Cet entretien a été réalisé par Finaritra Andriamihaingo et Abdi Abderraouf, étudiants en master 2 « Communication d’intérêt général » à l’Ecole de Journalisme et Communication d’Aix-Marseille Université, dans le cadre d’un projet tuteuré portant sur la campagne de prévention du cancer de la prostate organisée par MProvence.
Dr Géraldine Pignot : L’urologie est une spécialité assez vaste médico-chirurgicale qui prend en charge toutes les pathologies de l’appareil urinaire et notamment les cancers. Cela peut concerner le rein, la vessie, la prostate, les testicules ; mais effectivement une grosse partie de l’activité est consacrée au cancer du testicule.
1 homme sur 8 aura ce cancer et 1 sur 30 en mourra
Qu’est-ce que le cancer de la prostate et pourquoi est-il très important d’en parler ?
C’est le premier cancer en termes de fréquence chez l’homme et donc c’est pour ça qu’il est important de sensibiliser les hommes à ce cancer. Il faut savoir qu’un homme sur huit sera atteint d’un cancer de la prostate au cours de sa vie et on estime qu’un homme sur 30 va en mourir. Il se situe en termes de mortalité au troisième rang des décès par cancer ; donc il y a d’autres cancers qui tuent plus que le cancer de la prostate. Mais, on est quand même à 8 000 décès par an, ce qui veut dire qu’en moyenne on a un décès par heure en France du cancer de la prostate. Et donc c’est un cancer fréquent et qui tue. Voilà pourquoi il faut sensibiliser au maximum les hommes sur ce cancer.
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Ce cancer ne donne pas de symptômes, d’où l’importance du dépistage
Pourquoi est-il crucial de parler de la prévention et du dépistage du cancer de la prostate aujourd’hui ?
Ce cancer est un petit peu insidieux parce qu’il ne donne pas de symptômes particuliers. Donc les hommes ne vont pas se rendre compte des symptômes. Il va falloir leur proposer des tests de dépistage ou de diagnostic précoce pour pouvoir aller diagnostiquer ce cancer à un moment où la maladie est curable.
Quels sont les principaux facteurs de risque du cancer de la prostate ?
Il y a plusieurs facteurs de risque connus pour le cancer de la prostate. Le principal c’est les antécédents familiaux. On sait qu’il y a des gènes de prédisposition au cancer de la prostate ; et donc on va
systématiquement, en tant que médecin, rechercher des antécédents de cancer de prostate chez le père, le grand-père, les frères et également de cancer du sein ou de l’ovaire chez les sœurs, les mères, puisque ça peut être effectivement des mutations génétiques qui vont concerner les deux types de cancers, à la fois masculin et féminin.
Le deuxième facteur de risque important c’est l’ethnie. On sait que c’est un cancer qui est plus fréquent dans les ethnies afro-caribéennes plutôt qu’occidentales. Et donc là aussi, ce sont des patients qui vont pouvoir bénéficier d’un diagnostic précoce encore plus tôt en âge parce qu’on sait que dans ces ethnies là, le cancer est plus fréquent.
Des produits chimiques en cause
Et puis y a des facteurs environnementaux qui sont en train d’être découverts. Dans les facteurs environnementaux, on a notamment des produits chimiques qui ont des effets hormonaux qui sont des perturbateurs endocriniens. Celui dont on a beaucoup entendu parler récemment c’est la chlordécone, qui est un pesticide qui est utilisé aux Antilles. Mais, il y a probablement d’autres perturbateurs endocriniens qui peuvent être en jeu dans le
développement de ce cancer.
Quelles mesures les hommes peuvent-ils prendre pour réduire le risque de développer ce type de cancer ?
Il n’y a pas vraiment de mesures de prévention qui soient identifiées aujourd’hui. On sait, mais ça c’est valable pour tous les cancers, qu’une hygiène de vie et surtout une activité physique régulière vont
diminuer le risque de cancer ou le risque de récidive de cancer pour des patients qui en ont déjà eu un. Et donc ce sont des consignes en termes de règles hygiéno-diététiques que l’on conseille à tous les patients. Spécifiquement pour le cancer de la prostate, on n’a pas identifié de mesures de prévention qui soient réellement efficaces pour éviter le développement de ce cancer notamment chez les populations à risque : les ethnies dont on a parlé et les patients aux antécédents familiaux.
Compléments alimentaires : aucune efficacité prouvée
Existe-t-il un lien entre le mode de vie et l’alimentation et le risque du cancer de la prostate ?
C’est une question qu’on se pose souvent parce qu’il est vrai qu’on a entendu beaucoup parlé de ce qu’on appelle la chimio-prévention. C’est-à-dire comment est-ce qu’on peut soit par des médicaments, soit par
des vitamines, soit par l’alimentation, essayer de prévenir ou d’éviter le développement du cancer de la prostate. Alors pour le coup, on a des études qui ont été faites avec le sélénium, avec la vitamine E et finalement, eh bien on s’est rendu compte qu’aucun de ces oligoéléments ou vitamines ne permettait de réduire le risque de développement d’un cancer de la prostate. Donc, rien n’est probant même si effectivement on peut voir beaucoup de compléments alimentaires sur le marché aujourd’hui. Rien
n’est reconnu officiellement comme étant capable de faire diminuer ce risque de cancer de prostate.
Une grosse prostate n’est pas synonyme de cancer
Pourquoi le dépistage est-il si important dans le cancer de la prostate ?
Le cancer de la prostate n’est pas forcément grave mais il y a certaines formes qui vont tuer et ce qu’on veut dans le dépistage, ou plutôt dans le diagnostic précoce, c’est de justement pouvoir identifier la maladie à un stade où elle est curable, où on va pouvoir guérir nos patients et éviter que la maladie ne se développe vers quelque chose de plus agressif avec des métastases et une maladie qui peut impacter la survie de nos patients. Donc, toute l’idée du dépistage, qui est plutôt un diagnostic précoce, c’est de faire un diagnostic de la maladie à un moment donné où on va pouvoir impacter sur le pronostic.
C’est important parce que les patients n’ont pas de symptômes spécifiques en rapport avec le cancer
de la prostate. Ils peuvent avoir des symptômes urinaires en rapport simplement avec la taille de leur prostate, une hypertrophie prostatique, mais qui est non cancéreuse. Et par contre le développement
d’un cancer, lui, ne va pas être corrélé à la survenue de symptômes. Donc, on a des tests qui vont nous permettre effectivement d’anticiper et d’aller chercher ce cancer alors même qu’il n’y a pas de symptômes.
Toucher rectal et prise de sang pour commencer
Quels sont les principaux tests de dépistage et à quel âge est-il recommandé de commencer le dépistage ?
On a deux test principaux pour le dépistage du cancer de la prostate. Le premier c’est le toucher rectal. C’est une palpation de la prostate par le rectum qui va nous permettre de savoir si la prostate a une consistance normale ou si au contraire, il y a une induration à un endroit de la prostate qui pourrait être synonyme d’un foyer cancéreux. Le deuxième test, c’est un test sanguin, un dosage du PSA qui est une hormone assez spécifique de la prostate. C’est un bon marqueur. Quand il est élevé, il peut être le signe d’un cancer de la prostate. Il peut également être élevé pour d’autres raisons, une infection urinaire par exemple ou une hypertrophie de la prostate, c’est-à-dire une grosse prostate.
Mais en tout cas, le fait d’avoir un toucher rectal anormal ou un PSA élevé, ça va nous mettre une alerte. Et on va pouvoir ainsi développer par la suite d’autres tests et d’autres examens pour aller explorer un petit peu mieux la prostate : notamment avec une IRM (imagerie par résonnance magnétique) de la prostate qui est un examen qui aujourd’hui nous permet d’avoir un bilan morphologique de la prostate et de voir ce qui se passe à l’intérieur. Et si on voit une anomalie, une cible suspecte dans la prostate, eh bien on pourra aller à la troisième étape qui est la biopsie de la prostate : aller prélever un petit bout de cette prostate, notamment à l’endroit où on a l’impression de voir une anomalie à l’IRM, l’analyser pour voir s’il s’agit d’un cancer.
Surdiagnostic et surtraitement : la controverse
Certains disent que le dépistage peut conduire à un surdiagnostic. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie et pourquoi c’est un sujet controversé ?
Alors ça c’est très important parce qu’effectivement, quand on va faire un diagnostic précoce d’une maladie, on risque de diagnostiquer cette maladie à un moment donné où elle est peut-être indolente et où elle n’aurait finalement pas impacté la survie de nos patients. C’est ça, le surdiagnostic. C’est de faire un diagnostic alors que finalement le patient serait peut-être mort d’autre chose, il aurait vécu normalement avec peut-être un petit foyer cancéreux mais indolent, faiblement agressif, qui n’aurait jamais évolué dans le temps. Et on le sait aujourd’hui, on a réussi à mieux caractériser les cancers de la prostate. On sait qu’on a certains cancers très faiblement agressifs pour lesquels le risque évolutif dans le temps est faible ou en tout cas on a le temps avant de se dire qu’il faut les traiter.
Un cancer peu agressif, on le surveille sans le traiter !
Le problème aujourd’hui n’est pas tant celui du surdiagnostic, mais c’est le surtraitement. C’est-à-dire qu’à partir du moment où on a fait un diagnostic, il faut être capable d’identifier ces cancers indolents et faiblement agressifs pour ne pas aller jusqu’au traitement, pour simplement les surveiller de
près et ne les traiter que s’ils évoluaient vers une tumeur agressive. Donc, c’est plutôt un changement de paradigme. Pendant très longtemps il y a eu beaucoup de controverses en disant qu’il fallait arrêter le dépistage pour éviter le surdiagnostic et donc le surtraitement.
Aujourd’hui, le message qui est passé c’est « Faisons un diagnostic précoce de la maladie pour justement identifier les patients qui ont un risque élevé d’évoluer vers un cancer ». Et au contraire, si on identifie des maladies indolentes ou faiblement agressives, on pourra ne pas les traiter et simplement les surveiller.
La surveillance active, késako ?
Qu’est-ce que la surveillance active justement ? Dans quel cas est-elle recommandée et quelle est la fréquence des contrôles ?
Alors effectivement, la surveillance active est la solution pour éviter le surtraitement. A partir du moment où on a diagnostiqué un cancer à un stade très précoce et que l’on considère que ce cancer est peu agressif et indolent on va pouvoir, plutôt que de générer un traitement qui peut avoir des effets secondaires, le surveiller. Mais on va le surveiller de près. C’est pour ça qu’on parle de « surveillance active ». On va faire des (dosages de) PSA tous les 3 mois, des touchers rectaux tous les 6 mois et puis on va refaire une IRM de la prostate et des biopsies de la prostate généralement à un an, puis ensuite à 3 ans et 5 ans pour voir un petit peu comment les choses évoluent.
Et si dans le temps on voit que ces marqueurs là ne se modifient pas, que le PSA est stable, que l’IRM de la prostate nous montre toujours la même image et que les biopsies de la prostate nous montrent une tumeur qui n’augmente pas en termes d’agressivité, eh bien on pourra garder ce protocole de surveillance active. Si bien sûr la tumeur évolue, on va faire sortir le patient d’un protocole de surveillance active pour lui proposer un traitement curatif, qui serait une intervention chirurgicale ou de la radiothérapie par exemple.
Troubles urinaires et problèmes sexuels
Quels sont les avantages et les risques de la surveillance active par rapport à une intervention chirurgicale ou d’autres traitements plus agressifs ?
Si on a développé ce concept de surveillance active, c’est parce qu’en face les traitements qu’on propose – ou qu’on proposait pour prendre en charge nos patients qui avaient un cancer de prostate – étaient assez lourds de conséquences en termes d’effets secondaires. Ils pouvaient être pourvoyeurs d’incontinence urinaire ou de dysfonctionnement érectile, c’est-à-dire de problèmes sexuels. Et donc, on s’est rendu compte qu’il fallait bien identifier les patients qui allaient avoir besoin de ce traitement curatif parce qu’on allait significativement entraîner des effets secondaires qui allaient impacter leur qualité de vie.
On évite désormais le surtraitement
Aujourd’hui, on réfléchit beaucoup à cette balance bénéfice-risque : quel est finalement le bénéfice de ne pas opérer un patient tout de suite ou de ne pas lui faire de radiothérapie tout de suite pour qu’il puisse garder un maximum de qualité de vie ? Et finalement de ne lui proposer cette stratégie curative que si la tumeur évolue vraiment vers quelque chose de plus agressif en cours de surveillance active.
Donc, c’est tout le concept de la surveillance active. C’est d’éviter le surtraitement, d’éviter les effets secondaires en rapport avec les traitements plus agressifs que sont la chirurgie ou la radiothérapie. Et bien sûr, le risque, il est mineur parce que la fréquence de surveillance est très rapprochée. Donc on va effectivement adapter notre surveillance. Si on voit que le PSA monte trop vite, si on voit que l’IRM se modifie, on avancera le moment des biopsies pour ne pas perdre la chance de traiter notre patient efficacement. Donc finalement, le risque évolutif est très faible puisque le patient est surveillé de très près.
Messieurs, le dépistage débute à 50 ans
Quel message aimeriez-vous laisser aux hommes qui hésitent à se faire dépister ou qui se posent des questions sur cette maladie et sur le parcours de soin ?
Je leur dirais de ne pas hésiter à se renseigner auprès de leur médecin généraliste ou auprès d’un urologue sur les modalités de diagnostic précoce; de ne pas en avoir peur parce que diagnostiquer une
maladie, ce n’est pas forcément aller vers du surtraitement. On a ces stratégies de surveillance active qui nous permettent de bien identifier les patients qui vont avoir besoin d’un traitement et ceux pour qui on va pouvoir simplement surveiller la maladie. Et je leur dirais qu’effectivement le dépistage est aujourd’hui recommandé à partir de 50 ans.
En cas de facteurs de risque, c’est-à-dire s’il y a des antécédents familiaux de cancer de la prostate ou en cas d’ethnie afro-caribéenne, c’est même à partir de 45 ans qu’on se pose la question de ce dosage de PSA idéalement associé à un toucher rectal. C’est un petit test qui n’est pas très invasif et qui va permettre d’éliminer des maladies graves pour éviter que cette maladie ne tue encore des patients aujourd’hui, en 2024, alors qu’on a des solutions en termes de dépistage et en termes de traitements.
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