Ce cancer oublié qui menace surtout les fumeurs

Les fumeurs redoutent surtout le cancer du poumon, peut-être celui de la gorge, et bien sûr l'infarctus. Il est un autre cancer que l'on associe peu au tabac, et pourtant il est impliqué dans 85% des 13 000 nouveaux cas par an : le cancer de la vessie. Les techniques ont progressé pour sa prise en charge. Et il est utile de savoir repérer ses symptômes. Tour d'horizon avec le docteur Géraldine Pignot, chirurgien urologue au centre de traitement du cancer Paoli-Calmettes à Marseille.

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Docteur Géraldine Pignot : Elles sont multiples. Mais la plus fréquemment retrouvée, c’est l’exposition tabagique, le fait d’avoir fumé, dans plus de 85% des cas. Car le tabac contient des goudrons et des carcinogènes, qui sont éliminés par l’organisme via le système urinaire et qui se retrouvent donc dans la vessie au contact avec le revêtement interne de la vessie. Et c’est cela qui entraîne une cancérisation des cellules. Il y a d’autres facteurs de risque moins fréquents : les expositions professionnelles, à certains goudrons ou à l’arsenic par exemple, et peut-être également des causes environnementales qui n’ont pas encore été bien identifiées à ce jour.

De plus en plus de femmes atteintes

Pourquoi les hommes sont-ils bien plus sujets que les femmes ? Est-ce parce qu’ils ont beaucoup plus fumé ?

C’est effectivement la cause qui est le plus souvent évoquée. Jusque-là, l’exposition tabagique était plus importante chez les hommes. Cette différence est en train de se combler. On voit aujourd’hui de plus en plus de femmes atteintes de tumeurs de vessie. La petite particularité chez les femmes est qu’elles arrivent avec un diagnostic souvent plus tardif et les maladies sont plus graves au moment du diagnostic. Avec un pronostic péjoratif chez les femmes par rapport aux hommes.

Pourquoi ?

On pense que c’est lié essentiellement aux symptômes un peu différents. Les femmes arrivent avec des symptômes plutôt irritatifs de type envie fréquente d’uriner, douleurs au moment des mictions, qui peuvent parfois faire penser à une infection urinaire. Et du coup méconnaître ou retarder le diagnostic de tumeur de vessie.

Sang dans les urines : consultez rapidement !

Plus largement, quels signes doivent faire penser à un cancer de vessie. Et est-il alors urgent de consulter ?

Le signe qui est le plus évocateur et doit amener les patients à consulter, c’est la présence de sang dans les urines. Ce qu’on appelle l’hématurie. Et cette présence de sang, ce n’est pas seulement sur une analyse d’urine. C’est visible par le patient, c’est une hématurie macroscopique. Parfois, on n’aura pas de sang dans les urines, mais des symptômes plutôt irritatifs, un peu atypiques.

Quels sont les traitements possibles pour les tumeurs les moins graves, donc qui n’infiltrent pas le muscle ?

Ce sont les tumeurs assez superficielles, qui ne touchent pas la couche musculaire de la vessie. Pour ces tumeurs, la première étape est de les enlever en faisant un geste par les voies naturelles : une résection de la tumeur, qu’on appelle résection de vessie. On va enlever la totalité de la tumeur pour l’analyser, confirmer que le muscle n’est pas atteint, et déterminer son degré d’agressivité. En fonction de cette analyse, on décide de faire des instillations dans la vessie, c’est-à-dire des injections d’un produit, toujours par les voies naturelles. Soit un produit de chimiothérapie (la mitomycine), soit un produit qui va essayer de stimuler le système immunitaire, un produit d’immunothérapie. C’est le BCG.

La chimio est plus efficace quand elle est chauffée

Si ces tumeurs ont tendance à récidiver fréquemment, notamment après BCG, on parle de tumeurs résistantes ou réfractaires au BCG. On peut parfois proposer des instillations un peu plus innovantes, la thermio-chimiothérapie. C’est un procédé disponible dans peu de centres en France aujourd’hui, qui permet de chauffer la chimiothérapie. Ainsi on va augmenter la perméabilité des cellules, on va les rendre plus poreuses pour que le produit de chimiothérapie puisse rentrer à l’intérieur de la cellule et être plus efficace, à plus forte concentration intracellulaire.

Devez-vous systématiquement opérer et retirer la vessie malade quand la tumeur a infiltré le muscle ?

Dans ce cas, on est sur une maladie beaucoup plus grave, plus agressive. Le traitement standard consiste à retirer la vessie. C’est vrai dans 95% des cas. Dans 5% des cas, on peut avoir une petite tumeur très localisée et qui peut être réséquée complètement par la résection de vessie. Auquel cas, on peut discuter de faire de la radio-chimiothérapie. On préserve la vessie en la traitant par des rayons associés à de la chimiothérapie. Dans la plupart des cas, la tumeur est trop grosse et on va proposer un cystectomie. C’est une intervention où on doit enlever la totalité de la vessie car l’ensemble des cellules de la vessie sont exposées aux carcinogènes et potentiellement atteintes par le cancer.

Chez l’homme, la prostate saute avec la vessie

Cette intervention se déroule en plusieurs temps. On enlève la vessie, ce qui est différent chez l’homme et chez la femme. Chez l’homme on a la prostate qui est un organe intra-vésical, on est dans le col de la vessie. Et si on veut faire une cystectomie, on est en fait obligé d’enlever la vessie et la prostate. On fait une cysto-prostatectomie. On essaie de conserver les nerfs de l’érection qui sont autour de la prostate. On essaie tant que faire se peut, et quand la tumeur nous le permet, de rester au ras de la prostate pour pouvoir conserver ces nerfs qu’on appelle les bandelettes vasculo-nerveuses. Cela permet de diminuer les conséquences fonctionnelles sur la sexualité après l’intervention.

On fabrique une néo vessie avec un bout d’intestin

A ce moment-là, on met donc une poche pour remplacer la vessie ?

C’est le deuxième moment de l’intervention. Chez les patientes, historiquement on enlevait la vessie, les ovaires, l’utérus et une partie du vagin. Aujourd’hui on réfléchit à de nouvelles stratégies thérapeutiques où on est beaucoup moins invasifs et agressifs sur les organes qu’on enlève. On n’enlève pas d’organes qui ne sont pas atteints par le cancer et on a tendance à préserver les ovaires, l’utérus et le vagin.

Une fois l’organe enlevé, le deuxième temps de l’intervention consiste en une reconstruction. On choisit soit de dériver les urines par un petit bout d’intestin jusqu’à la peau et on fait une stomie : une poche collée sur la peau par laquelle les urines vont s’écouler. Soit – et on le fait dans la majorité des cas – on reconstruit la vessie à l’intérieur pour éviter d’avoir une poche sur la peau. Avec un bout d’intestin plus grand, on va reconfectionner une nouvelle vessie, en remettant l’intestin de manière sphérique, et en réabouchant les tuyaux qui viennent du rein et cette nouvelle vessie à l’urètre, le conduit urinaire, pour que le patient puisse reprendre des mictions spontanées.

Une vessie de 200ml au lieu de 400ml

Et cela fonctionne bien ?

Bien sûr, tout n’est pas parfait avec cette vessie d’intestin. Il faut apprendre à se rééduquer sur la façon dont on va faire fonctionner cette néo vessie. Déjà on n’aura pas la même capacité. Une vessie normale c’est environ 400 millilitres de contenance, une néo vessie c’est 200 millilitres car on ne peut pas prélever un trop gros bout d’intestin. Il faut aussi préserver le transit du patient ! On prélève 45 à 50 centimètres d’intestin qui vont nous donner une capacité de 200 ml. Et puis le fonctionnement n’est pas le même puisqu’on n’aura pas l’envie d’uriner.

La vessie est naturellement innervée mais pas la néo vessie. On n’aura pas cette sensation du remplissage de la vessie et l’envie d’avoir envie d’uriner. Il est donc très important d’éduquer les patients d’aller uriner de manière très régulière, généralement toutes les 2h, 2h30, de manière systématique, pour bien vider cette néo vessie et qu’il n’y ait pas de surcharge.

Chimiothérapie avant l’opération

Une fois opéré, le patient devra-t-il avoir un traitement complémentaire à la chirurgie ?

Oui, car même si nos techniques de chirurgie ont bien évolué avec ces préservations nerveuses, ces préservations d’organes, et la chirurgie mini-invasive qu’on fait de plus en plus au robot, eh bien ça ne suffit pas à contrôler la maladie. Et donc, pour certaines maladies agressives, il est nécessaire de faire en plus une chimiothérapie, avec 3 à 6 cures de chimiothérapie réalisées avant l’intervention chirurgicale. Elles permettent de faire diminuer un maximum la taille de la tumeur et surtout, à terme, d’améliorer la survie de nos patients. Si on ne la fait pas, on peut discuter de faire après l’intervention chirurgicale un traitement par immunothérapie en fonction de l’agressivité résiduelle de la tumeur dans la vessie.

Se forcer à uriner toutes les 2h

Le patient va-t-il souffrir d’incontinence, et aura-t-il des conséquences sur sa vie sexuelle ?

Oui. Les deux séquelles fonctionnelles dont il faut absolument prévenir le patient avant l’intervention chirurgicale, ce sont les problèmes d’incontinence urinaire et, même avec une néo vessie, on va avoir ce besoin d’aller uriner toutes les 2h, 2h30. Moyennant quoi, avec des séquences de rééducation périnéales faites par un kiné deux fois par semaine, généralement les patients récupèrent une bonne continence le jour en tout cas, en 3 à 6 mois en moyenne. Il peut persister des fuites la nuit, qui sont plus longues à rentrer dans l’ordre. Il faut 1 à 2 ans pour qu’elles s’améliorent. C’est la compliance du patient d’aller uriner toutes les 2 heures y compris la nuit, et les séquences de rééducation périnéale, qui vont vraiment permettre de récupérer une continence satisfaisante à terme.

Rigidité et durée de l’érection en berne

Au niveau sexuel par contre, là aussi il y a des séquelles à attendre. Et même si on est de plus en plus conservateur sur les bandelettes de l’érection, très fréquemment il y a des problèmes d’érection en termes de rigidité ou de durée de l’érection, qui font que les patients malheureusement ont ces séquelles. Ils peuvent là aussi récupérer en 6 à 12 mois environ, mais les séquelles peuvent parfois rester de manière définitive. Donc il faut avoir prévenu le patient, et l’avoir prévenu aussi qu’on a des aides pharmacologiques. Cela peut être des comprimés, des petites injections à faire dans la verge pour récupérer des érections de bonne qualité. Il faut essayer de mettre cela en place assez rapidement, 6 à 12 mois après l’intervention chirurgicale pour justement favoriser la récupération spontanée.

Pour une vessie au top, arrêter de fumer et boire 2 litres

Globalement, comment garder sa vessie en bonne santé au quotidien, à part évidemment de ne pas fumer ?

La recommandation la plus importante est de ne pas fumer ou arrêter de fumer si l’intoxication tabagique est encore en cours. C’est le facteur de risque principal et si on le sait pour le cancer du poumon, on a tendance à moins le savoir pour le cancer de la vessie. Ensuite, il faut bien boire car boire 1,5 litre à 2 litres par jour va permettre de diluer les urines, d’éviter tout ce qui est infections urinaires, inflammations chroniques. Et en plus vous allez préserver votre fonction rénale, donc éviter l’insuffisance rénale à long terme. On a tous et toutes intérêt à bien boire régulièrement.

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