Cancer de la prostate : le diagnostic précoce sauve beaucoup de vies

Le Pr Romain Boissier, chirurgien-urologue à l’hôpital de la Conception (APHM), participe à la campagne d'information "La prostate, parlons-en pour vous protéger !" organisée par MProvence. Il explique l’importance du diagnostic précoce de ce cancer dès 50 ans. "C’est plus de 20% de gains en survie". Il suffit d’une prise de sang et d’un toucher rectal dans un premier temps. Un entretien réalisé par Ilham BELABBAS et Eve KEITA (étudiantes en Master 2 en Communication bien être et santé à l'Ecole de Journalisme et Communication d'Aix-Marseille Université).

La prostate parlons-en !

En tant que chirurgien-urologue, quelles sont les principales recommandations que vous donnez aux hommes pour prévenir les problèmes de cancer de la prostate ?

 

Professeur Romain Boissier : Il n’y a pas forcément d’attitude ou de mode de vie qui prévient vraiment du risque de cancer de prostate. On sait qu’il y a certains patients qui sont plus à risque, les Afro-Antillais en particulier, parce qu’ils font des cancers de prostate plus jeunes, plus graves, et de moins bon pronostic. Ensuite, mais ça on ne peut rien y changer, la deuxième chose, ce sont les patients qui ont des mutations génétiques familiales, comme celles du gène BRCA1 ou BRCA2, qui sont plus connues chez les femmes pour le cancer du sein et le cancer de l’ovaire. Chez les hommes, elles sont plus associées au cancer de prostate. Ça non plus, on ne peut pas y changer grand-chose. Ils font des cancers aussi plus jeunes, plus graves, et de moins bon pronostic.

Après, il y a des facteurs qui favorisent les cancers de prostate. Par exemple, dans les Antilles françaises, on sait que l’exposition à la chlordécone, qui est utilisée dans l’agriculture, est associée à une augmentation du risque de cancer de prostate. Sur le plan du rythme de vie, il n’y a pas de médicaments, pas d’aliments, ou pas de mode de vie qui préviennent vraiment du cancer de prostate.

95% des hommes qui ont un cancer n’ont aucun symptôme

Quels sont les signes précoces ou les symptômes que les hommes devraient
surveiller ?

Souvent, les Messieurs confondent l’adénome de la prostate, qui est le grossissement bénin de la prostate avec l’âge et qui donne surtout des soucis pour uriner – se lever souvent la nuit, pousser pour faire pipi -, avec le cancer de la prostate. Ce n’est pas du tout la même pathologie. La première est bénigne, la 2e est le cancer. À l’heure actuelle, plus de 95 % des hommes sont diagnostiqués dans le cadre de ce qu’on appelle le diagnostic précoce, ou ce qui s’apparente un peu à un dépistage. Sur le toucher rectal, on va sentir une anomalie de la prostate au cours d’une consultation, ou bien, le plus souvent, on fait un dosage d’un marqueur sanguin qui s’appelle le PSA, et on voit une élévation anormale de ce marqueur. 95 % des Messieurs n’ont absolument aucun symptôme de ce cancer là.

L’intérêt du diagnostic précoce, c’est de le diagnostiquer plus tôt, à un stade plus débutant, où on va pouvoir avoir des traitements plus efficaces. Avant que ce dépistage précoce ne soit mis en place, l’essentiel des Messieurs était diagnostiqué à des stades localement avancés ou métastatiques. C’était avant l’ère du PSA, c’était au début des années 90, c’était il n’y a pas si longtemps que ça, parce que le PSA ça date du début des années 90. Et en fait, à l’époque où le PSA n’existait pas, les pourcentages étaient inversés. C’était plus de 80 à 90 % des hommes qu’on diagnostiquait à un stade localement avancé ou métastatique. Dans ces cas-là, ce que le cancer de la prostate donne, ce sont des douleurs osseuses, parce que les métastases de cancer de la prostate, elles vont surtout sur les os. Donc, quand on avait un PSA élevé, des douleurs osseuses, c’était la circonstance de diagnostic la plus fréquente. Mais ça, c’était il y a plus de 30 ans. À l’heure actuelle, les gens n’ont aucun symptôme au diagnostic.

La « peur » de l’urologue : ça touche à l’intime

Suffit-il d’en parler à son médecin généraliste ou bien recommandez-vous
de consulter un spécialiste de la prostate ?

Normalement, dans le parcours patient, pour voir un spécialiste il faut avoir été orienté par un médecin généraliste. Maintenant, on communique assez largement avec les urologues sur l’intérêt du diagnostic précoce et comment il se passe. Il associe un toucher rectal que les généralistes ne sont pas toujours enclins à réaliser et préfèrent faire faire par un spécialiste. C’est pour ça qu’il y a les urologues qui sont ici. Mais après, les généralistes sont globalement bien au courant de l’existence du PSA, qui est ce marqueur sanguin du cancer de la prostate, et du fait qu’il faut le surveiller de façon annuelle à partir de 50 ans, et qu’il faut adresser le patient à un spécialiste en cas d’élévation du PSA. Les urologues ne peuvent pas forcément voir tous les hommes à partir de 50 ans en France, mais globalement, on communique bien sur l’intérêt de doser le PSA
passés 50 ans et d’adresser les patients à l’urologue pour compléter par le toucher rectal.

Pourquoi beaucoup d’hommes ont-ils si « peur » de voir un urologue ?

Parce que je pense qu’il y a beaucoup de patients qui n’ont pas forcément envie d’aller chez le médecin, d’une part, et puis la deuxième chose, c’est que oui, la consultation avec l’urologue va toucher à une zone intime. Les hommes ne sont pas toujours très enclins à avoir le toucher rectal, donc on ne les force pas, et puis on explique bien à quoi sert le geste, quel est le but. Donc, c’est pour ça effectivement que, globalement, les hommes de plus de 50 ans n’ont pas forcément envie d’aller voir un médecin, d’autant qu’ils n’ont aucun symptôme et que tout va bien, comme on l’a dit précédemment, juste parce qu’il y a une petite élévation d’un marqueur sanguin.

Même à 80 ans un homme en forme doit se faire contrôler

Est-ce qu’un homme de 70 ans qui ne s’est jamais fait dépister doit le faire ou bien cela n’a-t-il plus d’utilité? Et jusqu’à quel âge les hommes doivent-ils faire cet examen ?

Moi, je dirais oui, mais c’est mon avis, un peu personnel et un peu basé sur les études. Il n’y a pas de limite d’âge au dépistage. Ce qui est recommandé. On voit que le dépistage a globalement un intérêt à partir du moment où on a
encore 10 ou 15 ans d’espérance de vie, mais c’est quand même assez compliqué en consultation d’estimer de façon précise si un patient a encore 10 ou 15 ans d’espérance de vie. Il y a des nomogrammes qui existent, mais ce sont
des choses très moyennes. Et je pense qu’un patient qui a 75 ans, voire 80 ans, qui fait du sport tous les jours, qui est en pleine forme, qui ne prend pas de médicaments, et qui a l’âge physiologique d’un patient de 60 ans, c’est tout à fait licite de continuer à lui faire un dosage du PSA.

Voyez-vous beaucoup de patients qui arrivent trop tardivement en consultation, avec un cancer avancé ?

Cela arrive de plus en plus rarement parce que la pratique du PSA s’est généralisée, parce que les médecins généralistes sont au courant, parce qu’il y a des campagnes comme celles que vous organisez auprès des patients, et donc
c’est assez rare. C’est assez rare, mais on en a quand même de temps en temps. Ce sont les patients qui ont des facteurs de risque de cancer plus graves, les patients qui ont des mutations BRCA qui ne sont pas identifiées, dont on parlait
avant. Ce sont les patients des ethnies afro-antillaises qui ont des facteurs aggravants aussi. Donc, oui, le cancer de prostate, il ne décide pas qu’il apparaît à partir de 50 ans.

On a de temps en temps des patients qui sont un peu plus jeunes. C’est très rare, mais ça arrive, qui peuvent développer des cancers de prostate avant 50 ans. En général, ce sont des formes qui sont assez agressives et qu’on diagnostique plutôt à des stades localement avancés. Mais ça reste globalement rare. Je dirais que l’immense majorité des gens sont diagnostiqués sur une petite élévation du PSA, pour des valeurs qui sont assez basses et des cancers qui sont assez localisés. C’est moins de 10%, entre 5 et 10% des patients qui sont diagnostiqués à un stade d’emblée métastatique. Ça, malheureusement, ça existe encore à l’heure actuelle.

Le calcul du PSA servait à démasquer les agresseurs sexuels

Pouvez-vous expliquer en quoi consistent les tests de dépistage du cancer
de la prostate, tels que le PSA, et leur importance dans la prévention ?

Le PSA est un marqueur du cancer de prostate. Il a été identifié et corrélé à partir des années 50 pour caractériser le fluide séminal, le sperme, dans les allégations d’agressions sexuelles ou autres. C’est un peu plus tard que l’on a fait le lien entre le PSA, qui est une protéine spécifique de la prostate, et le cancer de prostate. Plusieurs études ont montré que plus le PSA est élevé, plus on avait un risque d’avoir un cancer de prostate, pour des PSA qui dépassent les 100, 150 voire peuvent aller jusqu’à 1000 ou 2000 chez des patients qui sont métastatiques. Le dosage s’est standardisé au début des années 90. Ils ont instauré ce marqueur pour le diagnostic précoce du cancer de prostate. Donc, les recommandations à l’heure actuelle sont de faire un toucher rectal et un dosage du PSA à partir de 50 ans, voire 45 ans chez les populations qui sont plus à risque, les Afro-Antillais ou ceux qui ont des mutations génétiques. Ce n’est pas vraiment un dépistage, car ce n’est pas un dépistage de masse, mais un dépistage individuel. On appelle plutôt ça, à l’heure actuelle, du diagnostic précoce.

Au-delà de 4, le médecin va s’interroger

Y a-t-il des nouvelles avancées ou des approches de prévention innovantes dans le domaine du cancer de la prostate ?

La première des approches innovantes, ce sont les campagnes d’information, vers les patients, comme celles que vous faites. Après, sur la technique, finalement, on n’a pas trouvé de meilleurs marqueurs que le dosage du PSA. Le principe d’un test de dépistage, c’est qu’il faut avoir un test qui est, d’une part, fiable et facile à faire, et reproductible. Le PSA, c’est ça, c’est juste une prise de sang, et puis un toucher rectal, c’est juste un « toucher rectal ». Il faut que ça permette de diagnostiquer le cancer à un stade précoce, et effectivement, on rapporte le taux de PSA au volume de la prostate pour voir s’il est normal ou pas. Mais globalement, le seuil, c’est à partir de 4, ça commence à être anormal. Mais je veux rassurer plein de Messieurs qui ont des prostates un peu grosses,
dues à ce fameux adénome passés 50 ans, qui augmente le volume de la prostate. Et quand on a une grosse prostate et un adénome, on a le droit d’avoir un PSA
un peu plus élevé. 4, ce n’est pas une limite stricte. Pour que le test de dépistage soit validé, il faut vraiment que ça permette de diagnostiquer la maladie à un stade plus précoce, ou cela va avoir un impact sur son traitement et permettre d’avoir des traitements plus efficaces. Mais ça, on a la réponse à l’heure actuelle, parce qu’on a des essais qui ont évalué cette stratégie là, et qui, avec 16 ans de recul, montrent qu’on a un gain de plus de 20% à se faire dépister. Ça diminue le risque de mourir d’un cancer de prostate.

Plus de 20% de gains en survie grâce au diagnostic précoce

Est-il souhaitable selon vous qu’un jour le dépistage du cancer de la prostate soit systématisé comme pour le cancer colorectal, ou le cancer du sein pour les femmes ?

Mon avis personnel, ce serait oui. Mais c’est vrai qu’à l’heure actuelle, on appelle plutôt ça du diagnostic précoce et pas vraiment un dépistage, du moins, pas un dépistage de masse comme celui du cancer du col de l’utérus, du cancer du sein ou du cancer colorectal. Maintenant, sur les stratégies de dépistage, on avance. On a quand même un essai européen qui montre, sur plus de 100 000 patients qui subissent ce diagnostic précoce de façon annuelle, qu’on a un bénéfice en termes de survie à réaliser ce diagnostic précoce. C’est plus de 20%
de gains en survie.

Et puis, on voit que cet essai, il a fallu qu’il mûrisse un peu, car au début, quand il est sorti avec 7 ans de recul, il y avait un petit bénéfice à traiter. Mais il fallait, pour éviter un mort d’un cancer de prostate, dépister 1 410 hommes et
traiter 48 hommes. Là, à 16 ans de recul, il ne faut plus en dépister que 570, et surtout, il faut en avoir traité plus que 18 pour éviter à un homme de mourir d’un cancer de la prostate. Ce qui, à mon sens, va en faveur du dépistage généralisé. Mais ça, c’est à nos instances de le valider. Pour le moment, en tout cas, ce n’est pas le cas.

Propos recueillis par Eve KEITA et Ilham BELABBAS

Le Pr Romain Boissier participera à la conférence organisée par MProvence : « La prostate, parlons-en pour vous protéger ! » jeudi 16 novembre à 16h30 à Marseille: Amphithéâtre Gastaut, Aix-Marseille Université, Jardin du Pharo, 58 boulevard Charles Livon, 13007 Marseille. Entrée libre.

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