Cancer du poumon : le comprimé c’est bien, le scanner serait l’idéal !

Présenté comme révolutionnaire lors du congrès de Chicago, le médicament pour traiter certaines formes de cancer du poumon est très efficace après la chirurgie et réduit de moitié le risque de décès. Mais il ne concerne qu'une petite proportion des patients. Ce comprimé est déjà administré en France, comme le rappelle le docteur Iliès Bouabdallah, chef du service de chirurgie thoracique à l'Hôpital Saint-Joseph à Marseille. Ce médecin insiste surtout sur l'intérêt de passer un scanner annuel de dépistage dès 50 ans quand on est un gros fumeur et plaide pour l'arrêt du tabac grâce aux substituts nicotiniques très efficaces et... remboursés..

Santé

Le cancer du poumon est le plus meurtrier avec plus de 33000 décès annuels en France et 1,8 million dans le monde, et il progresse nettement chez les femmes. L’espérance de vie à 5 ans ne dépasse pas 20%. Mais voilà qu’un traitement sous forme de comprimé, présenté au congrès de Chicago, sème de grands espoirs car il réduit de 50% la mortalité chez certains patients. Est-ce un médicament miracle ?

Dr Iliès Bouabdallah : Il ne s’agit pas du tout d’un miracle ! C’est simplement le fruit d’une meilleure compréhension des mécanismes du cancer, avec beaucoup d’espoir pour nos patients. Cela permet chez certains patients – pas tout le monde – d’améliorer grandement le pronostic avec ces résultats excellents. On en avait déjà la preuve parce qu’on avait depuis quelques années des résultats de survie, avec des gens qui ne progressaient pas dans la maladie, qui n’avaient pas de récidive. Maintenant, on a suffisamment de recul pour pouvoir parler de ce qu’on appelle la survie globale, qui là aussi est améliorée. C’est la première fois qu’on a une vraie preuve d’une survie globale améliorée grâce à ce traitement qu’on appelle une thérapie ciblée.

Un comprimé efficace pour 10% à 20% des malades

Comment agit précisément ce médicament ? Empêche-t-il la mutation de cellules cancéreuses vers les autres organes comme le cerveau ou le foie ?

La cellule cancéreuse est en fait une cellule normale qui d’un coup va devenir anormale, qui va devenir folle et se multiplier sans cesse jusqu’à devenir immortelle. Ces propriétés anormales sont causées par des mutations dans les gènes, dans l’ADN de cette cellule. Dans certains cas on arrive à identifier ces anomalies, ces gènes là dont on a parlé, et alors on peut espérer avoir un traitement qui cible ces anomalies. Mais il n’y en a pas beaucoup. On arrive aujourd’hui à identifier ces anomalies dans la moitié des cas, et pour quelques anomalies identifiées on a un traitement possible. C’est donc une toute petite partie des patients à qui on va pouvoir proposer un traitement, pour vraiment cibler cette mutation. C’est de la médecine sur mesure. Et c’est donc ça, le principe de la thérapie ciblée, comparativement à la chimiothérapie qui, elle, a aussi une action toxique puisqu’elle touche l’ensemble des cellules de l’organisme, les mauvaises comme les bonnes.

Quand on dit qu’une toute petite partie des patients est concernée, ça représente quel pourcentage de patients atteints d’un cancer du poumon ?

On estime qu’en France c’est entre 10 et 20%. Et demain on espère avoir d’autres traitements pour d’autres mutations, parce que là on parle uniquement de la mutation sur ce qui est appelé le récepteur de l’EGF.  A la fin on espère que chacun aura une médecine sur mesure, personnalisée, en fonction de l’ADN, de la carte d’identité de sa maladie.

La thérapie ciblée agit tel un sniper

On parle donc ici de thérapie ciblée.  Evitera-t-on la chimiothérapie qui, on le sait, est très difficile à supporter ?

On a les traitements systémiques avec les médicaments qu’on va prendre soit par la bouche, soit par les veines, et qui vont toucher l’ensemble de l’organisme. Là, c’est une autre forme puisqu’en fait, c’est généralement par voie orale. Aujourd’hui, on tend vers ce genre de traitement en première intention et ça semble prendre le pas sur la traditionnelle chimiothérapie que je compare à une « bombe atomique » puisqu’elle agit partout. Alors que là, avec la thérapie ciblée, c’est vraiment agir tel un sniper pour avoir un traitement beaucoup plus spécifique et ciblé. On développe autant que possible la personnalisation des traitements, des parcours. Cette décision va être prise lors d’une RCP (réunion de concertation pluridisciplinaire) où l’oncologue est un peu le chef d’orchestre. Avec ses confrères chirurgiens, radiologues, anatomo-pathologistes, il prendra la décision. Elle sera expliquée aux patients avec la balance bénéfice/risque. Bien que ce soit plein d’espoir, il n’y a jamais de traitement anodin. Celui-ci a potentiellement des effets secondaires, certes moins lourds que la traditionnelle chimiothérapie, principalement la diarrhée.

Chirurgie + comprimé

Ce médicament est-il déjà massivement diffusé en France ?

Oui. Il s’agit de l’Osimertinib, commercialisé par AstraZeneca sous le nom de Tagrisso. Il est accessible sur nos patients qui présentent cette mutation EGF au-delà du stade 1B. Les stades très, très précoces du cancer ne sont pas concernés parce que, pour eux, on considère que la chirurgie suffit. Dès que le stade est un peu plus avancé, on va proposer en plus de la chirurgie un traitement systémique sous forme de thérapie ciblée.  Aujourd’hui on l’emploie déjà. Avec l’annonce de ce week-end lors de la grande conférence annuelle de spécialistes du cancer à Chicago, on a simplement des données qui montrent que ça marche encore mieux que ce qu’on imaginait.

La nouveauté, c’est que ça confirme fortement ce qu’on espérait en termes de survie globale. C’est le meilleur critère en oncologie. Si on doit vraiment avoir une seule preuve de l’efficacité de traitement, c’est la survie globale. Mais pour avoir la survie globale, il faut attendre 5 ans. Dès 2020 en France on disposait des premières données de ce qu’on appelle la survie sans récidive et ça a suffi pour que, déjà en tout cas en France et aux États-Unis, on commence à utiliser ce traitement. Là, on est encore plus contents parce qu’on a enfin les données de survie globale, qui sont pour nous vraiment le Gold standard pour dire qu’un traitement marche ou pas.

« Avec le scanner de dépistage : guérir 60% des cancers »

Ce médicament n’est pas le seul espoir. Vous militez personnellement pour un dépistage précoce du cancer du poumon par scanner, à partir de 50 ans pour les gros fumeurs. Les Américains ont démontré de cette façon une nette diminution de la mortalité globale car un cancer dépisté tôt se traite plus facilement. Si ce dépistage par scanner était validé par les autorités sanitaires françaises, qu’attendriez-vous comme résultat ?

Ce serait l’arme la plus efficace pour guérir ce fléau! Le problème du cancer du poumon est que c’est une maladie insidieuse, découverte trop souvent tardivement avec, dans la majorité des cas, environ 80%, une maladie avancée. C’est uniquement dans 20% des cas qu’elle est découverte à un stade localisé et potentiellement guérissable. Donc si demain on met en place un dépistage, on espère faire passer ce seuil de 20% à 60% voire plus ! On changerait de paradigme ! Cela veut dire qu’on se retrouverait avec une maladie qui, dans la grande majorité des cas, serait potentiellement guérissable alors qu’aujourd’hui elle est dans la grande majorité des cas de pronostic sombre (NDLR : le taux d’espérance de vie à 5 ans pour un malade du cancer du poumon, tous stades confondus, se situe entre 17% et 20%).

Il s’agit là d’un enjeu majeur de santé publique, avec cependant des limites économiques et budgétaires, mais également liées au maillage du territoire français en équipements des machines, des scanners. Il faut être certain ensuite que les personnes concernées seront sensibles à ce dépistage et voudront le faire… Quand on voit les mauvais élèves que nous sommes en France ! Regardons le dépistage du cancer du côlon et du cancer du sein, qui sont des dépistages gratuits et pour lesquels on reçoit des invitations à les réaliser, on n’a pas 100% des gens concernés qui le font. Dans la région PACA ça tourne aux alentours de 30% des populations concernées pour le côlon, donc c’est assez décevant. Est-ce que, dans le cas du cancer du poumon, on arriverait à toucher les gens pour qu’ils aillent se faire dépister ?

A partir de 50 ans si on fume 1 paquet par jour

Quelles seraient les conditions pour passer un tel scanner de dépistage ?

A ce jour, elles ne sont pas encore définies de manière officielle par les instances françaises puisqu’on est encore dans un process d’expérimentation en vie réelle. Dans des pays au mode de vie similaire au nôtre tels que les pays nord-américains ou certains pays européens où ce dépistage existe déjà, il s’adresse de manière globale aux personnes âgées entre 50 et 80 ans ayant fumé plus d’un paquet par jour pendant au moins 15 ans. Cela fait quand même environ 2 millions de personnes (NDLR : sur environ 12 millions de fumeurs en France).

Ce dépistage n’est pas mis en place actuellement. Si malgré tout en tant que fumeur j’ai un doute, que puis-je faire ?

Il faut à ce moment-là se rapprocher de son médecin généraliste ou de son pneumologue pour pouvoir bénéficier de ce scanner de dépistage personnalisé. Nous espérons que demain il n’y ait plus besoin de se rapprocher de son médecin généraliste ou de son pneumologue et que ce soit la sécurité sociale qui prenne le lead et qui, automatiquement, convoque les personnes éligibles à faire ce dépistage par le fameux scanner faiblement dosé. A l’instar du cancer du sein ou du cancer du côlon où on reçoit l’invitation à son domicile.

« On sauve la vie de gens qui ne savent pas qu’ils ont un cancer »

En tant que chirurgien, vous recevez donc des patients qui ont passé ce scanner de dépistage alors qu’ils n’avaient aucun signe de la maladie ?

Eh bien oui ! Et c’est ça qui fait la force de ce dépistage ! On sauve des vies chez des gens qui n’ont aucun symptôme. Il ne faut surtout pas attendre d’avoir des symptômes pour consulter. Je le répète : le cancer du poumon est une maladie insidieuse. On n’a pas d’innervation à l’intérieur du poumon, donc on peut se trouver avec une masse tumorale de plusieurs centimètres sans aucun symptôme. Et quand elle fait plusieurs centimètres, généralement elle s’est développée et c’est souvent trop tard.

Aujourd’hui le cancer du poumon qui est guérissable, c’est celui qui est tout petit, qu’on ne pourra voir que grâce au scanner thoracique faiblement dosé. Il s’agit d’un examen rapide, qui dure quelques minutes et ne présente aucune douleur; il ne nécessite même pas d’injection. Il est très, très peu irradiant. C’est pour nous aujourd’hui le meilleur moyen de découvrir cette maladie le plus tôt possible, pour pouvoir avoir un objectif de guérison.

L’arme la plus efficace réservée à ceux qui ont de la « chance »

C’est extrêmement frustrant pour un chirurgien qui sait qu’il a une arme efficace contre le cancer du poumon mais que, cette arme, il ne peut pas l’offrir à la majorité, qu’elle reste réservée à ceux qui ont eu la « chance » qu’on trouve leur maladie par hasard. Demain on aimerait que le pronostic des gens ne soit pas mis entre les mains de la « chance » mais plutôt entre les mains d’un dépistage systématisé proposé par la sécurité sociale. Toutes les sociétés savantes qui travaillent dans le cancer du poumon attendent cela. Ce seront peut-être finalement des associations de patients qui arriveront à mettre ça en avant. Cela supposera ensuite de sensibiliser les fumeurs pour qu’ils réalisent ce scanner.  Probablement que la réussite passera par le médecin généraliste et le médecin du travail qui expliqueront la pertinence de ce dépistage. Mais ça ne va pas sans la prévention bien sûr.

Arrêter de fumer mais recevoir sa dose gratuite de nicotine

Comment aider les fumeurs à franchir le pas, à surmonter la peur d’un dépistage qui peut révéler un cancer ?

Il ne faut absolument pas être dans la moralisation mais soutenir ces personnes-là. A l’hôpital Saint Joseph nous sommes en train de mettre en place un partenariat avec la Ligue contre le cancer pour essayer de faire des groupes de personnes qui veulent être aidées au sevrage tabagique. On le fera en dehors des murs de l’hôpital, dans la Maison bien-être de la Ligue, qui est en centre-ville de Marseille. Rappelons qu’en France, quand on veut arrêter de fumer, les substituts nicotiniques sont remboursés à vie. Ce dont on a besoin quand on est fumeur, c’est de sa dose de nicotine. Ce n’est pas de goudron ni même de quelque autre produit cancérigène qu’on trouve dans la cigarette. C’est uniquement de la nicotine et on peut en prendre toute sa vie à travers les substituts si on veut.

Le beau pays qu’est la France rembourse à vie si besoin les substituts nicotiniques, ça coûte quand même moins cher que d’aller acheter un paquet de cigarettes tous les jours! On peut être aidé à vie pour arrêter de fumer. Cela peut également passer par des soutiens psychologiques, du sport, de la méditation. Il existe une très belle application qui est faite par le site Tabac Info Service. Il y a de multiples façons d’être aidé, et il faut se faire accompagner de préférence quand on va arrêter de fumer, sinon c’est trop dur. Je ne crois pas qu’il y ait une seule bonne façon mais il faut essayer. Un échec ne veut pas dire qu’on n’y arrivera pas plus tard.

« Si un type te casse la figure, tu portes plainte… »

Si j’ai fumé pendant 30 ans ou 40 ans un paquet par jour, et même plus, est-ce que ça « vaut le coup » de m’imposer un arrêt du tabac que l’on sait très difficile ? Finalement, est-ce que ce sera bénéfique pour ma santé ou bien c’est malheureusement trop tard ?

Oui, oui et oui ! A tout moment arrêter de fumer est bénéfique ! D’abord on sait malheureusement que le tabagisme ce n’est clairement pas que le cancer du poumon, que ça touche les maladies cardiovasculaires qui sont la première cause de mortalité dans le monde et en France. Concernant les cancers, ça touche donc le poumon, les cancers ORL, les cancers urologiques. Fumer va engendrer des tonnes de lésions sur l’organisme. Le message à faire passer est le suivant : en arrêtant de fumer vous allez vous faire du bien. On en voit le bénéfice au bout de quelques années avec une diminution drastique du risque cardiovasculaire.

Par contre, pour ce qui est du cancer, c’est vrai que malheureusement il y a un effet cumulatif. Ce n’est pas parce qu’on arrête de fumer que d’un coup on n’a plus de risque de cancer du poumon. Il faut quand même savoir que de toute manière, quel que soit le traitement qu’on fait pour le cancer du poumon, la survie est améliorée lorsqu’on arrête le tabagisme. Celui qui continue à fumer se met en difficulté. Si on décide de lutter contre un des ravages du tabagisme, que ce soit le cancer du poumon ou les maladies cardiovasculaires, il faut également arrêter ce qui en est responsable, c’est-à-dire le tabagisme.

Je vais faire un comparatif : imaginons que vous croisez un type dans la rue qui n’aime pas trop votre visage et qui vous roue de coups pour de multiples raisons. Les médecins viennent à vous réparer, vous guérir et vous laisser rentrer chez vous. Eh bien après vous n’iriez pas tous les jours prendre le café avec le mec qui vous a démoli la figure ! Vous iriez plutôt porter plainte contre lui ! C’est pareil avec le tabagisme.  Si on a demain une pathologie liée au tabac et qu’on poursuit son intoxication tabagique, il y a un problème de compréhension. Je ne dis pas que c’est facile mais qu’il faut prendre toutes les armes possibles pour y arriver et il y en a plein à disposition. Il faut trouver celle qui nous convient.

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