souffrent de ces troubles depuis déjà bien longtemps. Certains ont récupéré un seuil olfactif, ils recommencent un peu à sentir les odeurs. Mais beaucoup se plaignent d’une hyposmie, d’une baisse de la perception. Mais aussi très souvent, dans le syndrome de Covid long en particulier, de parosmies. Ce sont des distorsions de la perception des odeurs. Il semblerait qu’ils aient du mal à coder correctement au niveau central les odeurs senties et ça donne du coup une impression de très mauvaise odeur, que ce soit au niveau alimentaire ou olfactif. Cela perturbe énormément les patients qui en souffrent et demandent une prise en charge plus spécifique.

Les nouveaux variants du Covid auraient moins impacté la perte de goût et d’odorat. Est-ce confirmé ?

Il semblerait en effet qu’Omicron entraîne moins de troubles olfactifs. Mais je garde le conditionnel. On manque encore de recul et on n’a pas fait vraiment d’analyses sur les différences. Il semblerait que le premier variant et Delta aient le plus entraîné de troubles de l’odorat. Pour le dernier, on manque de recul. Sur ce dernier variant, j’entends des patients qui ressentent des distorsions gustatives. Ces fameuses parosmies seraient initiales, alors que sur les deux premiers variants elles arriveraient dans un second temps.

80% des patients récupèrent en 3 semaines; après 3 mois il faut s’inquiéter

Si je suis touché par une perte de goût et d’odorat, à partir de quel moment dois-je m’inquiéter de sa longévité, et prendre rendez-vous avec un médecin ?

Environ 80% des personnes qui perdent le goût et l’odorat récupèrent en moins de 3 semaines. Si on n’a toujours pas récupéré au bout de 3 mois, il semble nécessaire de faire une consultation avec un ORL pour aller voir ce qu’il se passe. Ensuite il est possible de voir un orthophoniste pour faire une rééducation, si on a besoin d’être accompagné dans cette prise en charge.

Puis-je réaliser une rééducation efficace chez moi, tout seul ? Vous avez d’ailleurs publié le « manuel pratique pour retrouver l’odorat et le goût »…

Oui, tout dépend de l’ampleur de vos difficultés et des répercussions qu’elles peuvent avoir. Mais aussi tout dépend si ces troubles sont inscrits dans le syndrome de Covid long, et sont donc concomitants d’autres troubles. Comme par exemple des troubles de la mémoire, de l’attention, ce fameux brouillard cognitif dont se plaignent les patients Covid long. Il ne facilite pas une auto-rééducation et demande un accompagnement par un professionnel de santé, un orthophoniste en particulier.

Dans mon livre j’ai essayé de donner un support aux patients, mais également aux professionnels de santé. Nous avons élaboré avec un société de Gémenos (Bouches-du-Rhône), qui s’appelle Cepasco (Spigol), un kit de rééducation avec des épices que nous avons choisis pour leurs qualités aromatiques mais aussi pour leurs pouvoirs évocateurs en termes de souvenirs, de mémoire et d’émotions. On les a accompagnés de petites fiches, de manière à ce que les patients puissent faire des exercices en auto-rééducation.

Le kit de senteurs créé par des patientes profite à la recherche

Ce kit est né d’une jolie histoire, puisque ce sont des patientes atteintes de perte d’odorat qui ont eu l’idée de le réaliser avec vous…

Ce sont deux personnes de cette société, qui avaient perdu l’odorat et le goût et qui ont consulté dans le service. Elles se sont passionnées pour cette rééducation. Elles ont eu envie de faire contre mauvaise fortune bon coeur et d’apporter leur petite pierre à l’édifice. Elles ont créé ce kit avec leur société. Il est est disponible sur Amazon et s’appelle « Re-sentir ». Les bénéfices sont intégralement reversés via le fonds de dotation Phocéo au service de la recherche sur les troubles de l’odorat.

cet article vous a plu ?

Donnez nous votre avis

Average rating / 5. Vote count:

No votes so far! Be the first to rate this post.

Partagez vos commentaires.