Le dernier rapport de l’Insee « femmes et hommes, l’égalité en question » est sans équivoque. Malgré une nette augmentation du taux d’activité des femmes en 40 ans et quelques avancées dans les mentalités, les inégalités persistent en termes d’évolution de carrière et d’accès aux postes de direction. De même, en 25 ans, les écarts salariaux ont baissé de 5 points seulement : de 27%, ils sont passés à 22% aujourd’hui.
Quelles sont les raisons de cette trop lente décrue des inégalités, en dépit des dispositifs mis en place par le gouvernement ces dernières années ?
Selon Sylvie Le Minez, cheffe de l’unité des études démographiques et sociales de l’Insee, qui a présenté l’étude, des freins subsistent qui empêchent les inégalités entre hommes et femmes de se combler plus rapidement et plus efficacement. Parmi ces freins, les stéréotypes de genre et les normes sociales intériorisées, la répartition des tâches domestiques ou l’arrivée d’un enfant influent largement sur les choix d’activité des femmes, en termes de temps de travail et de carrière, ce qui n’est pas sans effet sur leur rémunération. A l’inverse, l’arrivée d’un enfant ne change pas grand chose à la trajectoire professionnelle des hommes.
L’une des spécificités de ce rapport, c’est qu’il aborde toutes les étapes de la vie d’une femme et offre une photographie complète de l’évolution des inégalités hommes/femmes au fil du temps, notamment en termes de revenus. Il détaille ainsi l’évolution de l’activité professionnelle des femmes par rapport aux hommes, ainsi que leur représentativité politique à des postes clés1.
Évolution des mentalités et du taux d’activité des femmes en 40 ans
L’étude met aussi en évidence une évolution des comportements des hommes au regard du travail des femmes sur les 40 dernières années. En 2020, pas plus de 9 % des hommes estimaient ainsi que les femmes ne devraient jamais travailler avec des enfants en bas âge et 9% pensaient qu’elles ne devraient travailler que si nécessaire. Une évolution spectaculaire quand on rappelle qu’en 1979, les deux tiers des hommes estimaient encore que le travail des femmes n’était pas forcément souhaitable.
Une tendance que l’on retrouve dans le taux d’activité des femmes, qui a augmenté régulièrement au cours de cette période, passant de 53% à 68% entre 1975 et 2020, comblant en partie l’écart avec les hommes, qui ont un taux d’activité de 75% aujourd’hui, contre 84% en 1975. L’écart s’est donc réduit de 31 à 7 points.
Cette avancée liée à l’évolution du marché du travail, a été favorisée par la mise en place de différentes mesures en faveur de l’accès des femmes au marché du travail par les gouvernements successifs depuis 1983 et la promulgation de la loi Roudy, renforcée en 2001 par la loi Génisson.
Pour autant, l’effet de levier escompté de ces mesures n’est pas complètement au rendez-vous.
Persistance des écarts de rémunération et inégalités en termes d’accès aux postes décisionnels
Malgré l’arsenal législatif complémentaire mis en œuvre, avec notamment la mise en place en 2018 de l’index d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes2, afin d’inciter les entreprises à réduire les inégalités, le revenu salarial annuel moyen dans le secteur privé et la fonction publique s’élevait, en 2019, à 18 970 euros pour les femmes, soit un niveau inférieur de 22 % à celui des hommes. En équivalent temps plein, le revenu salarial médian des femmes est inférieur de 16 % à celui des hommes (figure 2), pour un écart relatif de 9% en termes de volume de travail.
Les femmes constituent en moyenne 42% des emplois de direction dans les métiers dépendant des fonctions publiques (elles y occupent 63% des emplois) et les écarts de salaires y sont moindres (entre 7 et 11%) que dans le privé. Dans les instances dirigeantes des grandes entreprises (+250 salariés), elles ne sont que 26 % de cadres dirigeants, alors qu’elles représentent la moitié des salariés, et elles gagnent en moyenne 24 % de moins que les hommes3. A noter également que les écarts salariaux augmentent avec l’âge et se creusent au cours de la carrière.
Bien que réduit en l’espace de 20 ans, les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes proviennent avant tout d’inégalités d’accès aux emplois les mieux rémunérés. Les femmes représentent ainsi la majorité des employés et des professions intermédiaires (respectivement 70 % et 57 % en 2019), alors que les hommes sont majoritaires parmi les cadres, puisqu’ils occupent quasiment 6 postes sur 10.
En 2019, la probabilité pour les femmes d’accéder au niveau médian de l’échelle des salaires est inférieure de 23 % à celle des hommes. Plus encore, accéder aux 5 % des emplois les mieux rémunérés est deux fois moins probable pour les femmes que pour les hommes.
Ces écarts de revenus s’expliquent aussi par les interruptions de carrière liées à l’arrivée d’un enfant et à la prédominance des temps partiels féminins.
Ces écarts de revenus se creusent encore un peu plus quand sonne l’heure de la retraite. Dans cette phase de leur vie, les femmes ont en effet un revenu inférieur de 39% par rapport aux hommes. Une fois prise en compte la pension de réversion, sur l’ensemble des retraités, l’écart est toujours de 24 %. Et ce sont toujours les femmes qui se retrouvent plus souvent en Ehpad, faute d’un conjoint pour les aider à domicile.
Concilier vie professionnelle et vie familiale, un sérieux frein à la baisse des inégalités femmes/hommes
Selon Sylvie Le Minez, les raisons essentielles de cette trop lente décrue des inégalités sont liées « à la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale, qui incombe plus aux femmes. Cela influe sur leurs choix de carrière, le temps accordé aux enfants et aux tâches domestiques restant très impressionnant ».
Aujourd’hui encore, la charge domestique reste très majoritairement du ressort des femmes. quelque 73 % d’entre elles déclarent faire plus de 7 heures de travail ménager par semaine, contre seulement 31% des hommes.
«Les femmes réduisent leur activité avec l’arrivée d’un premier enfant, voire interrompent leur carrière, et subissent en moyenne une baisse de 25% de leur salaire, explique Sylvie Le Minez, soulignant que les mères en couple avec 3 enfants ne sont que 48% à être en activité. Et pour les mères célibataires, le chiffre tombe à 42%. ».
Pour mémoire, 27% de femmes sont à temps partiel contre seulement 8 % des hommes. Et parmi les femmes en emploi âgées de 25 à 49 ans, à peine 14 % sont à temps partiel lorsqu’elles sont en couple sans enfant, un chiffre qui grimpe à 46 % lorsqu’elles sont mères en couple avec trois enfants.
Des avancées également freinées par les stéréotypes de genre
Plus diplômées que leurs homologues masculins (53% contre 46%), les femmes représentent 43% des cadres en 2020, contre seulement 21% en 1982. « Il y a une nette amélioration de la trajectoire sociale des femmes par rapport à leur mère, précise la statisticienne, avec une augmentation de la mobilité sociale, ce qui reflète une amélioration de la place des femmes sur le marché du travail ».
Néanmoins, « malgré une homogénéisation progressive de la répartition des femmes et hommes dans les différents métiers », les femmes restent la plupart du temps cantonnées « à des postes intermédiaires ou fonctionnels et sont nettement plus représentées dans les secteurs tertiaires – 88% des femmes contre 66% des hommes -, dans les milieux de l’éducation et de la santé – 35% contre 11% pour les hommes – et dans les services – aide à domicile, aide-soignante… ». Du fait de la crise sanitaire, on peut noter « un accroissement des risques psychosociaux des femmes » lié à leur emploi, souvent en première ligne dans le domaine médical et paramédical.
Sylvie Le Minez voit une seconde raison à cette trop lente décrue des inégalités. Selon elle, « les normes sociales restent encore très intériorisées et ancrées dans les esprits, notamment les stéréotypes de genre concernant la vocation présumée des femmes à la maternité. Les femmes de plus de quarante ans conseillent aux jeunes femmes de choisir leur insertion sur le marché du travail de façon à concilier vie professionnelle et vie familiale. » D’où l’orientation préférentielle vers certains métiers dits féminins.
Diane Vandermolina
L’étude complète de l’Insee disponible en cliquant ici
1 Malgré l’obligation de parité imposée dans les conseils municipaux, départementaux, régionaux, par la loi du 4 août 2014, parité largement respectée depuis 2015, seules 20% des maires sont des femmes, un tiers des régions est dirigé par une femme. La loi du 4 août 2014 a pour objectif de lutter pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les sphères privée, professionnelle et publique.
2 Cet index permet aux entreprises de mesurer les écarts de rémunération entre les sexes et de mettre en lumière les disparités existantes. La finalité de cet outil est de mettre fin aux inégalités professionnelles en incitant les entreprises à les rectifier. Une sanction financière pour absence de progrès, selon le bilan publié lundi 7 mars par le ministère du Travail, va être mise en place pour pénaliser les mauvais élèves (entreprises ayant une note inférieure à 75/100), à hauteur de 1% de la masse salariale. Depuis 2022, les entreprises qui ont une note inférieure à 85 points ont l’obligation d’adopter des mesures pour progresser.
3 Pour info, dix ans après l’adoption de la loi Copé-Zimmermann, qui imposait 40% de femmes dans les conseils d’administration, la loi Rixain adoptée par le Parlement mi-décembre 2021 prévoit d’instaurer un quota de représentation parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes des entreprises d’au moins 1.000 salariés : au moins 30% de femmes en 2027, et 40% en 2030.
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