Coloscopie : « Je suis scandalisé de trouver autant de cancers ! »

A Grasse, le Dr Patrick Delasalle a réalisé près de 40 000 coloscopies. Mardi soir à Nice, lors d'une conférence sur la prévention du cancer du côlon et du rectum organisée par MProvence, ce gastroentérologue a dit sa colère face à l'insouciance des Français qui ne font pas le test de dépistage pourtant gratuit et indolore. Lui et ses collègues ont donné une nouvelle fois les conseils pour éviter ce cancer parmi les plus meurtriers. Dans un cas sur 2 on pourrait l'éviter !

Santé

Carrure de rugbyman sanglée dans un costume, Patrick Delasalle bouillonne en ce mardi soir devant la centaine de Niçois venus assister à la conférence sur la prévention du cancer colorectal organisée par notre média. Est-ce la salle de concert du Stockfish qui le met en verve ? Car le gastroentérologue de la clinique du Palais à Grasse ne mâche plus ses mots : « Je suis scandalisé de trouver autant de cancers ! J’en ai encore trouvé deux aujourd’hui, dont un chez une jeune sexagénaire à laquelle il va falloir enlever le rectum et qui aura une poche à vie (NDLR : une stomie fixée sur le ventre pour recueillir les excréments). Ce cancer, c’est 580 morts par jour en Europe, soit l’équivalent de deux avions qui s’écrasent. Tous les jours. Si c’était le cas, que deux avions s’écrasent chaque jour en Europe, on ferait quelque chose pour que ça n’arrive plus, non ? »

Hausse des cas chez les femmes

Et le bon docteur, qui sait que l’on pourrait éviter 50% de ces cancers, balance d’autres chiffres à la volée : « Le cancer colorectal tue plus d’hommes que le cancer de la prostate (8 200 par an) et presque autant de femmes que le cancer du sein (12 000 par an). » Malgré les campagnes de prévention, et l’envoi du test à domicile par la Sécu pour ceux qui le souhaitent, le nombre de cas ne recule pas.

« On observe une légère baisse chez les hommes mais une hausse chez les femmes (+0,4% en dix ans), et notamment chez les moins de 50 ans. » Problème ; le test n’est accessible qu’à partir de 50 ans. « Peut-être faut-il avancer le dépistage à 45 ans, comme aux Etats-Unis, » plaide le Dr Delasalle qui est également secrétaire général du Centre régional de dépistage des cancers Sud-Paca.

Dr Patrick DELASALLE, gastroentérologue, Clinique du Palais Grasse et CRCDC-PACA
Dr Patrick DELASALLE, gastroentérologue, Clinique du Palais Grasse et CRCDC-PACA

Le dépistage recule fortement en France et en Provence

« Mais communiquer sur ce cancer, c’est parler des selles et ce n’est pas facile« , reconnaît, en le déplorant, le Dr Delasalle. En effet, le dépistage via le test immunologique fécal (FIT)  consiste à tremper un bâtonnet dans ses selles. Ah la belle affaire ! Qui pourrait sauver la vie de 10 000 Français chaque année si le nombre de participants au dépistage passait à 65%, comme l’affirme le Pr Jean-François Seitz, gastroentérologue à la Timone à Marseille.

« Un sondage de la Fondation ARC en 2024 montrait que pour 54% des Français de moins de 45 ans et pour 61% des 45-65 ans, parler des selles est un tabou. Alors qu’ils sont 84% à penser que le test est fiable. » Bref, les Français sont convaincus de l’efficacité du test tout en ayant honte de manipuler quelques secondes leurs excréments pour le réaliser. Quitte à en crever donc ! On part de loin…

D’ailleurs les toubibs et les autorités sanitaires ont reçu une douche froide ces derniers jours : le taux de participation au dépistage s’effondre ! Il a reculé de 4,6 points en 2024 par rapport à 2023 pour passer sous la barre des 30% : 29,6% des femmes et hommes âgés de 50 à 74 ans le réalisent. En région PACA, c’est pire : 26,7% de participation (-6%) et même 24,1% (-7%) pour les Alpes-Maritimes.

Pas mieux que le bâtonnet dans le caca…

Car, comme l’ont rappelé les médecins, 50% de ces cancers seraient évitables, notamment s’ils étaient détectés encore à l’état de polypes. Ce que permet justement de réaliser l’analyse des selles par le FIT, qui renferment alors des traces de sang microscopiques, provoquées potentiellement par des polypes qui saignotent. « Il n’y a pas, pour l’instant, de meilleur outil pour dépister ce cancer que ce test immunologique fécal« , a rappelé le Dr Ludovic Evesque, oncologue médical au Centre Antoine Lacassagne. Quand on pense qu’un simple bâtonnet trempé dans le caca peut nous sauver la peau, c’est quand même dingue à l’époque de l’IA, non ?

Et pourtant, cet expert en connaît un rayon sur les innovations ! « La recherche d’ADN tumoral circulant par une simple prise de sang a fortement progressé, elle permet de dire s’il y a un cancer. Mais c’est encore à l’état expérimental. C’est prometteur, mais pas encore accessible. » A 940 dollars le test sanguin contre environ 14 euros pour un FIT, pas sûr que cette analyse ait beaucoup de succès auprès du grand public qui n’en aura pas les moyens… Et le Dr Evesque le martèle : « Ce test sanguin manque encore de sensibilité. Le FIT est bien plus performant, d’autant qu’il détecte des lésions précancéreuses ou des cancers à un stade peu avancé. »

Dr Ludovic EVESQUE, oncologue médical, Centre Antoine Lacassagne, Nice
Dr Ludovic EVESQUE, oncologue médical, Centre Antoine Lacassagne, Nice

Bonnes nouvelles quand même !

La recherche progresse donc, les traitements aussi. Au rayon des bonnes nouvelles, le Pr Seitz estime qu’en matière de dépistage, il faut ajouter le nombre de coloscopies qu’effectuent directement nombre de patients sans passer pas la case du FIT. C’est particulièrement vrai dans la région niçoise où les spécialistes et les équipements – cela nécessite une hospitalisation avec anesthésie générale – sont nombreux.

Précisons toutefois que pour les 20% des personnes jugées à risque « élevé » ou « très élevé » à cause d’antécédents familiaux ou de maladies de l’intestin, la coloscopie est recommandée d’emblée. Les 80% restants sont jugés à risque « modéré ». Mais à l’arrivée, ça fait quand même 100% des Français de plus de 50 ans qui ont un risque bien réel de développer un cancer colorectal ! Pensez aux deux avions du Dr Delasalle qui s’écrasent tous les jours sur l’Europe : il y a 47 Français dedans !

Etendre le dépistage de 45 à 80 ans ?

Conclusion du Pr Seitz : « Le FIT réduit de 45% la mortalité par cancer colorectal. » Lui aussi estime qu’il faut sans doute avancer le dépistage à 45 ans. « La sédentarité et l’alimentation ultra transformée créent une épidémie de cancers chez les jeunes. On a observé une augmentation de 140% des cancers colorectaux en vingt ans chez les moins de 50 ans à travers le monde. »

Pr Jean-François SEITZ, gastroentérologue, CHU Marseille et CRCDC-PACA
Pr Jean-François SEITZ, gastroentérologue, CHU Marseille et CRCDC-PACA

Le Dr Delasalle ajoute que « dans les prochains mois, on aura la possibilité de prescrire un dosage quantitatif de l’hémoglobine dans les selles pour les 45-50 ans. » C’est d’ailleurs cette analyse que doivent réclamer les + de 74 ans aujourd’hui exclus du dépistage organisé par le test FIT, s’ils sont inquiets. L’espérance de vie ayant bondi, le Pr Seitz pense encore que les autorités sanitaires devraient envisager d’étendre le test jusqu’à 80 ans.

La carotte financière américaine fait chuter le cancer !

« Le taux de couverture monte à 47% dans notre région si on additionne tests FIT et coloscopies, et presque à 48% en France« , note le Pr Seitz. C’est bien ? C’est mieux ! « Ceci explique peut-être pourquoi on meurt moins de ce cancer dans notre département« , évoque le Dr Delasalle. Mais on peut encore faire mieux ! Car 1 Français sur 2 de plus de 50 ans passe encore à travers les mailles du filet de sécurité censé lui éviter un cancer pouvant être absolument terrible.

« Aux Etats-Unis, ils sont à 59% de participation, précise le Pr Seitz. C’est même 83% en Califormie du nord. Parallèlement à cela, on a vu le nombre de cancers fortement chuter. C’est donc que le dépistage, ça marche, ça sauve des vies ! Il faut dire que l‘incitation financière à le faire est forte là-bas. Sinon vous êtes pénalisés par votre assurance santé si vous déclarez un cancer sans avoir fait le test. »

L’IA voit les polypes avant le médecin

Autre nouvelle encourageante : les traitements progressent constamment, y compris pour ces cancers identifiés à un stade métastatique, ayant envahi d’autres organes. Le taux de survie a ainsi gagné près de 12 points en quelques années. En 2025, 63% des patients sont encore en vie 5 ans après la découverte de leur cancer colorectal, parfois cependant au prix de lourds traitements. 37% sont décédés.

Et puis il faut miser sur l’intelligence artificielle, une redoutable traqueuse du cancer en l’occurrence. « L’IA est supérieure aux humains en matière de coloscopie, explique le Dr Delasalle. Elle trouve les polypes avant nous ! Et elle n’est jamais fatiguée, à la différence du gastroentérologue. Avec l’IA, on voit beaucoup plus de choses. »

4 verres de vin, bonjour le cancer !

Evidemment, lors de cette soirée d’information on a parlé alimentation. Car ce que nous mangeons peut favoriser le risque de développer un cancer colorectal ou au contraire l’éloigner. Le Dr Joseph Sicurani, médecin nutritionniste en oncologie médicale au Centre Antoine Lacassagne, a distribué les mauvais et les bons points.

Sur le podium des aliments dont il faut se méfier trône la bouffe ultra transformée genre nuggets, fast-foot, plats tout préparés du supermarché. Suit l’excès de viande rouge (3 fois par semaine ça suffit, porc, veau et mouton compris) et la charcuterie (max 150g/semaine). Le tabac, érigé au rang de poison numéro 1 dans la plupart des cancers, et l’alcool sont dans le collimateur. Le médecin brandit un maximum d’un verre de vin par repas, et surtout pas tous les jours. « A partir de 4 verres par jour, il est prouvé que l’alcool est un facteur de risque majeur de développer un cancer colorectal. »

Dr Joseph SICURANI, médecin nutritionniste, oncologie médicale, Centre Antoine Lacassagne, Nice
Dr Joseph SICURANI, médecin nutritionniste, oncologie médicale, Centre Antoine Lacassagne, Nice

Augmenter sa consommation de fibres

Du côté des aliments protecteurs figurent les fruits et légumes grâce aux fibres et aux antioxydants dont ils regorgent, les céréales complètes, le pain (complet de préférence sinon aux céréales), les produits laitiers (2 par jour avant 60 ans, par exemple un yaourt et une portion de fromage de 30g, et on passe à 3 quand on vieillit). « L’ingestion élevée de fibres et de calcium est protectrice face au risque de cancer. Or 35% des personnes mangent moins de 2 produits laitiers et 58% moins de 25 grammes de fibres alors que 30 grammes par jour son recommandés. »

Un autre qui a marqué les esprits, c’est Frédéric Chorin. Spécialiste de l’activité physique et sportive au CHU de Nice, cet ingénieur hospitalier a fait se lever toute la salle pour se dégourdir les jambes. L’occasion de rappeler que la sédentarité favorise le développement des cancers. Ainsi a-t-on vu le Dr Delasalle, le Pr Seitz et la conseillère municipale Barbara Prot faire des squats en même temps que la centaine d’auditeurs !

fibres

7 500 pas par jour : c’est le top

Il faut dans l’idéal accomplir 30 minutes quotidiennes d’activité d’intensité modéré (marcher vite en étant essoufflé) et 15 minutes d’intensité vigoureuse par semaine fractionnées en séquences de 1 à 2 minutes par jour. Combien de pas accomplir chaque jour? 10 000 ? Non, ça c’est bien mais pas forcément nécessaire pour prévenir le cancer. « A minima 2 700 pas par jour, recommande M. Chorin. Si on monte à 4 400 c’est déjà bien, et c’est optimal à 7 500 pas si on veut diminuer le risque de mortalité. Et il faut bouger 5 mn toutes les 90 mn. »

Frédéric CHORIN, docteur en STAPS et ingénieur hospitalier responsable plateforme Fragilité - Pôle Réhabilitation Autonomie Vieillissement, CHU de Nice
Frédéric CHORIN, docteur en STAPS et ingénieur hospitalier responsable plateforme Fragilité – Pôle Réhabilitation Autonomie Vieillissement, CHU de Nice

« Et même si vous avez un cancer il faut bouger. Plus vous resterez au repos, moins bien ce sera. Rester assis plus de 2 heures augmente de 8% le risque de cancer du côlon. Les comportements sédentaires sont étroitement associés à une incidence accrue de cancer colorectal. Au début, il faut lutter, se forcer pour faire de l’activité physique, puis vous prendrez du plaisir. »

fun

« En selle pour Mars Bleu » dimanche à Nice

Les Niçois ont de la chance car leur ville leur offre des espaces et des activités tous azimuts. La conseillère municipale et métropolitaine déléguée à l’éducation à la santé et à la prévention, Barbara Prot, en a dressé la liste, mettant en avant le programme « Seniors en forme » avec des activités gratuites dans les 14 parc de la ville. Elle a aussi annoncé que dimanche prochain, pour clôturer la campagne Mars Bleu et inciter au dépistage, la Ville invite les Niçois à l’opération « En selle pour Mars Bleu » (notez le jeu de mots…). Rendez-vous habillé en bleu à 9h30 place Toja pour une balade à vélo de 8 km.

Conseillère municipale et métropolitaine déléguée à l'éducation à la santé et à la prévention, Barbara Prot
Conseillère municipale et métropolitaine déléguée à l’éducation à la santé et à la prévention, Barbara Prot

Remerciements spéciaux à l’équipe du Stockfish dirigée par Valérie Oppedisano, assistée de Gaëlle, et d’Antoine à la technique. Ils ont accueilli la conférence de façon magistrale !

En selle Mars Bleu
En selle Mars Bleu

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