David Boulate est un obstiné. Depuis 2018 et le lancement de son étude scientifique, le chirurgien passionné de football va toujours droit au but. Surtout depuis qu’il a rejoint Marseille, en 2020, même s’il garde des liens étroits avec Paris et le Centre international des cancers thoraciques (CICT). Son entêtement est lié à un objectif qu’il s’est lui-même fixé : mettre en œuvre un nouveau parcours de soin individualisé de prévention et de dépistage, afin de réduire la mortalité liée au cancer du poumon dans tout le pays.
La clé, c’est la précocité du diagnostic, donc une stratégie de dépistage capable de révéler les tumeurs pulmonaires à un stade où les traitements curatifs fonctionnent. C’est l’objectif de l’étude Prevalung, qui « vise à identifier une population facile à reconnaître en termes de risques, afin qu’elle puisse bénéficier du dépistage », explique David Boulate.
Des premiers résultats qui rejoignent les grandes études internationales
« Les premiers résultats montrent que, mené à l’échelle d’un établissement de santé français pendant un an, ce dépistage a permis de diagnostiquer les cancers du poumon à un stade précoce, enclenchant un traitement à but curatif dans 90 % des cas, se félicite-t-il, précisant que ces résultats préliminaires rejoignent ceux des grandes études internationales sur le dépistage de ces cancers. Ils montrent qu’un diagnostic précoce entraîne dans 70 % des cas une réduction de la mortalité liée à ce cancer entre 20 % et 30 % à 5-10 ans par rapport à l’absence de dépistage. »
« C’est le cancer qui tue le plus car il est diagnostiqué trop tardivement »
Le premier responsable reste le tabac et son usage au long cours. « Une personne qui continue de fumer entre 50 et 75 ans voit son risque cumulé multiplié par deux par rapport à une même personne qui arrête de fumer avant 50 ans, indique le chirurgien, soulignant qu’il n’est jamais trop tard pour arrêter de fumer, et c’est également vrai après 50 ans ! Mais attention : plus on fume longtemps, plus on aura de risques de développer un cancer du poumon. Et lorsque il est diagnostiqué tardivement, les chances de guérison sont plus faibles. La stratégie de diminution de la mortalité liée au cancer du poumon inclut donc une prévention par sevrage tabagique et un diagnostic précoce par dépistage. Le diagnostic est encore trop tardif dans une grande majorité de cas. C’est le cancer qui tue le plus à cause de ça. »
« Nous avons l’ossature aujourd’hui pour mettre en œuvre le dépistage du cancer du poumon »
Et David Boulate d’insister : selon lui, « lorsque le cancer du poumon fait moins d’un centimètre, soit le stade 1 de la maladie, la survie du malade à 5 ans est de 92 %. Au stade 4, le plus avancé, l’espérance de vie à 5 ans est inférieure à 10 %. En France, 127 cancers du poumon sont diagnostiqués par jour en moyenne. Ce qui fait environ 46 000 sur un an, mais ils ne sont diagnostiqués à un stade précoce dans seulement 16 % des cas. Dans Prevalung, nous avons intégré des patients âgés entre 45 et 75 ans, ayant fumé au moins dix ans et présentant des antécédents de maladies cardiovasculaires de type athéromateuse, c’est-à-dire les patients coronariens, avec une artérite des membres inférieurs, un antécédent de sténose carotidienne ou un anévrisme de l’aorte. Ce parcours de soins de dépistage consiste en une consultation dédiée qui permet d’informer le patient des bénéfices et des risques du dépistage, des scénarios possibles, de planifier le scanner et la consultation avec un tabacologue si cela est nécessaire. Les dépistages positifs sont revus de manière systématique par une équipe multidisciplinaire formée de médecins spécialistes en pneumologie, radiologie, cancérologie et chirurgie thoracique. Nous avons l’ossature aujourd’hui pour mettre en œuvre ce dépistage du cancer du poumon. »
« Il faut adosser ce dépistage aux parcours de soins déjà existants des patients »
La méthode a permis de détecter 12 cas sur 400 personnes dépistées et 11 d’entre eux étaient à un stade précoce, soit plus de 90 % du total. « Tous les patients ont pu bénéficier des meilleurs traitements actuels, le plus souvent en vue d’une guérison, ce qui signifie pouvoir reprendre une vie normale après une chirurgie thoracique minimalement invasive. Pour généraliser cette méthode, nous devons inciter à la réalisation de scanners de faible irradiation chez les personnes à risque, bien ciblées, mais aussi prévoir dès le début la prise en charge spécialisée au sein d’équipes multidisciplinaires expertes en cas de dépistage positif. C’est la condition sine qua non pour s’assurer d’un niveau de sécurité maximale pour les patients, en évitant des gestes invasifs inutiles tout en s’assurant de leur rendre service. Un autre enjeu majeur est de faire monter les patients à bord de ce type de parcours de soin, de leur montrer qu’ils n’ont rien à perdre, de faire en sorte qu’il y ait le moins de contraintes possibles. Et, pour cela, il faut adosser ce dépistage aux parcours de soins existants. »
Convaincre la Haute Autorité de Santé sur un dépistage généralisé
Le dépistage généralisé du cancer du poumon n’est pas recommandé par la Haute Autorité de Santé, qui a émis son dernier avis donné sur la question en 2016. Mais de nombreux médecins prescrivent aujourd’hui des scanners de dépistage pour leurs patients à risque. Pourtant, selon le docteur Boulate, « une coordination nationale du dépistage permettrait de mieux évaluer ce parcours de soins et, ainsi, d’augmenter les bénéfices et de réduire les risques pour tous les patients. Nous dépensons beaucoup d’argent dans les traitements des stades avancés des cancers du poumon, telles les immunothérapies, ce qui est une très bonne chose, mais on ne se donne pas les moyens en France d’aller dépister plus précocement les gens qui fument ou ont fumé. Nous proposons d’anticiper toujours plus en jouant sur l’environnement médical du patient. »
« Plus de 40 % des patients avec un cancer du poumon présentent un antécédent de maladie cardiovasculaire »
Autre constat : il n’y a pas de données françaises sur le dépistage du cancer du poumon, excepté celles issues de la recherche clinique comme l’étude Prevalung. Dans cette dernière, on constate qu’il existe des facteurs de risques similaires entre les maladies cardiovasculaires et le cancer du poumon, tel que le tabac. « Plus de 40 % des patients avec un cancer du poumon présentent un antécédent de maladie cardiovasculaire, en premier lieu les maladies coronariennes. Réaliser un dépistage des cancers du poumon chez les patients athéromateux fumeurs ou anciens fumeurs permettrait ainsi de diagnostiquer grâce au dépistage 40 % des patients atteints du cancer du poumon. De manière concrète, nos résultats suggèrent que les médecins en charge des patients avec des maladies cardiovasculaires liées au tabac devraient orienter les patients vers le dépistage. Ce qui est proposé ici, c’est de décloisonner les prises en charges spécialisées en ajoutant un brin de transversalité afin de résoudre des problèmes majeurs de santé publique. »
Les sociétés savantes américaines, européennes et française sont en accord
« Aujourd’hui, les sociétés savantes américaines, européennes et française sont en accord et recommandent la mise en place du dépistage des cancers du poumon » souligne-t-il, rappelant que « en 2016, la position négative de la Haute Autorité de Santé était fondée sur le fait que les critères n’étaient pas réunis pour mettre en place le dépistage et qu’il devait ainsi continuer de s’inscrire dans des protocoles de recherche pour encore mieux définir les bénéfices et les risques. Les arguments se résumaient ainsi : c’est une maladie difficile à détecter, avec une rapidité de développement trop différente d’un patient à un autre, un dépistage pouvant générer des irradiations, sans un dispositif encore bien défini et connu pour les traitements, avec des patients exposés à des chirurgies lourdes. »
Plus de 70 % de survie à 5 ans quand le cancer du poumon est diagnostiqué à temps
« Il y a des faits, irréfutables, insiste David Boulate, et si on veut réduire la mortalité, il faut orienter les patients les plus à risque vers un sevrage tabagique et faire du dépistage. Nous avons plus de 70 % de survie à 5 ans quand le cancer du poumon est diagnostiqué à temps et le dépistage est la méthode de référence pour y parvenir. Mais nous voulons déjà aller plus loin, en prenant également en charge les autres maladies liées au tabagisme, afin de réduire le risque de mortalité compétitive. Il serait en effet dommageable de guérir des patients d’un cancer du poumon et les voir mourir à cause d’une comorbidité liée au tabagisme, évitable par le moyen d’une prévention ou d’un dépistage bien conduit. »
Avec cette stratégie, David Boulate l’affirme, « nous savons que nous passerons à plus de 70% » de cancers dépistés à un stade précoce, au lieu de 15 à 16% actuellement. Et comme « les traitements ont énormément progressé, notamment avec le développement de la chirurgie minimalement invasive et la réhabilitation améliorée après chirurgie. »
Le tabac est la cause de 17 cancers différents aujourd’hui
Entre fatalisme et réalisme, le chirurgien déplore que le tabac soit toujours en vente libre dans notre pays, alors que « on sait depuis les années 1950 qu’il est la cause principale du cancer du poumon, de 17 autres cancers, de la plupart des maladies cardiovasculaires athéromateuses et de la bronchite chronique. » Sur ce plan, la solution n’est pas médicale, mais politique.
Les progrès considérables effectués dans la chirurgie thoracique
En 2021, deux études – américaine et européenne – ont apporté plus de données et de recul sur le dépistage des cancers du poumon. Elles ont été menées chez des dizaines de milliers de patients et concordent à démontrer que le dépistage des cancers du poumon avec un scanner de faible irradiation diminue la mortalité liée à ce cancer entre 20 % et 30 % à 5-10 ans chez les patients à haut risque par rapport à l’absence de dépistage par scanner.
« Par ailleurs, la chirurgie thoracique a grandement évolué » précise le Dr Boulate, « nous opérons aujourd’hui les patients qui ont un cancer du poumon localisé par vidéo thoracoscopie, c’est-à-dire avec une caméra et sans écarter les cotes. Cette chirurgie est réalisée dans le cadre de programmes de réhabilitations améliorées après chirurgie qui permettent de mieux préparer et prendre en charge les patients opérés. Nous opérons donc de manière plus efficace, des patients mieux préparés et mieux suivi après les interventions, ce qui diminue de manière importante le risque de complications et la durée d’hospitalisation. Au final, un patient opéré d’un cancer du poumon de stade localisé peut reprendre une vie normale après une semaine d’hospitalisation en moyenne. »
Les chiffres
33 100
Selon le dernier chiffre officiel donné par l’Institut national du cancer, le cancer du poumon a provoqué en France, sur l’année 2018 : 33 100 décès
67
Le cancer du poumon est la première cause de mortalité liée au cancer dans le monde, excepté sur le continent africain car l’espérance de vie y est inférieure à 67 ans, qui correspond à l’âge moyen au moment du diagnostic du cancer du poumon.
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