Accidents, rugby, agressions : il répare les visages fracassés

Les accidents de trottinettes électriques engendrent des blessures aussi graves qu'à moto ! Et notamment à la face. Le Dr Jean-Marc Foletti les voit se multiplier. Ce chirurgien maxillo-facial et stomatologue dans le,service que dirige le Pr Chossegros au CHU de La Conception à Marseille (APHM) détaille les progrès de cette spécialité. Elle permet souvent de reconstruire des visages quasi à l'identique après des traumatismes dus aux accidents de la voie publique, à des sports comme le rugby, le vélo ou le kitesurf, et à l'augmentation de coups de feu et de coups de couteau lors de rixes...

Santé

On a souvent recours à la chirurgie maxillo-faciale pour réparer des dégâts spectaculaires. Quels sont les domaines particuliers d’intervention ?

Docteur Jean-Marc Foletti : C’est une chirurgie qui est au carrefour de plusieurs organes, de plusieurs zones anatomiques assez précises. Il faut imaginer que le visage, la face, est une zone fonctionnelle essentielle. On retrouve tous les organes des sens, on retrouve les fonctions de mastication – c’est grâce à ma bouche que j’arrive à parler devant votre micro. Je peux y voir. Et toutes toutes ces fonctions peuvent être atteintes à différentes mesures par la pathologie maxillo-faciale et notamment par le traumatisme.

La traumatologie du visage est vraiment quelque chose d’assez spécifique à prendre en charge. Le chirurgien maxillo-facial a différents domaines d’intervention. En maxillo c’est les maxillaires – ça renvoie à l’ancien terme des « mâchoires ». On peut travailler sur les mâchoires pour les repositionner à visée esthétique. On peut travailler sur des cancers de la bouche. Il y a la chirurgie stomatologique – qu’on appelait avant la chirurgie des dents, la chirurgie orale -, les greffes osseuses, et puis sur l’extérieur on travaille main dans la main avec les dermatologues par exemple pour des lésions cutanées. En fait, toutes les techniques qu’on va utiliser pour réparer le visage peuvent servir dans un spectre de spécialités.

Une spécialité née de la Grande Guerre

Votre spécialité c’est un peu de réparer ce qu’on va appeler les « gueules cassées ». Quels sont les accidents qui conduisent des patients entre vos mains ?

Le terme de gueule cassée est intéressant parce que finalement la chirurgie maxillo-faciale moderne est relativement récente. Elle est née dans les tranchées il y a plus d’un siècle. C’était la Grande Guerre et ce terme de gueule cassée est né à cette occasion parce qu’on se retrouvait avec des soldats qui étaient mutilés au niveau du visage par des blessures assez spectaculaires. Et il n’y avait pas de technique particulière qui permettait de le reconstruire. Il faut imaginer que c’était à très grande échelle, avant l’avènement des antibiotiques. Des chirurgiens de l’époque, des chirurgiens généraux, des chirurgiens plasticiens, des chirurgiens ORL ont réfléchi à des techniques pour nous permettre de réparer le visage. Non seulement la surface – la peau, venir rapprocher les blessures – mais aussi la profondeur, les os.

Tout cela s’est toujours fait avec l’arrière-pensée de restaurer la fonction. C’est-à-dire que ça ne sert à rien de réparer un visage si derrière le patient ne peut pas vivre la vie la plus proche possible de celle qu’il avait avant d’être blessé.  C’est ce qui nous a conduit à travailler de manière multidisciplinaire non seulement avec d’autres spécialités médicales – les confrères de la face et du cou, plasticiens, ORL, ophtalmos, les dentistes, les orthodontistes – et puis tous les rééducateurs.

Coups de couteau et coups de fusil en augmentation

A quels types d’accidents avez-vous à faire ?

On a de la chance de ne pas être dans un pays en guerre. Ce sont principalement les accidents de la circulation, de la voie publique. C’est aussi les conflits, les rixes,  les gens qui se tapent dessus. Cela peut être simplement des coups mais ça peut être de plus en plus l’usage d’armes blanches et parfois d’armes à feu. Il y a les accidents sportifs.

Lesquels ?

On a tous l’image du boxeur ou du rugbyman qui est blessé. Effectivement, ce sont des gens qui se blessent mais finalement pas tant que ça, parce qu’ils ont l’habitude de ce traumatisme facial. Ils s’en protègent, s’en prémunissent ou ils ne prêtent pas attention aux petites blessures. Le vélo aujourd’hui est, dans une ville comme Marseille qui n’est pas toujours propice à la circulation à vélo, cause de blessures. Le citoyen qui va se casquer, se protéger, va éviter une blessure grave au niveau du cerveau, une blessure neurochirurgicale. Mais son visage sera toujours blessé. On a beaucoup de gens qui sont blessés comme ça.

Des sports plus méconnus vont être source de blessures au visage, ça peut aller de l’escalade au kitesurf. Tout est potentiellement source de blessure au visage parce qu’on n’est pas protégé contre ça et que les os de la face, contrairement à ce qu’on pourrait penser, sont relativement fragiles,  donc vont casser pour des traumatismes de relativement faible énergie. Heureusement ce sont des choses dans la plupart des cas qu’on peut réparer sans séquelles ou sans séquelles graves.

Même casquées, les motards ont des fractures du visage

Pour sortir un peu du sport, y a-t-il beaucoup de motards qui passent entre vos mains ?

Tout à fait. Le motard peut être blessé à la face y compris quand il est casqué. Alors le casque va éviter les traumatismes les plus graves. Même avec un casque intégral on peut avoir une fracture du visage parce qu’il faut imaginer qu’il y a une telle énergie lors de ce type de traumatisme, qu’elle est diffusée en profondeur. Mais le casque reste indispensable pour éviter les blessures les plus graves et éviter notamment un traumatisme cérébral grave ou une blessure neurochirurgicale irréparable. Donc au niveau du visage ça va limiter la casse. Après, on a un problème avec des gens qui portent des casques jet parce que cela protège très bien le crâne mais pas le visage.

Trottinettes électriques : parfois des décès…

Une récente étude française qui collige les données sur plus de 50.000 patients dans 20 centres de traumatologie prouve la dangerosité des trottinettes électriques en libre-service dans les villes, ou même celles qui appartiennent à des gens. Quels traumatismes ces accidents de trottinettes occasionnent-ils à la face ?

Vous faites bien d’en parler ! Ces trottinettes électriques ont été une nouvelle source – et ce n’est pas une bonne nouvelle – de traumatismes graves non seulement au niveau du visage mais au niveau des membres supérieurs. Au niveau du visage on avait participé à cette étude parce qu’à Marseille on voit beaucoup de blessés. C’est quasiment de manière hebdomadaire en fait. On a même assisté à des blessures assez graves, avec des gens qui ont dû finir en réanimation parce que les traumatismes étaient sévères. Et il y a des cas de patients qui sont décédés suite à des blessures par trottinette électrique.

Pourquoi ? Parce que ce sont des engins qui vont quasiment aussi vite qu’un scooter ou qu’un deux-roues mais sans le même degré de protection ou de capacité de freinage. Et puis parce que cela a un côté un petit peu ludique, récréatif, les gens ne se rendent pas forcément compte de la vitesse qu’ils atteignent dessus. Ils deviennent dangereux pour eux-mêmes quand ils le conduisent, éventuellement pour les piétons quand ils conduisent sur un bas-côté, sur un trottoir. Je ne pense pas qu’il y ait de réelle conscience du niveau de risque encouru.

Le plus fréquent : la fracture de la mandibule

Quel type d’intervention avez-vous dû réaliser par exemple ?

Cela peut aller de simple plaies, de simples coupures sur les chutes les moins graves à des fractures. La plus fréquente au niveau du visage, c’est une fracture de la mandibule, c’est-à-dire de la mâchoire inférieure et ça ce sont des fractures qui sont quotidiennes dans nos services. La trottinette électrique c’est une cause parmi tant d’autres mais c’est quelque chose qui va nécessiter une anesthésie générale, plusieurs semaines d’immobilisation, qui va handicaper le patient d’un point de vue alimentaire, parfois d’un point de vue professionnel, et qui peut même laisser des séquelles fonctionnelles dans certains cas.

« Vu la vitesse, c’est comme un accident de scooter »

Vous assistez à l’émergence d’un phénomène inquiétant qu’on peut qualifier de « fléau ». Que préconisez-vous pour le limiter ou en tout cas limiter les dégâts que ces accidents provoquent ?

Je ne sais pas si c’est un fléau ou pas, mais c’est certain que c’est une nouvelle source d’inquiétude pour nos patients. La préconisation est toujours la même, ce n’est pas vraiment d’ordre médical, mais nous on s’intéresse à l’accidentologie au sens large. D’abord le port du casque semble la moindre des choses parce qu’il peut y avoir des traumatismes cranio faciaux sévères. Le respect du code de la route, ça c’est peut-être un vœu pieu, particulièrement à Marseille, et pourtant j’adore ma ville. Et puis la prévention encore et toujours.  Derrière le côté amusant, agréable et pratique même de ces engins, il faut prendre conscience de la vitesse qu’ils peuvent atteindre. c’est exactement la même chose que d’avoir un accident de deux-roues, un accident de scooter ou de moto vu les vitesses atteintes.

Vous circulez à trottinette vous-même ?

Je n’ai jamais eu l’occasion de conduire ces trottinettes. Par contre je suis motard. Je ne suis pas contre les trottinettes, c’est pratique. C’est plus une question de civisme. En tant que chirurgien je n’ai pas mon mot à dire sur la législation mais le port de protections individuelles et une certaine responsabilisation sur l’usage de ces engins me paraissent effectivement nécessaires.

Objectif : que le patient puisse reparler, manger…

Comment est-ce qu’on répare de tels dégâts à la face ? A quelles techniques avez-vous recours pour recomposer un visage et le réparer, le reconstruire ?

Le chirurgien maxillo-facial, quand il voit une blessure au visage, il essaie de réfléchir de manière globale. Schématiquement on oppose toujours des blessures des tissus durs – c’est-à-dire du squelette, les fractures – et les blessures des tissus mous, d’éventuelles plaies voire des pertes de substance. Et on va comme ça réfléchir de la profondeur à la surface sur toutes les techniques qu’on peut mettre en jeu. Les fractures, cela va se rapprocher de ce que font nos collègues orthopédistes ou chirurgien de la main. On utilise des vis, des plaques qui sont en titane, qui sont en acier, qui nous permettent de venir ressouder les os.

La particularité est qu’on garde toujours en tête bien sûr la fonction : on veut que les gens puissent se resservir de leur visage, puissent parler, puissent manger, puissent être symétriques. On pense à l’esthétique au niveau du visage. Donc il faut que ces cicatrices soient dissimulées. On utilise les techniques de la chirurgie plastique appliquée à la réparation. Cela nous conduit à soigner les cicatrices, à chercher à les dissimuler. Parfois on n’est pas capable de tout réparer et on utilise des techniques qu’on appelle des lambeaux. Le principe, c’est de venir faire une sorte de puzzle et de ramener de la peau sur de l’os là où il en manque, en en prenant ailleurs sur le corps. On peut aujourd’hui utiliser différents implants, différentes prothèses pour réparer l’os, pour réparer certains tissus manquants.

« Etre blessé à la face, c’est souvent une étape de vie »

Et puis cette réparation n’est pas que chirurgicale dans les premiers temps, souvent dans les cas les plus graves. On a la chance de pouvoir s’appuyer sur des médecins réanimateurs qui vont sauver nos patients. Après notre intervention on compte sur les rééducateurs, les orthophonistes par exemple, les kinés, qui vont nous aider à remettre les patients en état. Etre blessé au niveau de la face ce n’est pas une réparation purement technique, chirurgicale; c’est une étape de vie. C’est souvent un traumatisme global donc il y a souvent besoin d’un accompagnement avec parfois des recours à un psychologue.

Vous intervenez dans une zone très proche du cerveau qui peut lui aussi être impacté évidemment par un accident. Comment travaillez-vous avec les neurochirurgiens ?

C’est dans les cas les plus graves. Sur certaines blessures effectivement, il y a des traumatismes non seulement du visage mais aussi de la boîte crânienne, au niveau de l’encéphale. On va se mettre d’accord sur le timing de cette réparation. Cela peut être de manière conjointe, ou l’un après l’autre. Fort heureusement les blessures du visage ne sont pas souvent mortelles et le pronostic vital n’est pas souvent engagé. Ce qui se passe la plupart du temps, c’est que nos confrères neurochirurgiens interviennent de prime abord et quand le patient est stabilisé, on peut attaquer cette phase de reconstruction au visage. Parfois on est amené à intervenir conjointement sur certains blocs, sur certaines zones anatomiques précises notamment par exemple les orbites puisqu’on va pouvoir travailler tant par la face que par l’intérieur de la boîte crânienne.

Modification de la sensibilité

Est-ce une chirurgie douloureuse et dont les conséquences vont le demeurer ?

Douloureuse, pas forcément. Bien sûr on prend en charge la douleur. En fait, on n’attend pas de savoir si le patient a mal. Quelqu’un qui arrive blessé au niveau de la face, de manière spontanée, dès les urgences il va être calmé. On va chercher à le sédater, à lui donner un traitement antalgique adapté. Mais je ne dirais pas que ça fait partie des blessures les plus douloureuses. On peut voir des blessures en orthopédie ou des douleurs abdominales qui sont plus aiguës que celles qu’on voit à la face.

Concernant les séquelles, ce sont plus souvent des séquelles à type d’anesthésie, paradoxalement, que de douleurs séquellaires. On peut voir parfois des dysesthésies, c’est-à-dire un changement de la sensibilité. Par contre le traitement et les conséquences pour le patient sont assez longs. Ces séquelles nerveuses, quand elles interviennent, vont mettre plusieurs mois à rentrer dans l’ordre et parfois elles peuvent perdurer plus longtemps.

« On n’est pas prêt de remplacer les mains du chirurgien »

Les innovations thérapeutiques ou bien l’intelligence artificielle vont-elles vous aider afin de réparer encore plus finement une gueule cassée, et comment ?

Tout à fait ! Le terme d’intelligence artificielle est intéressant mais plus généralement il y a de la recherche en médecine, et en chirurgie maxillo-faciale. Au niveau de la recherche, dans notre centre, on a rejoint une structure qui s’appelle le laboratoire de biomécanique appliquée qui est (rattachée à) Aix-Marseille Université et qui depuis toujours s’intéresse à analyser les causes d’accident, les mécanismes intimes de l’accidentologie. Aujourd’hui, ça passe par de la simulation, y compris de la simulation numérique.

On est capable de reproduire dans ses moindres détails un accident et une blessure au niveau du visage pour analyser le comportement du squelette, analyser le comportement des implants qu’on va mettre pour réparer telle ou telle fracture et donc les adapter. Après, dans les applications pratiques il y a eu une vraie bascule il y a quelques années de ça avec l’apparition des prothèses et des implants sur mesure.

On est capable aujourd’hui d’utiliser et de créer un implant qui va réparer telle ou telle zone, adapté à l’anatomie du patient, pour avoir une restauration la plus précise possible, la plus adaptée à son traumatisme, à son anatomie. On a d’autres techniques qui nous permettent de planifier la chirurgie et d’être assisté par ordinateur en se basant par exemple sur des images scanner qui nous permettent d’être précis au niveau du millimètre durant l’intervention. Ce n’est pas uniquement quelque chose d’artisanal la chirurgie maxillo-faciale, c’est quelque chose qui vit avec son temps et qui utilise la technologie, même si à mon sens on n’est pas prêt de remplacer les mains du chirurgien.

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