Le cancer du sein est le premier cancer féminin. Il touche 60 000 femmes et cause environ 12 000 décès chaque année en France (âge médian au moment du décès : 74 ans). Comme tout cancer, il impacte la vie quotidienne dans son ensemble et jusque dans la sphère intime. Quand survient l’annonce d’un cancer du sein, on imagine, peut-être à tort, que la sexualité devient un détail dans la vie des patientes. Est-ce le cas ?
Dr Laura Couka Tenoudji-Cohen : Oui. Il est vrai qu’avec le choc de l’annonce, on se projette déjà dans les traitements lourds qui vont suivre. On a peur, on veut savoir si on va vivre ou mourir. On pense déjà à des choses beaucoup plus graves que la sexualité.
Aborder la sexualité dès l’apparition du cancer
Est-ce que ce sujet est abordé tardivement ou pas du tout par la patiente, ou par le médecin ?
On a fait des progrès sur ça. On est en plein dedans. Les dernières recommandations de OncoPaca sont sorties il y a un an ou deux sur sexualité et cancer. Maintenant ou nous demande – notre équipe le faisait déjà – de prévenir, d’informer avant même que les troubles apparaissent et de prendre cela en charge tout au long du traitement du cancer, pendant les traitements et pour l’après cancer. Donc c’est quelque chose qui maintenant se fait beaucoup mieux. Des prospectus sont déposés en salle d’attente et distribués lors de l’annonce du cancer, des discussions ont lieu que ce soit avec l’oncologue ou le gynécologue au moment ou avant de prescrire les premiers traitements, ou lors d’une simple consultation. Parfois je vois des patientes qui viennent pour ce motif là en consultation. Ce sont elles-mêmes qui motivent la demande.
A 40 ou 50 ans, la vie sexuelle ne s’arrête pas !
Précisons aussi que si l’âge médian au moment du diagnostic est de 64 ans, le cancer du sein frappe un certain nombre de femmes assez jeunes et dont la sexualité fait pleinement partie de la vie de la personne…
Complètement ! C’est vrai que malheureusement aujourd’hui le cancer du sein touche de plus en plus de femmes et en plus des femmes de plus en plus jeunes. Si on voit les recommandations, la mammographie c’est censé être à partir de 50 ans. Mais c’est vrai qu’on a beaucoup, beaucoup de patientes qui ont entre 40 et 50 ans et qui ont des cancers du sein. Donc ce sont des femmes jeunes et il est inenvisageable de leur dire que leur vie sexuelle s’arrête au moment de leur diagnostic de cancer. C’est le premier point.
Ensuite, heureusement, le cancer du sein est un cancer qui se soigne bien. Du coup il faut qu’elles apprennent à vivre avec et à penser à l’après aussi.
Hors période de chimio, la sexualité est « possible »
Est-ce qu’une sexualité est possible pendant le traitement du cancer ?
Oui c’est possible. Il y a des phases. Très souvent, quand il y a la chimiothérapie, c’est difficile. Il y a beaucoup de fatigue, elles viennent de manière fréquente à l’hôpital. La perte des cheveux peut altérer un peu la féminité, le désir. Il y a les vomissements, tous les effets secondaires de la chimiothérapie. Peut-être que pendant cette phase, ça va passer au second plan, mais après ça regarde le couple. Mais oui, hors période de chimiothérapie, bien sûr que c’est possible.
Sécheresse et atrophie vaginale
Si le cancer survient à un âge relativement avancé et après la ménopause notamment, est-ce que le cancer du sein ne risque pas de signer la fin de la vie sexuelle chez la femme ?
Eh bien non ! On travaille pour que non justement ! C’est tout notre but, pour que le cancer du sein et les traitements ne signent pas la fin de vie sexuelle ! Il y a plusieurs aspects. D’abord le cancer du sein touche – selon les chirurgies et même sur une petite chirurgie – principalement à la poitrine et à la féminité de la femme. Cet aspect-là est très important à prendre en compte.
Le 2e problème qu’on a dans le cancer du sein, c’est l’hormonothérapie qu’elles ont pendant 5 ans, voire même maintenant 7 ans. Ce sont des traitements prolongés et qui vont entraîner une grande sécheresse et atrophie vaginale. Elles vont se retrouver avec des muqueuses qui vont être très sèches, qui vont être abîmées, par exemple à 40 ans ou même parfois plus jeune, où elles n’auraient pas dû être confrontées à cet aspect-là de leurs muqueuses. En plus ça arrive souvent brutalement, alors qu’avant la ménopause ça peut arriver de manière plus insidieuse, on commence à préparer un peu avec des crèmes, des traitements topiques. Mais là ça va arriver brutalement lors du traitement. Donc il y a ces 2 aspects-là qui vont entraîner des troubles de la sexualité et c’est surtout cela qu’il va falloir que l’on prenne en charge.
Quel rôle pour l’homme ?
Comment le conjoint doit-il aborder ce sujet sans passer pour un obsédé ou sembler en total décalage avec la femme, en voulant conserver une sexualité comme avant la maladie ?
Un obsédé, non. C’est juste préserver leur vie intime qu’ils ont eue jusqu’à présent. Aucun médecin ne le traitera d’obsédé. Chaque partenaire va réagir de manière différente. Il va y avoir des hommes qui vont être très compréhensifs, qui vont être patients, qui ont compris l’enjeu et qui vont accompagner leur femme dans les traitements et dans la réhabilitation sexuelle pendant et après le cancer.
Le désir revient, il faut prévenir les douleurs
Une fois le traitement réalisé, constatez-vous que le désir revient chez les patientes ? Est-ce une de leurs préoccupations ?
Oui c’est une préoccupation des patientes parce que c’est vrai que pendant les premiers mois, elles vont être assez figées et elles vont se concentrer sur leur traitement. Mais après, heureusement, elles vont aller mieux et elles vont recommencer à essayer d’avoir des relations intimes. Si elles n’ont pas été prévenues des conséquences que peuvent avoir les traitements, c’est là où elles vont se heurter à des douleurs, à des difficultés, et qu’elles vont revenir nous voir. C’est dommage parce qu’aujourd’hui on a la chance d’avoir des traitements. Le problème qu’on a dans le cancer du sein, c’est que c’est un cancer hormono-dépendant. Aujourd’hui les traitements qu’on a pour les femmes ménopausées qui ont de l’atrophie vaginale essentiellement, c’est le traitement hormonal local. Ce à quoi elles sont contre-indiquées. Donc c’est pour ça que jusqu’à présent on n’avait pas d’armes thérapeutiques pour aider ces patientes là.
Laser, acide hyaluronique : des solutions
Le seul problème est que, pour le moment, ce n’est pas pris en charge (NDLR, par l’Assurance Maladie). Mais on est ravi parce qu’il y a des nouveaux traitements qui sont sur le marché depuis dix à quinze ans et qui nous permettent de faire de la réhabilitation vulvaire et vaginale sans passer par les traitements hormonaux. Je pense par exemple au traitement par laser qui va pouvoir entraîner une restauration de la muqueuse vaginale, aux traitements par acide hyaluronique. Ce sont des injections d’acide hyaluronique qu’on fait, comme au visage, mais qu’on peut faire à l’entrée (du vagin), qui vont permettre de réhydrater parce que c’est souvent cette zone qui fait mal en début de pénétration. On a plein de traitements qu’on peut offrir aux femmes. Il y a aussi le travail réalisé avec les sexologues et les kinés.
Une sexualité différente mais qui fonctionne totalement !
Comment se réapproprier son corps quand il a été modifié par l’ablation d’un sein et une reconstruction qui se voit parfois très clairement ?
Il y a un vrai travail d’équipe qui va être mis en place. Il n’y a pas que la réhabilitation « anatomique ». Pour avoir une vie sexuelle aboutie, on sait qu’il n’y a pas que l’anatomie. Il y a le côté désir, un peu psychologique – se sentir bien. Il y a plein de facteurs qui vont rentrer en jeu, avec le rôle du psychologue ou du sexologue. Il faut qu’elles en parlent pour réapprendre à se réapproprier leur nouveau corps, de manière différente. Mais pour autant il y a une nouvelle sexualité, qui ne sera peut-être pas la même que celle qu’elles avaient avant le cancer du sein, mais qui va totalement fonctionner.
Se réapproprier son nouveau corps
Et qui est selon vous très importante pour la réhabilitation globale de la patiente dont le cancer du sein finalement est passé ?
Complètement ! C’est vraiment une prise en charge globale. Il y a plusieurs aspects pour une sexualité aboutie donc il y aura plusieurs aspects dans la prise en charge. C’est évident. Il y a le rôle du partenaire, il y a elle – il faut qu’elle se sente mieux. Nous, on va faire ce qu’il faut au niveau de l’atrophie par les traitements dont je vous ai parlé, de laser, l’acide, tout ça, mais c’est vraiment une prise en charge globale pour qu’elle aille mieux, qu’elle se réapproprie son nouveau corps et que ça puisse bien se passer.
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