Blessures par arme à feu : « les Français doivent mieux se former »

Le médecin urgentiste marseillais Vincent Laforge a passé plus de vingt ans chez les marins-pompiers puis au Samu. Il travaille aujourd'hui à l'Assistance publique - hôpitaux de Marseille et s'est imposé comme un spécialiste des blessures par arme à feu. Ses connaissances servent aussi bien aux policiers qu'aux secouristes et aux chirurgiens de tout le pays. Près de 1700 personnes décèdent par arme à feu chaque année en France.

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Les armes à feu prolifèrent. Combien de personnes en sont victimes chaque année en France et dans le monde?

Dr Vincent Laforge : Le nombre des armes à feu reste relativement stable mais leur utilisation augmente un peu, pas nécessairement en France où on a plutôt un nombre stable, entre 1500 et 1700 morts par arme à feu par an; pas que des meurtres, une forte majorité de suicides. En gros, on est à 2% d’accidents, 9% d’homicides et 78% de suicides. Le reste on ne sait pas très bien ce que c’est. On est dans la moyenne européenne, mais on est des enfants par rapport aux Etats-Unis, où il y a 3,5 meurtres pour 100 000 habitants, ce qui représente 40 000 morts par an. C’est un vrai problème de santé publique. A une époque [aux Etats-Unis], il y avait autant de morts par arme à feu que par diabète ! C’est un problème sociologique, avec des lobbies extrêmement puissants, ce qui  explique que les taux ne diminuent pas.

C’est aussi un problème culturel puisqu’au Honduras, qui a le record, on est à 56 homicides pour 100 000 habitants. Alors qu’il y a des pays qui ne connaissent quasiment pas les plaies par arme à feu délictueuses, comme la Grande-Bretagne, le Japon, la Norvège ou même la Corée du Sud. Ce sont des pays avec une législation assez ferme et un contrôle très pointu des armes. Il faut dire qu’en France, on a été très gâtés en termes d’armes. On a bénéficié de toutes celles de la Seconde Guerre mondiale qui ont été parachutées. Et il en reste quelques-unes.

Suicides = 90% de mortalité; homicides = 75%

Revenons à Marseille. Dans votre carrière d’urgentiste, vous avez eu à intervenir régulièrement sur des blessures par arme à feu. Est-ce toujours très grave ?

Dans les trois-quarts des cas, oui. Car ce sont des armes faites pour tuer. Que ce soit pour les suicides, où on est à 90% de mortalité, ou pour les homicides, où on est à 70-75% de mortalité, on a des gens avec des armes puissantes, en particulier des armes qui peuvent tirer en rafales et qui laissent assez peu de chance aux victimes.

Entre un revolver ou une kalachnikov, qu’est-ce qui cause le plus de dégâts ?

C’est le revolver ou la kalachnikov manié par la personne la plus compétente. On peut très bien tuer quelqu’un avec un revolver. C’est plutôt difficile de rater quelqu’un avec une kalachnikov, en sachant que les gens qui s’en servent, en particulier dans les cités, ont tendance à tirer en rafales, ce qui n’est pas forcément nécessaire. L’arme la plus meurtrière est l’arme la mieux maniée par des gens bien entraînés.

Le fusil de chasse est l’arme la plus meurtrière

Vous avez démontré qu’un fusil de chasse occasionne des blessures potentiellement bien plus mortelles qu’une kalachnikov, pourquoi ?   

C’est vrai à courte distance, en dessous de 30 mètres, car il y a une grosse masse de projectiles. De la chevrotine neuf grains, donc la plus grosse chevrotine. Dans un fusil de calibre 12, il y a 33 grammes de plombs, alors que la munition de kalachnikov fait à peu près 8 grammes. Les munitions de fusil de chasse vont « balayer » un espace. La gerbe va commencer à s’expanser à la sortie du canon et il suffit d’une chevrotine pour arriver à tuer quelqu’un. On a une espèce de nuage de plombs beaucoup plus dangereux à courte distance. C’est d’ailleurs pour ça que la police est équipée maintenant de ce type d’arme, en particulier avec des balles Brenneke – et même les commandos -, même si ça pose des problèmes législatifs.

Vous avez écrit l’an dernier un guide sur la « balistique lésionnelle » (1) avec des photos de blessures impressionnantes. Cet ouvrage, vous le destinez notamment aux chirurgiens de nos hôpitaux. Il en ont vraiment besoin ?

Autant l’urgentiste a relativement peu besoin de connaître le type de projectile, parce que son rôle est de ramener rapidement et dans les meilleures conditions le blessé à l’hôpital. Autant il paraît utile que les chirurgiens aient quelques notions, ne serait-ce, par exemple, pour ne pas oublier une bourre, c’est-à-dire une pièce en plastique qu’il y a dans les munitions de fusil de chasse, dans l’abdomen du patient, parce que c’est une source d’infection. Qu’ils aient aussi une idée de la profondeur où la balle a pénétré. Là aussi, plus la balle va pénétrer profond, plus elle est dangereuse, puisqu’elle risque d’aller chercher des gros vaisseaux comme l’aorte ou la veine cave. C’est un livre très utile également pour les médecins légistes. Ce sont eux qui vont, in fine, expertiser, et cela peut aider à déterminer les distances et mes angles de tir. Ce qui peut changer beaucoup de choses, en particulier dans un procès.

Deux garrots dans sa voiture, au cas où…

On a beaucoup parlé en France du risque d’attentat. On l’a vécu il y a quelques années à Paris. Cela a-t-il poussé les médecins à se former à la prise en charge de nombreux blessés ?

Il est capital que, non seulement les médecins, mais tous les intervenants, voire le public, soient formés pour ce genre de chose. Il y a actuellement ce qu’on appelle le « dammage control », une notion militaire qui a été développée au moment de l’Afghanistan. On a remis au goût du jour le garrot, qui était vilipendé – on disait « surtout il ne faut pas mettre de garrot » – et là on s’est aperçu que le garrot sauvait des gens. Car ce qui tue les gens dans les plaies par arme à feu, c’est avant tout l’hémorragie et il faut à tout prix la stopper. C’est un des grands chantiers qui a été lancé, avec les pansements hémostatiques, ce qu’on appelle les « pansements israéliens »,  les ceintures pelviennes…

Il y a plein de matériels qui sont actuellement disponibles assez facilement, même s’ils sont assez onéreux, et qui peuvent vraiment changer le pronostic d’un patient. Moi-même, je n’ai pas grand-chose dans ma voiture, mais j’ai deux garrots, pas forcément pour une plaie par arme à feu, ça peut être aussi pour un motard.

Avec le LBD, attention aux yeux !

Les forces de l’ordre ont abondamment employé le lanceur de balle de défense, le fameux LBD, lors des manifestations de gilets jaunes. Il a engendré des blessures graves. Quelle est sa particularité sur le plan lésionnel ?

Le LBD 40, pour 40 millimètres, est une munition en caoutchouc, lestée, tirée par un lanceur normalement à des distances pas en dessous de 20 mètres. En théorie… Son but est d’être peu létal – je ne sais pas très bien ce que ça veut dire « peu létal »… ce sont des gens qui sont un peu moins morts ? Sérieusement, ce sont des munitions qui ne doivent pas pénétrer dans le corps humain, qui ne peuvent pas traverser la peau. Elles ont une vitesse initiale relativement lente et donc un gros calibre avec de la mousse. S’il y a un impact, en particulier au niveau des yeux, on peut très bien avoir une explosion des globes oculaires. C’est un des principaux risques. Sinon on peut aussi avoir des lésions dentaires, un écrasement de la peau ou de très gros hématomes.

(1) Le docteur Vincent Laforge a écrit deux livres sur le sujet : « La chair et le plomb » (L’Harmattan, 2019, 750p, 49€) qui raconte 700 ans d’histoire des armes à feu, et « Balistique lésionnelle » (Medhybride, 2021, 100p, 25€), un guide pratique d’analyse des blessures par balle richement illustré (âmes sensibles s’abstenir…).

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