Alerte sur la prolifération des « foies gras » à cause de l’obésité

Certaines maladies du foie flambent en raison de nos modes de vie. On mange trop gras ! Le Pr Jean Hardwigsen, chef du service de chirurgie viscérale et digestive et responsable de l'unité de transplantation hépatique au CHU de la Timone (APHM) à Marseille, sonne l'alarme. Le doublement du nombre d'adultes obèses en quelques années a de quoi inquiéter. Le cancer du foie est lui aussi en progression, il est entré dans le top 10. Lueur d'espoir : les traitements sont bien plus efficaces.

Santé

Le foie est un organe vital mais pourtant méconnu. Quelle est sa fonction, et à quoi ressemble-t-il ?

Professeur Jean Hardwigsen : C’est un organe essentiel à la vie. On ne peut pas vivre sans le foie ! C’est un organe qui est au carrefour de beaucoup de métabolismes. C’est-à-dire qu’il fabrique un certain nombre d’éléments indispensables à la vie. Il en traite d’autres, il produit des déchets. De par sa situation,  il est à un endroit crucial. Il est situé dans l’abdomen, au niveau de la partie la plus haute. Il est protégé par les côtes, à un endroit où il est particulièrement protégé des traumatismes notamment.

Le foie reçoit tout le sang qui a été traité par le tube digestif. Il n’y a pratiquement pas de sang qui lui échappe. Lors de sa traversée, le sang va larguer un certain nombre d’éléments qu’il a récupérés du tube digestif, des éléments indispensables liés à l’alimentation mais aussi des médicaments que le foie va traiter. Il va en rendre certains actifs et d’autres inactifs. Bref, c’est un un carrefour, une énorme usine de l’organisme. Le foie est un organe qui est tout à fait lisse. Chez l’humain, il est monobloc, alors que chez certains animaux il y a plusieurs lobes. Il est de couleur rouge foncé et c’est un organe qui pèse 1,4kg-1,5kg, soit 2% du poids du corps.

Une multiplicité de maladies

Quelles sont les principales maladies que cet organe peut développer ?

Elles tiennent à son rôle, essentiellement, puisque c’est le premier filtre que va rencontrer le sang quand il va récupérer des aliments au niveau du tube digestif. Ce sont des maladies infectieuses, des maladies virales – comme l’hépatite virale -, des maladies bactériennes avec les abcès du foie, des maladies parasitaires (kyste hidatique, abcès amibien). Il y a des maladies inflammatoires, des maladies toxiques : quand on boit trop d’alcool, quand on mange de manière non appropriée. Eh bien toute la surcharge – que ce soit d’alcool, du gras, du sucre – va passer par le foie et va l’abîmer.

Il y a un certain nombre d’inflammations au niveau du foie qui sont importantes et ces inflammations, notamment quand on les fait subir au foie de manière chronique, peuvent entraîner la cirrhose qui est une des maladies très particulière du foie. Cette maladie vient aussi du fait que le foie a une caractéristique essentielle: il se régénère. C’est l’un des seuls organes qui va pouvoir se reconstituer, même s’il faut prendre cela avec beaucoup de limites. Ce n’est pas comme la queue du lézard qui va repousser ! En revanche, quand on enlève une partie du foie, la partie restante va grossir pour avoir un volume, et donc un poids qui correspond à peu près au poids qu’on a perdu.

Le nombre de cancer du foie augmente en France

On songe évidemment avec terreur au cancer du foie. Est-il fréquent, et par quoi est-il provoqué ?

Il faut préciser et parler « des » cancers du foie. Il y a le cancer primitif du foie, qui naît dans le foie. Deux structures vont pouvoir en fabriquer. D’une part, il y a l’unité de base qu’on appelle l’hépatocyte. C’est la cellule du foie par excellence qui va fabriquer un cancer qu’on appelle carcino-hépato-cellulaire. C’est  aujourd’hui un cancer qui est très fréquent à l’échelon mondial et en France il a atteint le top 10 des cancers de manière générale. C’est un cancer dont l’incidence, la fréquence, est en train d’augmenter.

Pourquoi ?

Probablement par des facteurs environnementaux. On est exposé à un certain nombre de problèmes et notamment, le problème qu’on voit surgir, c’est l’obésité, notamment l’alimentation qui est inappropriée par sa richesse. Le 2e cancer, qui est dix fois plus rare, c’est celui des canaux biliaires.  Ceci, ce sont les cancers primitifs. Il y en a d’autres, on parle là des plus fréquents.

La deuxième chose, ce sont les métastases. Ce sont des tumeurs qui sont nées dans un autre organe et qui vont aller, à la suite d’une migration de cellules anormales, se nicher et se développer dans le foie. Le foie fait partie des organes les plus à cible des métastases. Pour donner l’ordre de grandeur, on estime que quand quelqu’un meurt du cancer, il y a 40% de risque qu’il ait des métastases hépatiques. Au niveau du poumon c’est 30% tous cancers confondus. Donc ça va être la cible de ces métastases. Pourquoi ? Parce que le foie est un filtre. Le sang va passer, va stagner un peu dans le foie. Et surtout, le foie devant échanger avec le sang, il a beaucoup de récepteurs qui font que les cellules vont pouvoir très facilement aller s’incarcérer dans le foie et se développer. Les cancers du foie les plus fréquents sont les cancers métastatiques : il y a 8 à 9 cancers métastatiques pour un cancer primitif du foie.

Des traitements limités en cas de cirrhose

Pourquoi est-ce généralement si grave quand le foie est touché par le cancer ?

C’est un peu à relativiser. Il faut tenir compte des possibilités thérapeutiques qu’on a derrière. Le cancer du foie primitif, donc celui qui est rentré dans le top 10, le cancer carcino-hépato-cellulaire, il ne survient pas sur un foie normal, mais sur un foie pathologique, une foie de cirrhose. Aujourd’hui l’ordre de grandeur c’est que 80% des malades qui ont un cancer du foie primitif, il va se développer sur une cirrhose. La cirrhose, c’est une maladie qui va entraîner une dysfonction du foie et surtout une insuffisance hépatique qui fait que, quand on va retirer une partie du foie pour traiter cette maladie ou quand on donne des traitements, eh bien très rapidement l’insuffisance hépatique va être limitante au niveau des thérapeutiques. Et donc la gravité va venir du fait qu’il va falloir traiter à la fois la tumeur et prendre en charge la cirrhose. Ce qui fait qu’on est très limité.

La deuxième des particularités concerne les métastases au niveau du foie. Si on a une métastase ou deux métastases, on va pouvoir les traiter un peu plus facilement en les retirant, en les traitant, en les brûlant, en les détruisant, peu importe le moyen. En revanche, quand on a beaucoup de métastases, qu’on est obligé de laisser une partie du foie, on ne pourra pas enlever tout le foie sauf dans certaines exceptions et là c’est une autre thérapeutique. Mais globalement, la gravité vient du fait de la pathologie sous-jacente en cas de cirrhose et l’autre dans l’étendue de la maladie au niveau du foie. Dans le cas de métastases, il s’agit d’un cancer qui a tendance à se généraliser, qui est déjà généralisé puisqu’il a abandonné le site de la tumeur primitive.

Le « fléau » de l’alimentation trop riche et de la sédentarité

Une précision sur les cirrhoses :  se développent-elles principalement à partir de l’alcool, ou bien y a-t-il d’autres raisons ?

Il n’y a pas que l’alcool. Malheureusement on est souvent dans le cliché de la cirrhose alcoolique. L’alcool reste une cause très fréquente de cirrhose, mais il y a des virus. Des virus aujourd’hui sont bien traités : l’hépatite C,  l’hépatite B. On a des cirrhoses d’origine biliaire sur des maladies biliaires. Et aujourd’hui, le grand facteur qui va pourvoir des cirrhoses, c’est l’obésité avec la surcharge du foie en gras qu’on appelle la stéatose. Pendant très longtemps, tout le monde rigolait un petit peu de cette maladie, prenant ça à la légère en disant « c’est du foie gras ». Effectivement c’est du foie gras mais c’est extrêmement grave d’avoir le foie gras !

Et on a donc de plus en plus de cas de « foies gras » ?

Il y a de plus en plus de personnes qui ont des stéatoses au niveau du foie. C’est un fléau qui est essentiellement dû à notre mode de vie : alimentation trop riche, manque d’exercice physique. L’association des deux fait qu’on suit un peu malheureusement le modèle des États-Unis à ce niveau-là. Notre manière de vivre se calque un petit peu sur eux. Voilà pour les grandes causes de cirrhose. Il y a d’autres causes sur lesquelles on ne peut pas trop agir, ce sont les maladies auto-immunes, où le corps se met à s’attaquer lui-même, et d’autres toxiques qui sont plus rares, des toxiques industriels et ça c’est dans le cadre de la médecine du travail.

Il n’y a pas d’issue fatale systématique !

Quelle est l’espérance de vie quand on développe un cancer du foie ?

Cela dépend comment on peut le traiter. S on peut proposer au patient des thérapeutiques à prétention curative – c’est-à-dire qu’on va enlever la maladie en totalité -, eh bien on peut en guérir. En cas de cirrhose, il y a une intervention phare, c’est la greffe de foie. Quand on a un cancer du foie dans une certaine forme assez limitée, et qu’on a une cirrhose, que l’on peut procéder à une transplantation, l’ordre de grandeur c’est 8 patients sur 10 qui seront vivants à 5 ans. Ce qui est un résultat extraordinaire en termes de cancérologie.

Mais malheureusement les conditions sont très particulières. Quand on a des métastases au niveau du foie, cela dépend surtout de la possibilité de pouvoir traiter. Si vous avez une seule métastase pour un cancer du côlon qui survient un an après et qui est assez limitée, on peut obtenir avec la chirurgie et la chimiothérapie, parce qu’il y a pas que la chirurgie, des résultats à plus de 60% de de survie à 5 ans.

Donc quand on dit « cancer du foie », ça ne veut pas dire…

Cela ne veut pas dire « issue fatale » systématique.

Les traitements ont beaucoup progressé et vont « exploser »

Les traitements ont-ils beaucoup progressé ces dernières années ? Vont-ils encore fortement progresser ?

C’est la partie très encourageante. Les traitements ont énormément progressé et ils vont très probablement, je dirais, exploser ! Des thérapeutiques nouvelles sont pétries d’espoir. La chirurgie a fait des progrès. Concernant la transplantation, malheureusement, il n’y a pas assez de greffons pour pouvoir greffer tout le monde. Chacun doit réfléchir au don d’organes mais on est dans une niche. Les greffes de foie, c’est à peu près 1300 à 1400 par an pour toute la France, donc ce n’est pas assez. Parallèlement, la chimiothérapie a fait d’énormes progrès en étant de plus en plus efficace, de moins en moins toxique, de plus en plus ciblée. On attend de plus en plus de thérapies ciblées sur des médicaments qui vont agir sur un mécanisme particulier.  Et puis surtout, je pense que ce siècle sera celui de l’immunothérapie, c’est-à-dire qu’on va utiliser notre propre système immunitaire pour se protéger de maladies qui auront été créées par différentes causes et pour lesquelles le système immunitaire ne fait pas son boulot. Il va falloir l’éduquer pour justement qu’il traite ces cellules anormales, cancéreuses.

Dans 15 ou 20 ans, tout aura changé

L’immunothérapie est-elle quelque chose qui marche aujourd’hui en ce qui concerne le cancer du foie ? On sait que ça ne fonctionne pas bien pour d’autres cancers…

Ce qui est difficile, c’est de prédire quand ça va marcher. Mais on a des résultats extraordinaires, avec des patients qui étaient dans une situation extrêmement défavorable, pour lesquels tout a changé et qui sont vivants avec des résultats. Il y aura des progrès encore, avec des traitements de plus en plus prédictifs dans leur efficacité. J’ai beaucoup d’espoir dans l’immunologie, je pense que ce sera vraiment la méthode thérapeutique à venir qui va être, pour la cancérologie, pour le tube digestif et pour beaucoup d’autres maladies.

A quelle échéance peut-on espérer avoir ces progrès ?

Je ne sais pas… Les premiers travaux que qui ont été faits sur l’immunothérapie ont 30 ans et déjà on avait commencé des résultats. Dans 15 ans ou 20 ans, on regardera ces maladies là de manière totalement différente. Je ne suis pas devin, c’est juste une estimation.

Voici comment détruire son foie à coup sûr…

Que devons-nous faire au quotidien pour garder un foie en bonne santé ?

Il faut éviter de l’abîmer en évitant de le surcharger de choses inutiles. Mon message n’est pas de dire de ne pas boire d’alcool, mais de ne pas trop boire d’alcool. Il y a deux manières de boire de l’alcool de manière inappropriée : la première c’est de boire beaucoup d’alcool d’un coup et à ce moment-là on peut détruire son foie brutalement; ça s’appelle l’hépatite alcoolique aiguë. La 2e c’est de boire de manière chronique l’alcool, on n’est pas obligé d’être saoul pour être face à une toxicité d’alcool. Le seuil de la cirrhose est très bas, c’est à peu près 2 verres de vin rouge par jour pour une dame et 3 verres pour un homme. Ce sont les seuils à partir desquels le risque de cirrhose augmente. Donc il faut éviter, et boire modérément de l’alcool.

La deuxième recommandation est au niveau alimentaire, de manger équilibré. La troisième est d’avoir une activité physique. Pour le tabac, il n’agit pas directement sur le foie, mais indirectement. Le tabac va aggraver d’autres maladies. L’idéal est de ne fumer aucune cigarette.

…et voici comment le protéger !

Si on essaie d’avoir une vie à peu près équilibrée sur le plan alimentaire, qu’on est prudent sur ce qu’on consomme au niveau de l’alcool, le foie va nous dire merci ?

Le foie ne sera pas exposé à la stéatose ni à la cirrhose alcoolique. Le risque de contracter le virus de l’hépatite B est aujourd’hui faible, l’hépatite C c’est essentiellement par transmission sanguine; les personnes toxicomanes doivent faire très attention à ce niveau-là. Après, il y a d’autres maladies plus rares comme les maladies auto-immunes où l’on ne peut pas faire grand-chose. Mais si on fait très attention, il y a beaucoup de maladies du foie qui vont disparaître, on n’aura même pas besoin de se préoccuper de savoir comment va son foie. Le foie est protégé par l’évolution, il est constitué de manière extrêmement complexe. Il se détoxifie tout seul. Il faut vraiment surtout éviter de l’exposer régulièrement à des alimentations et des comportements qui sont inappropriés par leur fréquence et par l’excès.

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