Comment les urologues traquent les cellules tueuses

Notre campagne de sensibilisation au cancer de la prostate s'est terminée au palais des sports de Toulon avec les médecins varois coordonnés par le Dr Pierre-Olivier Faïs de l'hôpital Sainte-Musse. Ils ont délivré une dernière conférence publique brillante. Le repérage des formes mortelles grâce au dépistage et les troubles sexuels provoqués par les traitements sont revenus sur la table. Avec également de bonnes nouvelles pour la prise en charge des patients.

Santé

« C’est le cancer numéro 1 : il représente 16% de tous les cancers en France, dont 25% des cancers chez l’homme. »

Le cancer de la prostate frappe fort avec 60 000 nouveaux cas et 8 100 décès chaque année. Mais… il est de très bon pronostic, surtout s’il est diagnostiqué à son démarrage.

L’intervention du Dr Yoann Koskas en introduction de la conférence « La Prostate, parlons-en pour nous protéger » en cette fin novembre au palais des sports de Toulon était absolument lumineuse. « C’est le cancer le plus fréquent, mais pas le plus « méchant », résume l’urologue de la clinique mutualiste Henri Malartic d’Ollioules. Bon, il n’est quand même pas si gentil que ça puisque dans 15 à 20% des cas on tombe sur un cancer agressif. Et ce sont ceux-là qu’il faut traquer. »

Dr Yoann KOSKAS, urologue, Clinique Malartic
Dr Yoann KOSKAS, urologue, Clinique Malartic

Un cancer dangereux car asymptomatique

C’est là que la recommandation du dépistage à partir de 50 ans pour tous les hommes – renouvelé chaque année par une simple prise de sang dosant le PSA et un toucher rectal – prend tout son sens. « Il faut le dépister car ce cancer ne donne pas de symptômes. En tout cas, pas au début. » Et quand il se manifeste par des douleurs ou du sang dans les urines, c’est que le mal est en général bien avancé…

Ah, le PSA ! 3 lettres maudites pour nous les hommes. L’augmentation du taux de cette protéine fabriquée par la prostate peut révéler la présence de cellules cancéreuses. Sur les résultats d’analyses transmis aux patients, son taux clignote en rouge dès qu’il dépasse 4. Panique dans les crânes – ça y est j’ai un cancer ! -, ruée sur Doctolib pour trouver un rencart chez n’importe quel urologue, effondrement généralisé du moral et remise en question de tous les projets, visions atroces d’impuissance sexuelle… C’est la cata intégrale !

PSA qui monte à 7… pas forcément un cancer

On se calme ! « C’est vrai que la norme est à 4 sur les examens des labos. Mais quelqu’un qui a une grosse prostate – par exemple à cause d’une hypertrophie – aura peut-être un PSA à 7 sans avoir un cancer. La valeur du PSA doit donc être interprétée en fonction du volume de la prostate » Idem si vous avez une inflammation de la prostate (prostatite).

Et le toucher rectal, c’est obligatoire Doc ? Récemment, un septuagénaire fier comme Artaban auquel je présentais la campagne organisée par MProvence, se glorifiait : « Le mec qui va me mettre un doigt dans le c.., je peux vous dire qu’il est pas né ! » Bienvenue dans le club des poètes. Dr Koskas : « Il faut faire le toucher rectal car 10% des cancers de prostate ne « fabriquent » pas de PSA. Or ce sont les cancers les plus agressifs. La prise de sang ne suffit pas. »

Merci qui ? Merci l’IRM !

Si une anomalie est suspectée, le patient passe une IRM. « Cet examen se trompe rarement. » L’étape suivante est la biopsie : « On fait des petits prélèvements, des petites carottes, sous anesthésie locale la plupart du temps; ça dure 10 minutes et ça permet d’échantillonner la prostate. Le compte rendu permet d’avoir le score d’agressivité » (Gleason 1 à 5 ou ISUP 1 à 3).

Du côté des bonnes nouvelles qu’engendre le diagnostic, ce cancer présente un taux de survie parmi les plus élevés : 70% à 10 ans, quand c’est 9% pour le poumon et 50% pour le côlon-rectum.

99% de survie à 10 ans pour les patients « surveillés »

Dr Claire Rion, urologue à la clinique des Fleurs
Dr Claire Rion, urologue à la clinique des Fleurs

Cette soirée a évidemment consacré une bonne place à la surveillance active (on en a longuement parlé dans nos précédents articles). C’est la Dr Claire Rion, urologue à la clinique des Fleurs à Ollioules, qui a expliqué cette formidable avancée après avoir rappelé que c’est un cancer d’évolution généralement très lente : « Cela s’applique aux cancers de faible risque localisés à la prostate. C’est le traitement recommandé en première intention. On est à 99% de survie à 10 ans. »

La surveillance active implique des prises de sang tous les six mois pour contrôler le PSA, une IRM annuelle et une biopsie tous les 2-3 ans. Elle s’applique désormais à plus d’un nouveau cancer sur trois.

70% des patients vivent avec leur cancer sans souci

70% des patients restent dans ce programme, sans autre traitement invasif,  peut-être pour toujours. Ils n’auront pas de traitements et préserveront une qualité de vie optimale malgré la présence d’un petit cancer indolent.

30% sortent de la surveillance active pour être traités, car leur cancer est devenu plus agressif. « Il y a un risque d’incontinence urinaire et de dysfonction érectile à opérer ou à faire des rayons, rappelle la Dr Rion. On ne tue pas des fourmis avec un bazooka. » Le petit cancer étant la fourmi, la chirurgie et les rayons le bazooka. Donc si vous avez un petit cancer qui ne bouge pas, le bazooka reste au placard.

Une majorité de patients traités retrouvent une sexualité satisfaisante

Dr Vassili Anastay,urologue à l'hôpital Sainte-Musse de Toulon
Dr Vassili Anastay,urologue à l’hôpital Sainte-Musse de Toulon

En effet, comme l’a brillamment détaillé le Dr Vassili Anastay, urologue à l’hôpital Sainte-Musse de Toulon, ce cancer est redouté des hommes parce que son traitement impacte inévitablement la sexualité et la continence urinaire. Parfois même assez gravement. Les bandelettes urinaires et les nerfs érecteurs qui longent la glande reproductrice sont soit touchés par la maladie et il faut les retirer, soit ils font partie des dégâts collatéraux de la chirurgie ou de la radiothérapie.

« On a forcément un impact de la chirurgie sur les érections, prévient le Dr Anastay. Mais petit à petit, on va récupérer. On a une récupération possible sur un délai compris entre 6 et 24 mois. » Toutefois, « 30 à 50% des patients traités par radiothérapie développent une dysfonction érectile à 3 ans », prévient le Dr Anastay. « Le Viagra ou le Cialis sont très efficaces. »

Il y a aussi les injections intra-urétrales, et surtout les injections intra-caverneuses que tous les urologues présentent comme la solution la plus sûre pour obtenir des érections permettant une pénétration. « 70% des patients utilisant des traitements de la dysfonction érectile retrouvent une sexualité satisfaisante pour le couple ».

Ce cancer peut dévaster les couples…

Un auditeur a cependant douché l’enthousiasme général en expliquant que la sexualité – c’est la préoccupation prioritaire des malades que de savoir ce qu’il en restera une fois traité – est sacrément impactée. Voire impossible. « On ne retrouve pas sa sexualité ni ses érections dans les deux années après le traitement, comme on l’entend dire. Ce cancer de la prostate fout le bazar dans le couple, inévitablement. Ce n’est pas aussi évident. Il n’existe rien pour en parler sur Toulon ? » On va y revenir…

Un seul trou dans l’abdomen !

Dr Pierre Munier, urologue UroVar, Hôpital Privé Saint Jean
Dr Pierre Munier, urologue UroVar, Hôpital Privé Saint Jean

Car avant des propositions d’accompagnement, le Dr Pierre Munier a présenté les innovations en matière chirurgicale. Le recours au robot a déjà la côte, bien qu’en vingt ans d’exercice, il n’ait pas prouvé sa supériorité sur les résultats fonctionnels et carcinologiques par rapport à la chirurgie ouverte. Mais il permet une mobilité à 360 degrés, une vision en 3D et une intervention plus rapide selon le Dr Munier.

A condition toutefois que l’opérateur soit parfaitement à l’aise avec l’emploi de la machine (et bien sûr que l’hôpital ou la clinique dispose évidemment de cet équipement coûteux et réputé pas rentable). Le robot offre aussi à l’opéré une récupération plus rapide. Cela devrait encore s’améliorer avec l’arrivée d’un robot permettant un accès à la prostate avec un seul trocard. On fera un seul trou dans l’abdomen pour introduire bistouri et caméra.

« L’avenir, c’est peut-être d’essayer des traitements conservateurs avec des prostatectomies partielles. L’objectif est d’être le moins invasif possible. Mais opérer sans être invasif, ça n’existe pas. »

Révolution dans les rayons

Dr Cédric KHOURY, radiothérapeute, St Louis Croix Rouge Française
Dr Cédric KHOURY, radiothérapeute, St Louis Croix Rouge Française

Le Dr Cédric Khoury a présenté un autre volet des traitements : la radiothérapie. Praticien au centre Saint-Louis de la Croix-Rouge à Toulon, il estime que « l’efficacité est équivalente à la chirurgie. La radiothérapie est indiquée à toutes les étapes de la maladie, y compris en cas de rechute après chirurgie, rechute ganglionnaire et métastases. Les évolutions de l’imagerie médicale, comme l’IRM et le TEP scanner, aident à mieux cibler les rayons. » C’est pourquoi la radiothérapie est de plus en plus performante.

Cette association technologique a déjà permis d’augmenter la dose par séance de rayons, et donc de réduire le nombre des séances, parfois 20 au lieu de 40. On parle même de 5 séances dans certains cas ! Une nouvelle machine bien plus performante est ainsi en cours d’implantation au centre Saint-Louis, elle sera opérationnelle en juillet prochain.

Revers de la radiothérapie : 5 à 10% des patients souffrent d’effets secondaires tardifs voire définitifs comme un jet urinaire faible, des saignements, une incontinence (exceptionnelle), un transit accéléré, des érections moins vigoureuses, une absence d’éjaculation et l’infertilité.

Un nouveau traitement très prometteur

Dr Emilie ROMEO, oncologue, Hôpital d'Instruction des Armées Ste Anne
Dr Emilie ROMEO, oncologue, Hôpital d’Instruction des Armées Ste Anne

En complément ou à la place de la chirurgie et de la radiothérapie, les médecins ont recours à l’oncologie qui va de la chimiothérapie à l’hormonothérapie. « L’enjeu est d’améliorer la tolérance aux traitements, le taux de guérison et la survie de nos patients« , résume la Dr Emilie Roméo, oncologue à l’hôpital militaire Sainte-Anne.

Les progrès dans la lutte contre l’hormono-résistance sont significatifs et un traitement très prometteur pointe son nez : la radiothérapie interne vectorisée. Elle consiste à administrer par voie veineuse toutes les 6 semaines, et à 6 reprises, un produit qui va se fixer sur les cellules cibles cancéreuses. « C’est très prometteur, assure la Dr Roméo. Nous avons un patient pour lequel toute trace de la maladie sur l’imagerie a disparu après seulement deux séances. »

Après les soins, des ateliers qui changent la vie !

Mme Leslie CONTE, coordinatrice de l'Education Thérapeutique 3C
Mme Leslie CONTE, coordinatrice de l’Education Thérapeutique 3C

Et du côté des innovations non médicamenteuses, cela progresse-t-il également ? Mais oui ! Ainsi de l’activité physique adaptée dont les bienfaits sont considérables pendant et après le traitement. « Elle permet de mieux le tolérer« , constate l’oncologue.

De quoi préparer l’entrée en scène de Leslie Conte, coordinatrice de l’éducation thérapeutique au Centre de traitement du cancer 3C Var Ouest. Son intervention punchy a fait un tabac auprès des auditeurs en recherche de solutions après avoir été soignés. « On propose une prise en charge complémentaire de la prise en charge thérapeutique. On a des solutions. » Trois cancers sont particulièrement concernés au 3C Var Ouest : le sein, le côlon et la prostate donc.

Les femmes invitées à participer

« Nous proposons des séances spécifiques sous forme d’ateliers à chacune de ces maladies et des séances mutualisées, pour l’activité physique adaptée, les démarches sociales, l’alimentation par rapport aux effets secondaires du traitement, la santé sexuelle. L’objectif est d’améliorer la qualité de vie de vous Messieurs et de votre entourage. On aime d’ailleurs bien que les « aidants » (NDLR : sous-entendu les compagnes) y participent. »

La proposition a carrément séduit l’auditoire qui s’est rué sur Mme Conte pour savoir comment bénéficier de ce soutien. Eh bien c’est simple : il suffit d’envoyer un mail à etp.varouest@gmail.com ou d’appeler le 06 07 15 84 01.

Parlons de notre prostate avec fierté !

Pierre-Olivier FAIS, chef du service urologie de l'Hôpital Sainte-Musse à Toulon
Pierre-Olivier FAIS, chef du service urologie de l’Hôpital Sainte-Musse à Toulon

Coordinateur scientifique de cette soirée, le Dr Pierre- Olivier Faïs, chef du service d’urologie de l’hôpital Sainte-Musse, pouvait savourer le succès des 2h30 d’échanges. Les hommes et les quelques femmes venus s’informer sont repartis riches d’enseignements et de contacts donc – comme celui de l’association de patients Anamacap -, certainement rassurés sur la pertinence de la prise en charge et heureux d’avoir pu accéder aussi aisément aux médecins.

Tout au long de cette campagne, notre ambition, à MProvence, était que le cancer de la prostate sorte de la zone grise et dangereuse du tabou. Mission accomplie. Qu’on se le dise : la prostate n’est pas un organe honteux puisque sans sa fonction reproductrice, l’humanité n’existerait tout simplement pas.

Parlez donc de votre prostate d’abord avec votre médecin et avec votre femme, ensuite avec vos amis. Vous sauverez des vies, peut-être la vôtre en premier lieu.

Mois traditionnellement consacré à la prévention des cancers masculins, novembre s’achève. Mais le combat contre le cancer ne s’arrête jamais, lui.

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