Chirurgie esthétique : des abus aux conséquences effrayantes

La demande d'interventions pour tirer la peau, refaire des seins, gonfler des lèvres ou des fesses ne cesse d'augmenter. Le Pr Baptiste Bertrand, spécialiste en chirurgie reconstructrice et esthétique à l'hôpital de la Conception (APHM), sonne l'alarme. Son service soigne des femmes défigurées pour avoir abusé d'injections, d'autres mal opérées à l'étranger et victimes de graves infections. Il pointe aussi un phénomène qui explose, particulièrement à Marseille : les injections illégales de produits comblants par des non professionnels, dont la vente est interdite en France mais achetés sur internet.

Santé

Quand on pense à la chirurgie esthétique, on cite volontiers la pose de prothèses mammaires, la réfection du nez (qui relève parfois de la chirurgie réparatrice) ou, si vous me passez l’expression, le « remontage de fesses ». Quelles sont les interventions les plus courantes ?

Professeur Baptiste Bertrand : C’est assez varié mais c’est vrai qu’actuellement en France la chirurgie la plus demandée est la pose d’implants. C’est une chirurgie qui permet d’augmenter la poitrine et c’est toujours dans les premières interventions. On a également la chirurgie pour réduire la poitrine, qui n’est pas une chirurgie esthétique mais une chirurgie reconstructrice remboursée par la Sécurité sociale. Nous avons beaucoup de jeunes filles qui sont très mal à l’aise avec cette très grosse poitrine et de plus en plus d’accompagnement de la part des parents pour que leurs enfants, enfin, les jeunes adultes, se sentent mieux. On a une forte augmentation de cette demande de réduction mammaire. On a également beaucoup de demandes de médecine esthétique. Ce qui augmente énormément, ce sont les injections de toxine botulique, donc le Botox, et les injections d’acide hyaluronique.

La peur du vieillissement

Constatez-vous beaucoup de demandes pour « se refaire faire le nez »?

La France n’est pas le pays où la demande de rhinoplastie est la plus élevée. Comparée par exemple au Liban où la rhinoplastie est vraiment la chirurgie numéro 1, où toutes les jeunes femmes se font refaire le nez, en France ce n’est pas la chirurgie la plus demandée.

Quels sont les âges auxquels vos patientes réclament des opérations de chirurgie esthétique ?

Avec le Covid, les gens ont pris conscience de l’importance du bien-être : bien-être chez soi, bien être dans son corps. On est tous d’accord (NDLR : dans la profession) sur le fait que la demande de chirurgie esthétique a augmenté. Les patients ont envie de prendre soin d’eux, d’avoir un joli visage, de ne pas subir le vieillissement et donc la demande a augmenté. Alors, à quel âge ? Eh bien un peu à tout âge ! On a des jeunes adultes accompagnés de leurs parents qui viennent et puis on a des gens plutôt de 40, 50, 60 ans qui ont envie de garder leur beauté de toujours et qui viennent travailler sur le vieillissement de la peau, du visage.

Les deux effets pervers des réseaux sociaux

Comment expliquez-vous cette volonté de modifier son corps à coups de bistouri ? Est-ce l’effet des réseaux sociaux qui imposent en quelque sorte un référentiel dans la beauté, comme pour le culte du corps par exemple ?

La chirurgie esthétique date de longtemps. L’esthétique est vraiment quelque chose qui nous appartient, c’est une vraie forme de liberté que de pouvoir améliorer son aspect esthétique et ça a toujours existé. C’est vrai qu’avec les réseaux sociaux les gens se montrent de plus en plus et se comparent. Donc il y a cette forme de compétition dans le bien-être. On veut toujours avoir l’impression d’être beau, dans des endroits idylliques. Il y a un 2e effet pervers des réseaux sociaux : quand vous vous prenez en photo avec votre téléphone portable, ce qu’on appelle le selfie, eh bien ce téléphone portable va déformer votre visage, va déformer votre apparence. On aura l’impression que vous avez un gros nez et des petites oreilles. C’est « l’effet fish-eye ». Cette déformation va créer des vrais problèmes de ce qu’on appelle la dysmorphophobie, avec une mauvaise perception de soi-même. Cela va engendrer des troubles de l’image corporelle et donc on va avoir des jeunes personnes qui vont demander des rhinoplasties, de la chirurgie esthétique, les lèvres, les oreilles, à cause de ces réseaux sociaux. C’est un phénomène qui augmente et c’est un peu un effet pervers.

Que leur dites-vous ?

Souvent on leur dit non ! On dit à des patientes – cela m’est arrivé hier – « Vous êtes très belle, regardez-vous dans le miroir, vous n’avez pas besoin de chirurgie esthétique. Vous avez besoin seulement de mieux faire vos photos et de mieux vous regarder dans la glace. »

Les demandes des hommes ont doublé

On parle des femmes mais il y a également des hommes. Quelle est leur proportion et que réclament-ils pour leur part ?

On voit de plus en plus d’hommes à nos consultations et c’est vrai que les hommes viennent plutôt voir les hommes et les femmes plutôt voir les femmes puisque notre spécialité est de plus en plus mixte. On estime que la chirurgie et la médecine esthétiques pour les hommes touchent à peu près 20% de notre patientèle alors qu’il y a quelques années on était plutôt aux alentours des 10%. Donc ça augmente. La place de plus en plus importante de la femme, et l’équité entre homme et femme dans le couple font que ces problèmes d’esthétique deviennent aussi importants pour l’homme. Il a besoin un petit peu de montrer sa beauté dans le couple. Ce n’est plus seulement l’homme qui gagne de l’argent et qui est respecté quel que soit son aspect. Il a besoin aussi d’être respecté dans son couple. Il y a peut-être un petit effet de compétition, il faut qu’il prenne soin de lui. L’esthétique est un vrai sujet pour les hommes.

Seins énormes, bouches en canard, fesses bombées

Est-ce que vous faites face à des demandes parfois surprenantes ?

Il nous arrive d’avoir des patientes, ça reste quand même assez rare, jeunes, qui veulent par exemple des très gros implants mammaires et on refuse. Moi ça m’arrive tous les mois de dire non à certaines patientes pour des gros implants mammaires, pour encore plus d’acide hyaluronique dans les lèvres et des bouches en canard, pour ce genre de dérives. Ou alors des augmentations fessières qui ne sont pas du tout proportionnées avec le corps des patientes. Mais je trouve quand même depuis quelques mois qu’on a un petit retour en arrière sur cette disproportion. C’est plutôt en train de descendre. Ce sont des demandes qui sont hors norme et moi je n’aime pas faire de la chirurgie hors norme. Il faut savoir faire des choses qui restent naturelles.

Quelles sont les motivations des patients ou des patientes qui font des demandes déraisonnables, voire carrément délirantes ?

Malheureusement je pense qu’on est victime de la téléréalité et des images comme Kim Kardashian. C’est vrai que ces fesses bombées, ces lèvres très proéminentes, ces énormes poitrines, ça influence les jeunes d’une mauvaise manière. On s’éloigne quand même des canons naturels de la beauté, on va vers l’artificiel. L’artificiel, c’est de la chirurgie esthétique qui vieillit très mal et qui malheureusement a des conséquences néfastes pour le corps humain, qui abîme la santé. C’est l’effet un peu pervers de cette téléréalité. Je pense qu’on est sur la fin d’une mode, mais malheureusement on a encore ce genre de demandes un peu hors norme auxquelles il faut savoir dire non.

« Docteur, j’ai abusé, que pouvez-vous faire ? »

Quand vous dites que « ça vieillit mal », cela signifie qu’il va falloir reprendre (chirurgicalement) les patientes un peu plus tard ?

On se retrouve avec des patientes qui viennent nous voir avec des énormes lèvres et qui nous disent « Ecoutez, docteur, malheureusement j’ai un peu trop abusé de la médecine esthétique. Pour cacher ça, on a encore rajouté de l’acide hyaluronique et maintenant je me retrouve avec des lèvres complètement difformes, que pouvez-vous faire » ? On se retrouve à faire des chirurgies qui sont agressives pour le corps. Pour aller diminuer, on fait des cicatrices. Les patientes n’avaient pas conscience de tout ça lorsqu’elles ont fait toutes ces interventions.

Et puis j’imagine que c’est de la chirurgie qui occasionne des souffrances physiques pour les patientes ?

Tout à fait ! Parce que des prothèses mammaires qui sont grosses pèsent lourd. Dès lors qu’on arrive à 300, 400, 500 grammes par sein on va avoir des problèmes de douleurs au niveau du dos, on va être gêné dans la vie quotidienne. Année après année, on va vraiment rajouter un handicap.

Une intervention qui reste douloureuse

Et il faut le rappeler, ce sont des interventions qui parfois sont douloureuses…

Une intervention de chirurgie esthétique, c’est une vraie chirurgie. Il va falloir couper certains muscles pour mettre les prothèses mammaires. Il va falloir tirer sur la peau et ça fait mal. Ce n’est pas du tout une intervention à prendre à la légère.

On va aborder un sujet délicat : beaucoup de femmes partent à l’étranger se faire opérer par des médecins souvent sans scrupules ou qui prennent moins d’argent. Et quand ça tourne mal, ces patientes vous appellent au secours. Les prenez-vous en charge ? Qui paye ces errements, et pouvez-vous réparer les dégâts ?

Oui, tout à fait. Quand la chirurgie tourne mal à l’étranger et que la patiente est domiciliée dans la région PACA, elle va forcément terminer dans le service de chirurgie plastique du CHU de Marseille, dans mon service à l’hôpital de La Conception. Cette chirurgie, malheureusement, va nécessiter très souvent des réinterventions, un retour au bloc opératoire, des hospitalisations qui peuvent durer 2 ou 3 semaines. Toute cette chirurgie là est prise en charge par la Sécurité sociale, par le contribuable, et ça représente un vrai coût de santé.

Des patientes opérées comme des grands brûlés !

Ce sont des patientes qui se retrouvent avec des infections, il faut retirer les prothèses qu’on leur a mises ?

Cela peut être des infections de prothèse, des infections de graisse injectée, de la peau qui nécrose au niveau du visage, sur des liftings, au niveau du ventre. Ce qui va nécessiter des réinterventions pour aller enlever toute cette infection, pour enlever la peau nécrosée. Cela peut être de la chirurgie comme chez les grands brûlés, avec des greffes de peau, donc de la chirurgie lourde.

De plus en plus d’injections illégales et dangereuses à Marseille

Vous pointez également un phénomène inquiétant : ce sont toutes ces personnes qui pratiquent illégalement, alors cette fois-ci en France, la médecine esthétique. C’est particulièrement prégnant à Marseille. C’est un danger pour les femmes. De quoi s’agit-il ?

Effectivement ! On se rend compte à Marseille qu’on a de plus en plus de patientes qui se font injecter par des personnes qui ne sont pas médecins, même pas infirmières, ni esthéticiennes, qui se forment sur le tas, qui ont de magnifiques sites Instagram et qui accueillent les patientes souvent dans des airbnb. Elles les injectent avec des produits qui sont interdits d’utilisation en France. Donc c’est un exercice illégal de la médecine, avec des vrais risques d’abord d’injecter mal le produit, c’est-à-dire que ce ne soit pas joli. Ensuite le risque est que ces produits soient injectés par exemple dans des vaisseaux, qu’on ait des thromboses avec comme des infarctus au niveau de la lèvre, avec une véritable nécrose. Il y a des problèmes d’infection et on se retrouve, nous, dans le service, à gérer ces mauvaises injections avec des dégâts parfois importants.

Les produits sont malheureusement en vente libre sur certaines plateformes de vente sur internet, donc vous pouvez commander ces produits là qui ne sont pas agréés pour être injectés en France. Ils vont créer des allergies, des granulomes, vous allez vous retrouver avec des boules dans les lèvres, avec des boules dans les joues et qui vont rester ad vitam aeternam. Tous les produits qu’on injecte en médecine esthétique sont des produits qui au bout de 6 mois se résorbent et donc ne créent pas de dégâts, de fibroses, de granulomes. Ces produits qui coûtent beaucoup moins chers sur internet vont créer des dégâts parce qu’ils ne sont pas purs, ils sont mal fabriqués et votre corps humain va les rejeter et cela crée de vrais problèmes de santé.

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