Comment faire des bébés épanouis ? Les recettes de la Pr Brigitte Chabrol

Votre bébé a des capacités d'apprentissage incroyables dès sa conception et jusqu'à ses deux ans. Racontez-lui des histoires, jouez et ne lui collez pas d'écrans sous le nez ! Et puis: donnez-lui un cadre, des règles, ainsi il grandira bien. La professeure Brigitte Chabrol, cheffe du service de neurologie pédiatrique au CHU Timone (APHM), livre de précieux conseils à l'occasion de la sortie de son livre : "Le développement naturel de l'enfant. Le cerveau de bébé et ses 1000 premiers jours" (éditions First).

Santé

On peut avoir l’impression que dans ses premiers mois de vie un bébé est un être assez passif : il mange, il dort, il pleure. Or selon vous c’est tout le contraire : le bébé est un grand communicant avant même sa naissance ! Vous n’êtes quand même pas un petit peu idéaliste ?


Professeure Brigitte Chabrol : Pas du tout ! C’est juste reconnaître aux bébés que premièrement le bébé est une personne. Ce n’est pas moi qui l’ai dit mais c’est Monsieur Brazelton (NDLR : pédiatre américain auteur de l’échelle de Brazelton d’évaluation sur le comportement des nouveau-nés) dans les années 80 et d’autre part ce bébé a déjà beaucoup de compétences et parfois même des compétences d’une maturité extrême pour peu qu’on prenne le temps de l’observer, de le regarder, de l’écouter – il a beaucoup de choses à nous dire ! – et de pouvoir vraiment communiquer avec ce bébé. Très souvent ce sont les adultes qui sont des mauvais communicants avec leurs bébés.

Le plus important : un environnement sécure

C’est la mère évidemment qui porte l’enfant et qui lui reste naturellement, charnellement, intimement liée dans ses premiers mois. Quel rôle pour le père autre qu’un rôle secondaire finalement ?

Il n’est pas secondaire ! Il est essentiel puisque, dans toute la base de ce développement, il y a toute une partie qu’on va dire plus environnementale, et une partie qui est génétique. Le patrimoine génétique vient du père et de la mère. C’est à totale égalité. Et tout ce qui est environnemental est extrêmement important. Cette figure parentale et cette figure paternelle ou maternelle, toutes les deux ont un rôle essentiel.

Ce qui est important, c’est de donner à ce bébé l’environnement le plus sécure possible. Et donc les deux parents vont contribuer à former cet environnement. Bien sûr que c’est la maman qui va le porter pendant 9 mois, mais qui le portera d’autant mieux qu’elle sera entourée, sécurisée, qu’elle pourra échanger, et là le père participe totalement. Les pères vont assister à toutes les échographies, ils suivent complètement toutes les étapes de la grossesse, participent également à l’accouchement.

Le père n’est pas secondaire pour le bébé !

Il y a une mesure dont on n’a pas beaucoup parlé mais qui est extrêmement importante dans le cadre des 1000 premiers jours, c’est par exemple l’augmentation du temps de congé de paternité. Car il y a une période en postnatal qu’on appelle le baby blues, ou des périodes un petit peu compliquées pour la femme parce qu’il y a aussi un retentissement hormonal, différents points physiologiques qui vont entraîner cet état. La présence du père, la présence d’une autre personne est extrêmement importante à ce moment-là. Tout cela fait que le père a une place et ce n’est pas du tout une place secondaire ! Il n’est pas relégué, loin de là !

Dans ses premiers mois, qu’est-ce qu’un bébé est en capacité de saisir, d’apprendre ?

Immense ! Dans notre vie, entre 0 mois – enfin, même avant la naissance ! – jusqu’à l’âge de 2 ans, on a une capacité qu’on n’atteindra pas plus tard. C’est bien dommage ! On le voit dans le langage par exemple, apprendre une langue de cette façon là avec non seulement les intonations, les connotations, les différences, le vocabulaire… Même si on est totalement bilingue, il nous manque quand même quelque chose par rapport à ce qu’on va apprendre les deux premières années de notre vie. On aimerait bien pouvoir faire cela plus tard à l’âge adulte !

Le bébé n’est pas là pour respecter le rythme de vie de ses parents

Justement, que conseillez-vous aux parents de faire pour favoriser le développement du cerveau de leur enfant ? Jouer avec lui, lire des histoires, chanter, lui parler en anglais, lui faire découvrir la nature…?

Etre le plus naturel possible ! Et penser au bébé. Respecter le rythme du bébé. Il n’est pas là pour respecter le rythme des parents, donc c’est vraiment respecter son rythme de sommeil, d’alimentation. Le bébé se fera comprendre très, très vite quand il a faim, quand il a besoin de dormir, quand il a besoin justement de jouer quand il est réveillé, quand il a besoin de gestes d’attention, de gestes affectifs; peut-être ne pas toujours essayer d’expliquer, de rationaliser, de partir dans une espèce de course à la performance : si je fais ça, c’est bien, ça c’est moins bien… Il s’agit d’être le plus naturel possible, se laisser presque guider par son bébé.

En 2023, on ne donne pas assez de cadres au bébé

On voit déjà beaucoup de parents qui sont carrément en fusion avec leur enfant. Il devient le centre exclusif de leur vie. Est-ce souhaitable pour le bien de l’enfant et le bien de ses parents ?

Non. Le bébé est une personne à part entière, donc il n’est pas en fusion. Il est là. De 2 on se retrouve à 3 quand il s’agit d’un premier bébé. C’est souvent un bébé qui est « attendu », dont la naissance a été préparée. Ce bébé, il a toute sa place et il n’est pas fusionnel avec l’un ou les deux parents. On doit respecter sa place. C’est peut être l’événement qui est le plus difficile à mettre en place. Ce bébé, on va le laisser aussi montrer tout ce qu’il peut faire et le laisser s’exprimer. Aux adultes de pouvoir lui donner un cadre, c’est extrêmement important.

Peut-être qu’actuellement, dans notre société, ce qu’on peut reprocher c’est qu’il y a moins de cadres, moins de cadres éducatifs donnés par les parents. Je parle du respect du sommeil par exemple qui est physiologique, mais qui est aussi indispensable. Le respect des heures d’alimentation – on ne mange pas toute la journée. C’est physiologique mais en même temps on va avoir un cadre qui va lui permettre aussi de pouvoir entrer dans la société. Pour lui, tout petit, ça sera la crèche puis après l’école et tout ça, tous ces fondements là, sont donnés à la maison. Donc ce qui se passe à la maison est extrêmement important.

Parents séparés : bébé ne sera pas moins heureux si…

Certains parents ne peuvent offrir des conditions d’épanouissement idéales faute de moyens, faute de temps, d' »instinct parental » comme on dit, ou parce qu’ils sont séparés. Est-ce alors une catastrophe pour le développement de l’enfant?

Non. Non ! Parce que là aussi, les parents ont souvent beaucoup plus de ressources – psychiques, internes – pour s’adapter au mieux à leur bébé. Il y a des couples séparés où c’est très difficile, où la situation est très conflictuelle;  d’autres où l’enfant retrouve un environnement tout à fait sécure, qu’il soit chez l’un des parents ou chez l’autre des parents. Il va vraiment se développer comme s’il était avec eux deux. Il ne faut pas avoir de grandes catégories. Ce qui est vraiment important, c’est toujours, toujours mettre en avant l’intérêt premier de l’enfant.

Les « mamans poules » ne rendent pas service à leur enfant

A contrario, si le bébé baigne dans un environnement aimant, bienveillant, sécurisant comme vous le dites, quelles sont les qualités qu’il développera dans sa vie d’enfant et d’adulte ?

C’est un bébé qui sera peut-être plus prêt à affronter la vie, qui est loin d’être un parcours tout droit et tout simple ! Parce que c’est un bébé à qui on aura fait confiance. Donc c’est un bébé aussi qui doit savoir faire des expériences. C’est là où il ne faut pas non plus être trop couvant, trop « maman poule, papa poule » et lui empêcher toute difficulté. Non ! La construction de la personnalité doit se faire aussi après certains échecs qui permettent de rebondir et lui donner confiance pour aller de l’avant. Toutes ces étapes vont permettre à l’enfant d’arriver plus serein pour affronter ce que lui réserve sa vie, sa vie d’écolier et puis après sa vie en tant qu’adulte.

Faites confiance à votre enfant malade ou en situation de handicap

Il y a aussi la maladie, le handicap du tout-petit dont vous êtes une spécialiste. La façon dont on entoure cet enfant dès la grossesse peut-elle changer son devenir, l’améliorer en quelque sorte ?

Là aussi, c’est une question très complexe parce qu’on parle de handicap mais il y a différentes formes de handicaps. Il y a différentes causes avec des maladies génétiques, des maladies infectieuses, qui ont leur propre évolution pour elles-mêmes. Quel que soit le milieu, l’évolution sera pratiquement identique. Ceci étant, comme pour tout autre enfant, ce n’est pas parce qu’il est porteur d’un handicap intellectuel, moteur, psychique, qu’il faut avoir un regard qui soit totalement différent. Il faut lui faire confiance. J’ai vu trop d’enfants où d’emblée on avait donné des pronostics très difficiles pour ces enfants et qui sont arrivés, ils ont montré toute leur capacité à grandir, à se développer. Certes avec une différence, mais aussi avec une joie et un enthousiasme qu’il faut vraiment préserver.

Le rôle précieux des grands-parents

Quel peut être le rôle des grands-parents dans le développement du bébé, du cerveau de l’enfant ? Est ce que le bébé perçoit ce lien transgénérationnel ?

C’est une question très intéressante. Il y a un article très récent qui vient d’être fait sur le cerveau des grands-mères et qui montre que quand la grand-mère est maternelle, il n’y a pas tout à fait les mêmes zones d’activation cérébrale que les grands-mères paternelles. C’est un débat de scientifiques qui nécessite d’autres études. Il montre justement que la place des grands-parents est également importante. Peut-être que dans notre société, où les familles sont beaucoup plus éclatées, où les familles sont nucléaires et beaucoup plus isolées, la place des grands-parents – qui est parfois est trop importante avec des grands-parents qui sont intrusifs et qui ne permettent pas un bon développement de cette nouvelle famille – est très souvent une aide importante. Là aussi il faut trouver un équilibre en fonction de ce qu’on est. Le bébé fera très vite la différence entre des grands-parents qui sont tout à fait investis dans son champ familial et d’autres personnes qui ne font pas partie de sa famille. Il s’y reconnaîtra très bien dans son arbre généalogique !

Gare aux écrans, mais tout n’est pas à jeter…

Pour terminer, une question sur les écrans : le tout-petit est-il déjà sensible et fasciné ? Comment gérer la relation aux écrans avec un enfant en bas âge ?

La gestion doit être faite par les parents. Si un enfant n’a pas en permanence une télévision allumée autour de lui, si un enfant n’a pas en permanence des parents qui sont sur leur tablette, sur leur téléphone, qui tweetent toute la journée, eh bien il sera moins attiré et il n’ira pas rechercher ! Ceci étant, l’écran a un côté effectivement fascinant. Il faut savoir le doser. Tout n’est pas à jeter, tout n’est pas mauvais dans l’écran, mais c’est évident que si on raconte une histoire, il vaut mieux la raconter avec un livre en montrant des images – que le mot correspond à l’image.

Des études ont montré que les enfants apprenaient beaucoup mieux à parler, avaient un meilleur langage quand c’était un langage en direct, c’est-à-dire face à un adulte qui va articuler, prononcer les mots, avoir une certaine élocution, que au travers d’un écran avec une personne qui dirait la même chose.

Le bébé comprend le fonctionnement de l’écran plus vite que les adultes !

Privilégiez vraiment la relation personnelle dans le langage, la relation directe. On peut se servir des écrans pour certaines occasions mais qui soient là aussi bien cadrées, et surtout pas comme garde. Sinon le seul interlocuteur de l’enfant sera l’écran.  Donc il va se développer avec ce qu’on lui propose. Mais ce n’est pas lui qui va chercher l’écran à six mois ! C’est qu’on lui propose !

S’il y a un mode de famille où, dès qu’on arrive, la télé allumée et en permanence jusqu’au soir, ou qu’on est sur le téléphone ou sur une tablette, bébé ira voir ce qu’il s’y passe ! Et puis il a une grande fonction d’imitation ! Donc un iPad ou une tablette, il saura très vite le faire fonctionner hein ! Il a une préhension qui est correcte, il va comprendre très vite – ce qui est assez fabuleux quand même, parfois plus vite qu’un adulte –  que si on appuie sur tel bouton ça fait apparaître telle image. Mais laissons leur encore des jeux qu’on appelle un peu « éducatifs », où il faut mettre le puzzle avec le morceau au bon endroit, plus que d’appuyer sur un bouton. Ils auront le temps !

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