La comparution devant la Cour d’appel du président du Département des Hautes-Alpes, reconnu coupable d’avoir offert une queue de loup à la préfète, a mobilisé de nombreux éleveurs du massif alpin en guerre contre le prédateur
L’affaire dite de « la queue de loup » avait fait grand bruit, après que le président du département des Hautes-Alpes, Jean-Marie Bernard, avait offert un « présent » à la préfète Cécile Bigot-Dekeyzer, lors de sa cérémonie de départ, en février 2020. À la suite de plaintes d’associations environnementales, le procureur de la République de Gap avait ouvert une procédure pour « détention, transport et cession d’une espèce protégée, vivante ou morte, ou de l’un de ses produits ».
Un an après le « cadeau », Jean-Marie Bernard a comparu à la barre du tribunal correctionnel le 15 février dernier. Il a justifié son geste comme « un signe amical, une manière de dire : vous partez, mais le problème du loup pour les éleveurs n’a pas été résolu », assumant simultanément un « caractère politique » de son geste, c’est-à-dire dénoncer « le fléau de la prédation et l’inaction de l’État ». Il déclarait aussi ne pas savoir si cette queue était celle d’un chien, d’un renard ou d’un loup.
L’élu haut-alpin a été condamné à une amende de 10 000 €, dont 5000 € avec sursis, ainsi qu’au versement de 1100 € aux associations parties civiles. Appel a été fait de cette condamnation et un nouveau procès avait lieu le 5 octobre devant la Cour d’appel de la capitale dauphinoise. L’avocate générale a requis la confirmation du jugement de première instance. Les juges se sont donné le temps de la réflexion en fixant le délibéré au 16 novembre.
« Merci Jean-Marie de soutenir notre élevage ! »
Sur la vaste place de Verdun, où trône l’hôtel de la préfecture iséroise, ils étaient environ 250 paysans, essentiellement des éleveurs, de l’Isère, de Savoie et de Haute-Savoie, des Hautes-Alpes et même de Saône-et-Loire, à afficher leur soutien sans faille à Jean-Marie Bernard.
Dans tous les esprits, ils lui devaient bien ça, lui qui comparaissait quelques heures plus tard pour avoir défendu la cause du pastoralisme, fût-ce au prix d’une transgression de la loi. Deux banderoles ô combien explicites étaient brandies par les Haut-Alpins : « Merci Jean-Marie de soutenir notre élevage », « Merci aux élus qui croient encore en leurs éleveurs ».
La problématique de la gestion du loup par l’Etat
Dans le cortège, largement composé de jeunes agriculteurs et qui allait se mettre en route pour le palais de justice, figuraient Éric Lions, président de la chambre d’agriculture 05, René Laurans président de la FDSEA 05, Édouard Pierre président de JA 05. Ce dernier avait pris part auparavant à une réunion en préfecture avec le préfet référent national sur le Plan Loup, Jean-Paul Célet.
Les manifestants n’accordaient aucune importance à cette rencontre car « ce préfet est gestionnaire de quotas de prélèvement, nous écoute, mais c’est à peu près tout ce qu’il fait ! », lançait un responsable JA des Savoie. Dénonçant la gestion du loup par l’État, un autre assurait que « la ruralité est menacée de disparaître… que le loup détruit la biodiversité et sa présence satisfait une petite catégorie d’écolos de salon ! »
Pas d’éradication mais le zéro attaque
Le loup est, selon les éleveurs, « une contrainte qu’on nous impose » et ajoutent : « On ne revendique pas l’éradication du loup, mais le zéro attaque », réclamant aussi que « l’État prenne la responsabilité des chiens de protection ». Cela en référence au récent procès d’un éleveur haut-alpin qui a comparu devant le tribu¬nal correctionnel de Gap suite à des morsures infligées par ses patous à plusieurs randonneurs ou prome¬neurs (voir L’Espace Alpin n°398).
Ainsi, le département des Hautes-Alpes « est-il en pointe, assurait Éric Lions, avec un président de département condamné et un éleveur cité devant le tribunal ! ». Plus généralement, il affirmait que « les pouvoirs publics jouent avec le feu, sont des apprentis-sorciers, ne se doutant pas de ce qui se passe dans nos territoires. Si il n’y a plus de pastoralisme, les paysages se ferment, la menace d’incendie grandit, le tourisme sera menacé… Le préfet Célet n’est qu’un pompier envoyé sur le terrain quand ça chauffe un peu. »
Chaque année, entre 1 200 et 1 500 brebis, soit l’équivalent de deux à trois exploitations, sont victimes du canis lupus, « autant de bêtes qui ne sont pas remplacées et, donc, notre cheptel diminue », précisait Éric Lions. Déjà, nombre de voix ont exprimé leur crainte de voir le nombre d’éleveurs diminuer et c’est presque un miracle que des jeunes agriculteurs tentent encore l’aventure pour leur passion de l’élevage ovin.
Un moment important pour la montagne, pour les paysans
Derrière les tracteurs et la banderole « Unis pour la ruralité », les manifestants ont rejoint le palais de justice sous les regards curieux des citadins affichant souvent leur soutien. Les CRS étaient en position pour parer tout débordement, ce qui ne survînt en aucun cas, l’atmosphère étant bon enfant. L’attente dura plusieurs heures et, enfin, Jean-Marie Bernard franchissait la porte du tribunal.
Avec le sourire crispé car profondément ému de savoir compter sur le soutien des éleveurs. D’ailleurs, il ne s’épanchait pas sur son sort, mais évoquait aussitôt « un moment important pour la montagne, pour les paysans. Mon geste était de mon rôle de président de département en portant votre message, que si le loup est toléré dans la montagne, que les éleveurs soient tolérés par les autres.
Dans les années qui viennent, je continuerai à essayer de faire bouger les lignes ». Cela interviendra dans les jours qui viennent avec le congrès de l’Association nationale des élus de montagne (Anem). « Le combat continue » concluait-il sous les applaudissements.
Maurice Fortoul pour L’Espace Alpin
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