Quechen en Provence, c’est un peu le Toyota à Valenciennes, l’Amazon à Amiens ou le Bertelsmann en Champagne-Ardenne. L’obtention de l’implantation de l’industriel chinois sur les terrains du port de Marseille-Fos est décisive pour la Provence. Parce l’investissement n’est pas négligeable et est porteur d’emplois. Mais au-delà, bien des symboles. Décryptage.
C’était une partie d’échecs jouée avec une cadence à incrément (de très longue durée). Depuis deux ans, la décision prenait ses aises. Et le moindre toussotement de l’industriel asiatique Quechen, chacune des visites de ses dirigeants (ses représentants ont été reçus une dizaine de fois. Son président, Que Weidong est lui-même venu plusieurs fois), mettaient les décideurs de la place « Provence » en branle-le-bas de combat.
Le groupe chinois de Wuxi (province de Jiangsu, 120 M€ de chiffre d’affaires), qui a manifesté il y a désormais deux ans sa volonté d’implanter en Europe une usine de silice pour se rapprocher de ses clients pneumaticiens européens, Michelin, Continental ou Pirelli, qui n’a encore jamais investi en Europe, dont il ne connaît quasiment que le port de Rotterdam par lequel transitent ses marchandises, est parti d’un scope très large (entre 25 et 28 sites auraient été étudiés, dont Fos, Dunkerque et la Lorraine en France) pour retenir à l’issue d’un long process, trois « favoris », Krefeld dans la Ruhr en Allemagne (finalement éliminé), Fos-sur-Mer et Rotterdam aux Pays-Bas.
Enjeux cruciaux
La délégation provençale en Chine au siège de l’industriel chinois Quechen Silicon Chemical ©DR
C’est manifestement en marge de la visite du président français Emmanuel Macron en Chine que les verrous retenant l’ultime décision ont sauté… Pour qu’un « accord (soit) signé [en vue de lancer] la phase finale de négociation pour l’implantation sur le port de Marseille-Fos de l’usine européenne du Chinois Quechen Silicon Chemical, n°3 mondial de la silice pour des pneus verts », indique un communiqué parvenu simultanément des deux artisans du dossier : Provence Promotion, l’agence de développement économique de la Métropole Aix Marseille Provence et le Grand port maritime de Marseille (GPMM), pour lequel les enjeux étaient si ce n’est cruciaux, du moins importants.
L’événement est décisif pour la Provence. Il semble l’être aussi à un niveau plus « central » puisque le 9 janvier 2018, date la signature de la lettre d’intention à Pékin, étaient présents le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, le locataire de Bercy, Bruno Le Maire, le ministre chinois des Finances, Zhong Shan et le vice-ministre des Affaires étrangères Wang Chao.
Le 9 janvier 2018, date la signature de la lettre d’intention à Pékin, où étaient présents le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian (à gauche, Philippe Stéfanini, directeur de Provence Promotion et Christine Cabau-Woehrel, présidente du directoire du GPMM). ©DR
Quechen en Provence, c’est …
Quechen en Provence, c’est un peu le Toyota à Valenciennes, l’Amazon à Amiens ou le Bertelsmann en Champagne-Ardenne. Le premier marqueur fort de la capacité de ce territoire à attirer un grand industriel étranger. Un catalyseur de la compétition de haute intensité qui se joue entre les territoires.
C’est du moins ce qu’en faisait la « task force » constituée à cet effet sous l’égide du préfet (fédérant l’ensemble des parties prenantes : port de Marseille, collectivités territoriales, État, milieux économique et institutionnel…) et qui n’a pas compté les miles en allers-retours à l’autre bout du monde, VIP à l’appui, pour emporter le morceau.
Pourquoi la décision est importante
Que Weidong (à gauche), lors d’une rencontre avec Christian Estrosi à Wuxi. ©DR
La décision est importante à plusieurs égards. Á la fois parce que l’installation d’une usine de 90 000 t/an de « silice hautement dispersible » (la silice HDS contribue à la réduction de la résistance au roulement des pneus, de la consommation de carburant et augmente les performances de sécurité du véhicule) et d’un centre de R&D, générerait un investissement de l’ordre de 105 M€ permettant la création de 130 emplois directs et 200 indirects. Mais au-delà, une illustration parfaite des ambitions du port de Marseille, qui entend se positionner en tant qu’alternative crédible à ses homologues du nord de l’Europe. En l’occurrence, Marseille-Fos l’aurait emporté face au néerlandais, parmi les 10 plus grands ports mondiaux, Rotterdam.
Expier une faute
Le dossier permet en outre d’expier la faute originelle d’Hexcel, dossier sur lequel le territoire « s’est loupé », faute de jeu collectif pour les uns, d’offre pas prête pour les autres. La société américaine spécialisée dans la fibre de carbone, qui cherchait aussi à créer une nouvelle unité en Europe, a finalement choisi la région lyonnaise. Philippe Stéfanini, le directeur général de Provence Promotion, comme Jean-Luc Chauvin, président de la CCI Marseille Provence et président de Provence Promotion, défendent l’idée qu’avec Piicto fonctionnant (Piicto est une plate-forme fonctionnant sur le principe de l’économie circulaire : mutualisation des réseaux de chaleur et de commodités … qui se développe sur l’enceinte portuaire de Marseille-Fos), le cours des choses en aurait été modifié.
L’histoire dira si la plate-forme a joué dans la décision de Quechen (notamment pour la réduction des coûts d’exploitation qu’elle permettra).
Parangon d’une attractivité
Le 3e armateur mondial CMA CGM, basé à Marseille, est présent en Chine depuis 1992, et fut un des premiers armateurs à y ouvrir une ligne alors que jusque-là tout passait par Hong Kong. Ici Jacques Saadé, alors PDG, avec le premier Ministre chinois et Jean-Pierre Raffarin, ex premier Ministre français très introduit dans les sphères chinoises.
Mais là, n’est plus le sujet. La décision fait du bien au territoire. D’autant que la zone industrialo-portuaire, depuis ses années fastes, vit plutôt à débit qu’à crédit dans le solde entre ouvertures et fermetures d’unités.
Quoi qu’il en soit, les promoteurs du territoire en feront sans doute le parangon d’une attractivité nouvelle, après les « beaux coups » réalisés par le groupe Weichai Power, qui a racheté les Moteurs Baudouin en 2008, l’implantation de Watctdata Technologies France, le « Gemalto chinois » et la vingtaine d’entreprises locales connues pour leur actionnariat chinois, pour certaines via leur participation dans des entreprises françaises. Il en est ainsi de China Merchants Holding International (CMHI) via Terminal Link, filiale de CMA-CGM, du groupe Louvre Hotels, propriété du groupe chinois Jin Jiang, via l’hôtel Golden Tulip au sein d’Euromed Center, ou du franco-chinois Wiko, détenu par Tinno, un fabricant de smartphones basé à Shenzhen, mais dont le siège est à Marseille où il emploie 200 personnes, sur un total de 500 salariés.
Toutefois, la Chine ne figure qu’au 10e rang en tant qu’investisseur en région PACA selon une étude menée par l’Agence régionale de l’innovation et de l’internationalisation des entreprises (janvier 2017).
Et si le dénommé Empire du Milieu est le 1er fournisseur de la métropole Aix-Marseille-Provence en lui vendant pour plus de 2,4 Md€, la Chine n’achète à la Provence que pour une valeur de 245 M€.
Une nouvelle encourageante dans le cadre des nouvelles Routes de la Soie ?
Le premier train chinois, dans le cadre des nouvelles Routes de la Soie, est arrivé en France à Lyon en avril 2016. Une liaison qui compte deux dessertes Wuhan-Lyon et un train retour par semaine.
C’est aussi une nouvelle encourageante dans le cadre du grand dessein chinois de recomposer les antiques Routes de la Soie, projet désormais connu sous le nom de « Belt and Road Initiative » : la deuxième puissance économique mondiale est en effet en train de tisser une gigantesque toile de routes, de voies ferrées et de ports, préfiguration d’un nouvel axe commercial majeur dans lequel elle compte investir 1 100 milliards de dollars sur 5 ans.
Quechen, comme Marseille International Fashion Center 68 (MIF 68), un centre de commerce de gros porté par des commerçants chinois dans les quartiers Nord de Marseille qui ambitionne de devenir la principale plateforme d’import-export entre la France et la Chine pour toute l’Europe du Sud et l’Afrique du Nord, peuvent servir d’étau à l’ouverture notamment internationale de la métropole Aix Marseille.
Gurvan Lemée et Xavier Giocanti (premier et troisième en partant de la gauche), les cofondateurs de Resiliance, Dingguo Chen (2e position sur la photo), investisseur et promoteur du MIF 68, et grossiste installé actuellement à Marseille, et Zhy Ling, le consul général de Chine à Marseille ©NBC
Xavier Giocanti, le cofondateur de Résiliance, une société qui porte des projets tertiaires dans les quartiers Nord de Marseille et qui est à l’œuvre dans le projet du MIF68, voit dans les nouvelles Routes de la Soie une belle opportunité à saisir pour le port de Marseille. Car l’homme d’affaires ne peut concevoir que cet immense pipeline économique termine sa course en Adriatique (le projet chinois s’appuie sur deux portes d’entrée en Europe : Athènes pour la voie maritime via le port du Pirée, et Duisbourg en Rhénanie-du-Nord-Westphalie pour la voie terrestre) « alors qu’un grand port comme celui de Marseille-Fos est bien mieux équipé et connecté au flux économique intra européens ».
Á l’occasion du forum économique franco-chinois, organisé fin octobre à Marseille à l’initiative de la Chambre de commerce et d’industrie de Chine en France et pour la première fois hors de Paris depuis sa création en 1998, le consul général de Chine Zhy Lying, basé à Marseille (l’une des quatre « bases » en France de l’ambassade de Chine), insistait sur le fait que « cette ville cumule les atouts – géographiques, culturelles, économiques -, le crédit et le patrimoine positifs pour participer à toutes les initiatives chinoises ».
Le consul général de Chine à Marseille Zhy Lying, aux côtés de Didier Parakian, adjoint à la ville de Marseille en charge de l’économie et Frédéric Ronal, élu à la CCI Marseille Provence délégué aux questions internationales, lors du forum économique franco-chinois, qui s’est tenu à Marseille. Pour la première fois hors de Paris. ©AD
SAV différenciant
Quoi qu’il en soit, s’engageait Jean-Luc Chauvin, à l’occasion du changement de présidence à Provence Promotion, tout ce qui aura été déployé pour emporter la décision Quechen – le jeu collectif, la prévenance dont les dirigeants ont été entourés, la garantie d’un accompagnement de longue durée, les facilités administratives …-, ne feront plus exception.
La feuille de route 2017-2020 de Provence Promotion entend soigner tous ses points. « C’est la SAV qui fera la différence dans la compétition territoriale. Toujours donner le sentiment à l’investisseur que l’on s’occupe de son dossier au plus haut niveau. Apporter des réponses aux questions qui l’angoissent mais que l’investisseur ne posera pas toujours spontanément », exhortait le président de la CCIMP.
Désamorcer les clichés qui s’accrochent à la métropole, pas une mince affaire en effet. Mais déjà, si l’investisseur peut trouver une porte d’entrée unique « qui soit l’équivalent d’un tiers de confiance », soutiennent les décideurs, qui croient cette fois tenir le bon fil.
Visite du premier Ministre Chinois LI Keqiang au siège du Groupe CMA CGM avec Roldophe Saadé, en juillet 2015. A cette occasion, le CMA CGM ORFEO, navire symbole des relations commerciales franco-chinoises et décoré aux couleurs de la Chine, était exceptionnellement positionné en rade de Marseille. ©CMA CGM
« La création de la Métropole est un bon point. Elle nous permet de faire valoir un territoire pertinent à la taille critique et de travailler à la bonne échelle. Les grands projets nous permettent de rayonner. Quand un investisseur vient, il cherche à comprendre où est son intérêt. Il veut des transports qui fonctionnent, du foncier qui lui permette de prévoir des développements, des projets dans lesquels s’inscrire. À nous de trouver les bons véhicules juridico-financiers pour que l’investisseur ait la lisibilité nécessaire. Car pour lui, le droit français c’est compliqué, les charges sociales c’est cher… », cadrait Maurice Wolff, vice-président de la CCI Marseille Provence, à l’occasion du colloque annuel de l’Institut de droit des affaires d’Aix-Marseille en juillet.
So what ?
Pour faire de l’une des plus « prometteuses » métropoles, selon certains classements, une terre d’Eden pour les investissements, Provence Promotion a initié « une opération de visibilité auprès des maisons-mères », qui ont investi localement, « de façon à solidifier nos implantations à travers une relation plus quotidienne, plus régulière avec elles ».
Il est aussi question de profiter de grands événements, type Les Rencontres économiques d’Aix-Marseille Provence où se presse chaque année le gotha mondial de l’économie, grands patrons et ministres, pour « accueillir en VIP les décideurs et capter de l’intérêt ».
Restent les facteurs exogènes sur lesquels le territoire a peu de prise, les sparadraps qui colle à l’économie tricolore : « over-sheltered », « welfare-cushioned », « state-stifled », « centralised, quaint and archaic model », tyrannisent les Anglo-saxons. Des gros mots pour dire fiscalité, droit et coût du travail… ce à quoi est en train de s’attaquer, manifestement, l’actuel gouvernement. Mais là est une autre histoire.
Importance du « fixeur »
Le communiqué, cosigné par Provence Promotion, Business France, Kem One (patron de Piicto et du groupe de chimie Kem One) la Métropole, la Région, et la CCIMP, mentionne tous ceux qui ont largement contribué à l’obtention du dossier.
Mais à la base, il y a toujours un « fixeur » : en l’occurrence, en janvier 2016, c’est Bruno Lefebure, avocat marseillais de retour au pays après une quinzaine d’années passées en Chine, qui avait eu vent, par son réseau à Shanghai, du projet de Quechen. C’est lui qui a répercuté l’info au niveau local.
— Adeline Descamps —
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