« C’est parce que le football a pris cette place-là, au-dessus d’un sport, que la finance s’y intéresse autant ! »

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L’universitaire et sociologue Alain Hayot et le journaliste Jean-Louis Pacull, ancien correspondant à Marseille pour RTL ou Le Parisien, viennent de publier un livre : « L’OM est à nous – Anthropologie d’une passion populaire ».  De quoi bien lancer le match OM-PSG de dimanche, avec un vainqueur connu d’avance sur le terrain de l’identification populaire d’une ville à son club… Explications.

Alain Hayot, également ancien vice-président à la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur responsable de la culture et la recherche – entre 1998 et 2015 – a déjà été l’auteur de nombreux ouvrages et réflexions écrites poussées sur le ballon rond, et tout ce qu’il aimante avec lui comme attirances pour des millions de  supporters sur toute la planère ronde, comme dans : « Le match de football : Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin » (Editions de la Maison des Sciences de l’Homme).

Jean-Louis Pacull, de son côté, a été correspondant à Marseille successivement pour Radio France, TF1, Libération, RTL, Le Parisien-Aujourd’hui en France… Il a couvert toute l’actualité de l’OM entre 1982 et 2016.

« Nous avons voulu ensemble faire un livre entre un sociologue qui a travaillé sur le football comme phénomène social et un journaliste qui a suivi l’OM pendant 34 ans pour plusieurs médias » explique Alain Hayot, « suite aux événements de l’envahissement du centre d’entraînement de l’OM, le 30 janvier 2021 (1), par plusieurs supporters excédés par le président du club d’alors (Jacques-Henri Eyraud), j’ai contacté Jean-Louis pour lui proposer d’écrire un livre à quatre mains. » 

« Les grands stades de football dans le monde retrouvent une logique dramatique présente depuis l’antiquité grecque »

Il enchaîne : « le football a pris aujourd’hui une place particulière, il est devenu manifestement plus qu’un sport, et mobilise ce que les sociologues appellent : les ressources sociales, symboliques, d’une société, et nous sommes bien obligés d’essayer de comprendre les ressorts des passions populaires de ce type-là. Ne pas le faire serait avoir une attitude totalement méprisante vis-à-vis de ces foules qui se rassemblent dans les stades. On peut dire aujourd’hui que les grands stades de football dans le monde retrouvent d’une certaine façon une logique dramatique qui étaient présente depuis l’antiquité grecque. Je pense qu’il est devenu très important de le reconnaître, et de faire la démarche de comprendre : pourquoi ? Et ceux qui s’imaginent que c’est parce que l’argent à pris pied dans le foot que sa financiarisation est aussi réelle et importante aujourd’hui se trompent. C’est parce que le football a pris cette place-là, au-dessus d’un sport, que la finance s’y intéresse autant ! D’une manière que cette dernière a fondu dessus comme la petite vérole sur le bas clergé… On a voulu se placer dans le livre dans une logique de comprendre ce phénomène. »

« L’OM a joué un rôle de rip d’intégration des vagues migratoires successives dans la ville pour pouvoir mieux s’intégrer à celle-ci »

Deuxième idée forte présente dans l’ouvrage : l’OM est plus qu’un club, pour reprendre précisément la devise catalane du célèbre Barça, l’OM ayant une histoire à jamais liée avec sa ville. Alain Hayot poursuit son action, avant l’arrivée d’un certain Messi, dimanche soir, au stade Vélodrome, désormais à Paris plutôt qu’à Barcelone car la finance qatarie surclasse à l’heure actuelle celle du club catalan. « On peut dire que l’OM a constitué autour du club d’immenses développement, creuset, imaginaire collectif, et tout cela se retrouve dans la devise : droit au but, dans un style de jeu, et dans cette histoire croisée avec cette ville elle-même singulière. »

Il insiste, droit dans ses crampons : « Marseille dont on peut également affirmer qu’elle possède une histoire suffisamment singulière pour avoir interrogé des dizaines et des dizaines d’historiens qui ont publié dessus. Tout le monde sait que Marseille est la plus vieille ville de France, 26 siècles nous contemplent ici. C’est deux fois moins que Naples, certes, mais cette ancienneté est très importante. La ville a une histoire unique en France, elle est, est restée aujourd’hui populaire, ce qui n’est pas le cas dans les autres métropoles comme Paris, Lyon, où l’on a viré les classes populaires de la ville pour les mettre dans de lointaines banlieues. Ici, à Marseille, les classes populaires sont sur place, on ne parle pas de banlieues mais de quartiers, de villages. Ici encore la culture ouvrière est restée très forte. Une culture qui a beaucoup marqué son espace, son territoire, et le foot est devenu comme en Angleterre un élément important de la culture ouvrière, que ce soit à l’OM ou dans les clubs des quartiers de Marseille, avec tous ces bénévoles qui animent les clubs au quotidien dans la ville. L’OM a joué un rôle de rip d’intégration des vagues migratoires successives dans la ville pour pouvoir mieux s’intégrer à celle-ci, en venant soutenir l’OM, en allant au stade Vélodrome, un lieu qui a brassé les différentes origines. »

« Il n’est sans doute pas en France de cité plus orgueilleuse de son passé, plus jalouse de son indépendance »

Le sociologue et le journaliste se collent dans leur ouvrage à la citation de l’historien et universitaire marseillais, Emile Temime (2) pour définitivement sceller le jumelage du club olympien à sa ville : « Il n’est sans doute pas en France de cité plus orgueilleuse de son passé, plus jalouse de son indépendance » (dans l’introduction de : « Histoire de Marseille, de la Révolution à nos jours, aux Editions Jeanne Laffite). Alain Hayot replace les similitudes Marseille-OM davantage au cœur du jeu : « Marseille a toujours été une ville rebelle, jusqu’à aujourd’hui, puisqu’il y a plus que jamais dans l’actualité un rapport de force en train de se développer entre la ville et l’Etat. La ville est en crise, très inégalitaire, très divisée socialement, territorialement, ethniquement… Et pourtant il y a un lieu où tout le monde se rassemble, où tout le monde ne tourne pas ou plus autour du pot, car le pot c’est l’OM ! A travers le soutien à son équipe, avec le Vélodrome pour servir d’élément fédérateur, dans un stade-forum à la romaine, qui unifie la ville. »

« C’est ce débat entre deux conceptions de l’OM qui s’est instauré lors des événements de La Commanderie »

Il accélère son jeu, avec un toucher de balle encore plus précis : « nous avons essayé d’expliquer tout cela dans le livre à un moment précis où l’OM était en tout début d’année en train de basculer soit dans une logique entrepreneuriale, puisque l’ancien président voulait en faire un grand lieu de spectacle afin de développer une attractivité touristique, économique, soit dans une autre logique : celle de continuer à être le représentant d’une identité collective, d’un grand imaginaire commun : Marseille. C’est ce débat entre deux conceptions de l’OM qui s’est instauré lors des événements de La Commanderie du 30 janvier 2021. » Le livre vous fera découvrir pourquoi la seconde logique est parvenue à renverser la première. Et pourquoi malgré les milliards qataris investis au PSG, l’élan populaire d’un club dans toute sa ville, et pays, n’est lui pas possible à acheter, ou fabriquer.

Bruno Angelica

Pour plus d’informations sur le livre : lien : https://audiable.com/boutique/cat_litterature-francaise/lom-est-a-nous/

  1. Le 30 janvier 2021 après-midi, suite à une manifestation organisée par les associations de supporters du club devant le centre d’entraînement de l’OM pour demander le départ du président Eyraud, plusieurs fans parmi les 350 présents étaient parvenus à pénétrer dans l’enceinte de La Commanderie pour être à l’origine de plusieurs dégradations matérielles et surtout faire peur aux joueurs olympiens qui effectuaient leur mise au vert avant la réception du soir de Rennes. Un match qui avait été reporté en raison des incidents. Sur les 14 personnes jugées le 24 février dernier par le tribunal correctionnel de Marseille suite à ces incidents, 11 ont été condamnés à 6 mois de prison avec sursis. Un autre a écopé de trois mois d’emprisonnement ferme.
  2. Émile Temime (1926-2008), professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’Université de Provence, a été le directeur du groupe d’Histoire des migrations à l’École des hautes études en sciences sociales.

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