Dans le massif alpin, la louvèterie reprend du poil de la bête

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Patrice Borel est lieutenant de louveterie dans les Alpes depuis 2019. Il exerce cette fonction par passion de la faune sauvage et n’hésite pas à confier le respect qu’il porte au loup, même s’il assume pleinement de tuer ceux qui attaquent les troupeaux.

Eleveur de bovins à Montclar, dans la vallée de la Blanche, Patrice Borel a une autre casquette qui l’occupe énormé­ment, surtout la nuit. Il est lieute­nant de louveterie depuis deux ans et vient notamment en aide aux éleveurs ovins dont les trou­peaux subissent la pression du loup, en prélevant les individus qui les attaquent. Mais, ce n’est pas tout, il est un véritable auxi­liaire de l’État en matière de ges­tion de la faune sauvage dans son ensemble. Depuis septembre, il a pris la tête du groupement des lieutenants de louveterie des Alpes-de-Haute-Provence. Il succè­de à Gérard Autric, qui souhai­tait passer la main.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un lieutenant de louveterie ?

Il s’agit d’un conseiller technique de l’administration. Il est bénévole et s’occupe des problèmes posés par la gestion de la faune sau­vage. Cette fonction est née sous Charlemagne. Il organise et conduit des actions de conciliations entre agriculteurs et chasseurs ; des opéra­tions de destruction des animaux d’Espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (Esod) lors de battues administratives de jour comme de nuit. Nous pouvons également être sollicités par le préfet pour intervenir dans le cadre du Protocole loup. Nous constatons aussi, dans la limite de notre circonscription, les infractions liées à la police de la chasse.

Aujourd’hui combien êtes-vous dans le département ? Et qui sont-ils ?

Nous sommes 24 répartis en 15 circonscriptions (voir carte). Personnellement, je suis en charge de l’Ubaye. C’est l’accroissement de la population de loup qui a fait aug­menter les effectifs. En 2018, il n’y avait qu’une quinzaine de lieute­nants de louveterie dans le départe­ment. Chez les louvetiers, il y a un peu tous les profils : des agricul­teurs, des artisans, des salariés, des chefs d’entreprises, des retraités… etc. Tous sont là avant tout par passion, car c’est bénévole et très chronophage. Il ne faut pas compter ses heures et être disponible parfois des nuits entières et plusieurs jours d’affilée. Dans ces cas-là, on désectorise pour tenir le coup.

Un très bel animal à mieux comprendre

Pourquoi vous êtes-vous engagé dans la louveterie ?

C’est vraiment par passion, par goût du contact avec les gens et pour les aider à résoudre les pro­blèmes qu’ils pourraient rencontrer avec la faune sauvage. Mais aussi par conséquent par amour pour celle-ci. Pour le loup je voulais com­prendre cet animal qui est vraiment très intéressant. D’ailleurs, je souhaite faire une formation avec l’Office français de la biodiversité (OFB) sur le réseau loup afin que mes observations soient prises en compte dans le comptage des individus. Je suis toujours curieux de comprendre sa physiologie. C’est un très bel animal, très intelligent et même si nous en prélevons, nous le respectons. Je déplore d’ailleurs que nous n’ayons pas plus d’informations sur les animaux que nous tirons : âge, provenance… etc

Comment pouvez-vous intervenir ?

Pour tout ce qui est dans le cadre de la régulation des Esod, nous sommes mandatés par le ser­vice « Environnement et risques » de la Direction départemental des territoires (DDT). Ensuite, nous voyons avec l’agriculteur et les chas­seurs quel est le meilleur moyen d’agir. Un arrêté est ensuite édité pour cadrer la mission. Pour la prédation lupine, le proces­sus est un peu différent. C’est le ser­vice « Pastoralisme » de la DDT, sous le contrôle du préfet coordonnateur loup, qui gère le dossier. Nous ne sommes pas là pour surveiller les troupeaux, mais pour prélever les loups qui les attaquent, en respectant le protocole édicté par l’État. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, dès que l’éleveur dispose d’un Tir de défense renforcée (TDR) et qu’il a subi deux attaques dans les trois mois, nous pouvons intervenir sans être dépendants de la préfecture ou de la DDT, contrairement à d’autres départements qui doivent attendre l’autorisation de la DDT. Pour obtenir un TDR, l’éleveur doit subir trois attaques sur son trou­peau et cela est un peu compliqué dans notre département, car il y a de nombreux transhumants qui ne sont là que pour trois ou quatre mois. Ou alors les troupeaux chan­gent de nom, dans le sens où ils passent d’un propriétaire en nom propre à un groupement pastoral durant l’estive.

Des recrutements pour mieux contrôler la problématique

De quel matériel disposez-vous ?

Jusqu’au début de l’année 2021, nous pouvions intervenir avec du matériel thermique sur des TDS, mais depuis le printemps, le protocole s’est durci et nous ne pouvons plus l’utiliser que pour les TDR. La raison invoquée est de favoriser une meilleure gestion des quotas en prélevant les loups responsables d’attaques récurrentes. Le matériel de repérage thermique appartient à la DDT et nous disposons tous de nos armes personnelles. Cette année, la préfète a obtenu 30 000 € pour acheter des lunettes et des jumelles thermiques. La même enveloppe devrait être également débloquée l’an prochain pour le matériel. C’est indispensable, car on ne va pas aller sur des brebis la nuit, à la lampe électrique ! C’est pour cela que le début de l’année a été compliqué et qu’il y a eu peu de prélèvements, car nous n’étions pas bien équipés. 

Une fois que vous avez été alerté comment cela se passe-t-il ?

Je suis, soit averti par la DDT, soit les éleveurs peuvent me contacter directement. Dans un premier temps, j’appelle pour pren­dre les informations et pour savoir si cela vaut le coup d’y aller. Je vais faire un repérage de jour, pour voir ce qu’il s’est passé et trouver le meil­leur endroit à proximité du trou­peau pour me positionner. Et, avant toute chose, on vérifie que le trou­peau est bien protégé, comme l’exige la loi, et que l’éleveur a bien son TDR, sinon nous ne pouvons pas intervenir. Nous y allons alors la nuit et nous restons soit à l’affût en extérieur ou dans le véhicule. Si nous prélevons un loup, nous prévenons immédiatement l’OFB et nous devons laisser l’animal sur place.

Qu’espérez-vous pour les années à venir ?

Il faut vraiment que les éle­veurs soient réactifs, qu’ils fassent leurs demandes et qu’ils nous appellent. Cette année a été un peu particulière, car nous n’avons eu des TDR que tardivement. C’est une année de transition. Le fait que la DDT veuille inclure les demandes de TDR dans les dossiers « mesures de protection », afin que les éleveurs les demandent en amont, est une très bonne chose, car nous pourrons être plus réactifs. La DDT a égale­ment réussi à nous obtenir, avec le sous-préfet de Barcelonnette qui se charge de la prédation dans le département, de nombreuses déro­gations pour intervenir en TDS. Nous travaillons également au recrutement de trois lieutenants supplémentaires pour trois secteurs où les attaques ont augmenté, afin de mieux répondre aux demandes. Nous ne pouvons que reconnaître que la préfète fait tout pour que nous puissions prélever des loups dans le département. L’État est vraiment à notre écoute.

Alexandra Gelber pour L’Espace Alpin

L’Espace Alpin est le journal agricole et rural des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. Ce journal bimensuel est disponible sur abonnement sur lespace-alpin

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