Cancer du sein : un dépistage tardif peut être mortel

Une femme sur 8 développera un cancer du sein au cours de son existence. 55 000 femmes, mais également 500 hommes, se découvrent ainsi un tel cancer chaque année. Il se soigne très bien lorsqu'il est dépisté à temps, mais tue aussi chaque année 11 500 malades. Tous les 28 jours le risque de mortalité double en cas de dépistage tardif. Chirurgien et gynécologue à l'Hôpital Saint-Joseph de Marseille, le docteur Elisabeth Chereau-Ewald opère des femmes de 30 à 95 ans. 90% n'ont pas fait de récidive cinq ans plus tard, mais elle préfère pourtant parler de "rémission" et non de "guérison". Une ancienne malade ne doit jamais relâcher la surveillance.

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Ce cancer est le plus mortel chez les femmes. Sont-elles suffisamment informées du risque qu’elles encourent ?

Docteur Elisabeth Chereau-Ewald : Avec toutes les campagnes faites par la Sécu, les dépistages organisés en région, notamment en région Paca avec Arcade, tout cela fait que les patientes sont bien informées. Il y a aussi des campagnes régulières par mail et des affichages publicitaires. Arcade fonctionne très bien les patientes sont convoquées tous les deux ans pour une double mammographie avec une relecture systématique. Le dépistage organisé permet de réduire la mortalité du cancer du sein de 15 à 20%. Certaines choisissent cependant de ne pas effectuer ce dépistage.

Combien d’entre elles font ce choix ?

Beaucoup de patientes sortent du dépistage car elles ont un suivi hors dépistage qui est presque trop fréquent. Elles réalisent une mammographie annuelle, ce qui est trop par rapport à ce qui est demandé, notamment par les risques de mammographies répétées. On ne peut pas savoir exactement quelles sont les patientes qui rentrent dans le dépistage ou qui sont dépistées par des prescriptions faites par le médecin ou le gynécologue.

Retard du diagnostic : chaque mois le risque de mortalité double

11 500 femmes décèdent d’un cancer du sein en France. La faute à des dépistages tardifs ou inexistants ?

Le dépistage tardif fait qu’on découvre des cancers du sein à un stade plus agressif, avec plus de mortalité. Cela a été bien montré avec le Covid. Les retards dans le diagnostic ont montré des cancers dépistés à un stade plus tardif. En gros, toutes les 4 semaines on double presque le risque de mortalité. Il y a plusieurs types de cancer du sein. Il y en a qui sont peu agressifs. Ils vont se développer très peu rapidement et donc un diagnostic plus tardif ne donne pas un risque de mortalité plus élevé. En revanche d’autres cancers sont beaucoup plus agressifs et chaque semaine de « perdue » augmente le risque de lésions plus évoluées, avec des métastases ganglionnaires ou des métastases à distance. Et donc une mortalité plus élevée.

Quels sont les traitements possibles ?

Le traitement classique, c’est d’abord plutôt de la chirurgie : enlever la tumeur et prélever des ganglions pour vérifier qu’il n’y a pas d’atteinte ganglionnaire. Cela est suivi classiquement d’une radiothérapie mammaire puis d’un traitement antihormonal. Certains cancers sont plus agressifs ou plus évolués localement et peuvent nécessiter parfois une chimiothérapie première, avant la chirurgie, ou une chimiothérapie adjuvante, après la chirurgie.

Des patientes opérées qui ont de 30 à 95 ans

Est-ce une intervention lourde, et comment se décide la suite du traitement ?

On a beaucoup travaillé sur le bilan pré-thérapeutique, c’est-à-dire qu’on va essayer d’avoir toutes les informations avant la chirurgie et d’initier le traitement, donc la taille de la tumeur, le statut ganglionnaire, quitte à refaire des échographies ou des IRM avant de prendre une décision. On a besoin des données de biopsie, pour savoir s’il y a des récepteurs hormonaux, est-ce que la tumeur exprime  la protéine HER2, quel est le grade histologique… Tout cela nous permet de prendre une décision en réunion de concertation pluridisciplinaire. Souvent on est capable d’informer les patientes dès le départ, à savoir s’il y aura une chimiothérapie après la chirurgie, mais pas toujours.

Quel est l’âge des femmes que vous prenez en charge ?

On a des patientes qui ont 30 ans voire moins, jusqu’à 95 ans. Le dépistage organisé s’arrête à 75 ans mais en pratique on voit des patientes beaucoup plus âgées parce que les gens vivent beaucoup plus longtemps et parfois très en forme. Je dirais que 50% des patientes ont entre 50 et 70 ans.

« Pourquoi moi ? Je ne fume pas, je ne bois pas ! »

Dans quel état d’esprit sont-elles ? Que vous disent-elles ? Sont-elles choquées ?

Il y a souvent un profond sentiment d’injustice. Elles arrivent et demandent : pourquoi moi ? Je ne fume pas, je ne bois pas , je n’ai pas d’antécédents familiaux. C’est la plupart des gens finalement. Après, le cancer du sein est heureusement, dans 90% des cas, une maladie qui est tout à fait guérissable. Une fois qu’on leur a expliqué que, dans la plupart des cas, les choses allaient bien se passer, ce sentiment d’injustice est un peu estompé.

Evidemment, il y a une répercussion sur la féminité puisque le sein touche la féminité. Donc le type de chirurgie qu’on va effectuer va être très important. Notre rôle est de rassurer les patientes sur le fait que la chirurgie n’est pas toujours délabrante. Et même si elle est délabrante, il y a après des possibilités de reconstruction. Bien sûr un accompagnement psychologique est mis en place, mais souvent à la demande, car pour être honnête il faut dire que beaucoup de patientes n’en veulent pas.

Comment repérer un cancer du sein soi-même

Vous le conseillez, cet accompagnement psychologique ?

Je le conseille, mais il n’est pas toujours facile à organiser. Les structures sont faites de telle manière qu’on a les psychologues hospitaliers qui voient les patientes hospitalisées. Après, il y a un réseau de ville souvent surchargé et en post-Covid trouver un psychologue pour faire du suivi, ce n’est pas évident.

Une parenthèse sur nous les hommes : c’est méconnu, mais nous sommes également concernés par le cancer du sein…

A peu près 1% des cancers du sein ont lieu chez les hommes. Souvent c’est dans le cas de mutations génétiques, notamment les mutations BRCA. Il y a souvent des antécédents familiaux. La prise en charge est quasiment similaire à celle de la femme, mais il faut absolument organiser une consultation d’onco-génétique chez les hommes qui font un cancer du sein afin de voir s’il y a un gène ou pas. Car un gène familial peut concerner les hommes aussi.

Comment ça se repère un cancer du sein, c’est la boule qu’on sent à la palpation ?

Tout à fait. Une boule ou un ganglion. Quelquefois on peut aussi avoir un écoulement mamelonnaire, un peu de sang qui sort du mamelon. Cela peut être un signe diagnostic important.

Ablation et reconstruction d’un nouveau sein le même jour

Comment se passe l’intervention et comment se déroule le post-opératoire ?

Avant l’intervention, les patientes sont vues en consultation par le chirurgien, et souvent revues par le radiologue pour refaire le bilan. Puis elles verront l’anesthésiste. L’intervention se déroule sous anesthésie générale, soit en ambulatoire, soit avec une courte hospitalisation selon ce que la patiente désire. L’intervention chirurgicale dure entre 1 et 2 heures. Après, les patientes rentrent chez elle rapidement, avec des soins à domicile et des pansements tous les deux jours. Puis elles sont revues 15 jours après l’intervention en consultation avec les résultats de l’analyse de la tumeur et des ganglions qui ont été enlevés. C’est à ce moment-là qu’on prendra la décision des traitements adjuvants (chimiothérapie, radiothérapie et autres traitements).

C’est alors qu’interviendra la reconstruction mammaire. En quoi consiste-t-elle ?

La reconstruction intervient quand on décide d’enlever le sein en pratique. On peut soit faire une reconstruction mammaire immédiate, dans le même temps on va mettre une prothèse ou un lambeau. Donc la patiente sort du bloc opératoire avec un nouveau sein. Soit une reconstruction secondaire, c’est-à-dire que le jour de l’intervention on ne peut pas avoir programmé une reconstruction immédiate. Notamment quand les patientes ont des tumeurs avancées et qu’on sait qu’il va y avoir derrière une radiothérapie ou des traitements lourds. On ne veut pas prendre du retard pour les autres traitements.

Un muscle du dos pour reconstruire un sein

Il arrive aussi que la patiente ne souhaite pas de reconstruction, donc on fait juste une mastectomie, on enlève le sein. La patiente sort du bloc sans sein. La reconstruction peut être faite dans un délai de 6 à 12 mois après.

Les types de reconstruction, c’est par prothèse ou par lambeau. On va prendre de la peau et du muscle ailleurs, soit dans le dos soit au niveau du ventre pour combler le déficit. Ici on a pour habitude de travailler de concert avec les plasticiens, en double équipe. Le chirurgien oncologue va faire la partie oncologique d’exérèse – le sein, les ganglions – et dans un second temps mais pendant la même intervention, le plasticien va faire la reconstruction.

Des solutions contre les difficultés sexuelles

Quelles sont les autres séquelles potentielles du traitement ? On pense au syndrome du gros bras, à l’impact sur la libido également.

C’est vrai que dans le cancer du sein il y a plusieurs types de séquelles. Celles de la chirurgie : l’hématome, l’infection, le sein qui peut rester dur, inflammatoire. Quand on enlève les ganglions on peut avoir un risque de lymphoedème, c’est le gros bras. Aujourd’hui on fait vraiment assez peu de curage ganglionnaire extensif, on n’enlève pas tous les ganglions sous le bras. On prélève le ganglion sentinelle, donc quelques ganglions. Le risque de lymphoedème après prélèvement du ganglion sentinelle est faible, autour de 5%. Ce sont les séquelles de la chirurgie et de la radiothérapie, qui va potentialiser les effets de la chirurgie notamment sur le risque de sclérose et de fibrose du creux axillaire. On peut avoir également des lymphocèles, de la lymphe, du liquide qui va se mettre dans le sein, qui peut nécessiter de l’évacuer de manière itérative (répétée).

Après, on a des complications à long terme. Des traitements antihormonaux vont agir comme si on supprimait les hormones, qu’on mettait une sorte de ménopause un peu exacerbée, donc avec des problèmes de libido, de bouffées de chaleur, de douleurs articulaires, de sécheresse vaginale. On peut avoir des difficultés de sexualité du fait des traitements et des modifications physiques induites par les traitements. Et pour ça, on essaie lors de la consultation de fin de traitement de faire le point sur les plaintes des patientes et de pouvoir les adresser. Il y pas mal de choses qu’on peut faire avec des médicaments des crèmes locales, ou on fait du laser parfois.

On a ici aussi à Saint-Joseph des ateliers d’éducation thérapeutique pour les patientes sous traitement antihormonal qui permettent de les accompagner dans le sport. Le sport associé au cancer, l’activité physique adaptée, c’est très important et permet de réduire le risque de récidive de cancer d’une part, et de beaucoup mieux tolérer les traitements, notamment antihormonal.

La récidive peut survenir 20 ans après le traitement

Peut-on parler de cancer « guéri », définitivement, donc sans risque de rechute même très tardive ? Et dans combien de cas ?

Je suis un peu prudente, je n’aime pas parler de « guérison » dans les cancers. Les patientes attendent beaucoup ce mot là, je préfère le mot « rémission ». On sait que 90% de ces patientes qui ont un cancer du sein, à 5 ans elles iront bien et n’auront pas fait de récidive. Mais parfois, notamment dans les cancers du sein qu’on dira « peu agressifs », qui sont hormono-dépendants, la récidive peut survenir à 15, 20 ans. Donc on dit aux patientes qu’il faut les suivre à vie. Plus précisément les cinq premières années. Selon le type de tumeur, le risque de récidive va être plus important au début ou au contraire très tardivement. Moi j’aime bien parler de rémission, et dire aux gens qu’il faut continuer le suivi très longtemps.

Si la mère d’une femme a eu un cancer du sein, est-elle elle-même très à risque d’en développer un ? Car c’est la question finalement que se pose chaque fille.

On voit en consultation beaucoup de gens qui ont des antécédents qu’on appelle familiaux de cancer du sein, s’il y a dans la famille la mère, la tante, la grand-mère, qui ont fait des cancers du sein. Cela représente quasiment 20 à 30% de nos patientes. Pour autant, aujourd’hui, il n’y a que 5 à 10% des cancers qui sont avec prédispositions génétiques, avec une mutation génétique. Il y a beaucoup plus de patientes qui ont des antécédents que celles qui ont un vrai risque génétique. Donc il faut rassurer ces patientes.

Soit on est dans le cadre d’une famille avec une mutation identifiée, et dans ce cas le risque est important mais elles ont un suivi très spécifique mis en place pour ça. Soit on est dans une famille où il y a des cancers du sein – mais finalement comme dans toutes les familles tant le cancer du sein est fréquent, puisqu’une patiente sur 3 a des antécédents familiaux -, dans ce cas-là il faut bien insister sur la nécessité du dépistage et du suivi régulier.

 

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