Un troupeau bêlant, envahissant la route au son des clochettes, entouré de chiens de garde et guidé par la houlette d’un berger. Voilà une vision qui enchante autant qu’elle agace l’automobiliste français moderne, très majoritairement citadin, qui a perdu l’habitude de cette pratique immémoriale, en dehors de quelques régions encore largement rurales. Les anciennes routes ont progressivement été délaissées (à de notables exceptions près), au profit d’un transport principalement mécanisé des troupeaux, dans de grands véhicules spécialisés nommés bétaillères. Ces sentiers ancestraux n’ont pas pour autant été perdus, et une poignée de passionnés a décidé de réveiller cette mémoire endormie, les transformant en itinéraire de randonnée et de tourisme.
Une piste reliant Arles au Piémont
Ce projet a un nom : la Routo (issu de far la routo, transhumer en langue d’oc), et consiste en une route balisée de 540km divisée en 33 étapes, qui reprend l’itinéraire de l’ancien chemin de la transhumance estivale, jadis nommé carraire des troupeaux d’Arles. Elle part d’Arles pour rejoindre le village de Borgo San Dalmazzo dans le Piémont, via le Col de Larche (Colle della Maddalena pour les Italiens), après avoir traversé toute la Provence d’ouest en est. Un ambitieux projet franco-italien porté par Patrick Fabre, directeur de la Maison de la transhumance de Salon-de-Provence, et Georges Philibert, de la Fédération française de randonnée pédestre. La Routo, homologuée en 2020 sous le nom de GR69 La Routo, connaît déjà un premier afflux de randonneurs. Il s’agit d’une GR (grande randonnée), balisée en rouge et blanc, contrairement aux PR (petites randonnées), balisées en jaune.
« Ça a été un travail important de retrouver le parcours exact grâce au cadastre napoléonien, où passaient les drailles (mot régional issu de la langue d’oc désignant un sentier de transhumance, NDLR). Cette GR résulte d’un compromis entre l’ancien tracé de la principale draille, et les PR déjà existants, pour éviter d’avoir à recréer 540km de randonnée » explique Patrick Fabre. « Il s’agit aussi d’un compromis avec les propriétés privées, mais le chemin est à 90% le même qu’autrefois » souligne Georges Philibert. « Ce chemin présente également un intérêt pour désengorger la Sainte-Victoire beaucoup trop fréquentée », explique-t-il, alors que le gîte bâti au sommet de l’emblématique montagne du Pays d’Aix est régulièrement plein à craquer. Surtout, ce projet comble un manque : « dans la région, à part le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, il n’y avait pas de grand chemin d’itinérance auparavant ».
« En tant qu’Aixois, je me suis battu pour que l’itinéraire passe par la ville d’Aix » s’enthousiasme Patrick Fabre, qui rappelle qu’« autrefois, les troupeaux arrivaient à Éguilles, traversaient le Cours Mirabeau avant de partir pour les Alpes. Certaines fontaines sont aménagées avec une margelle basse pour que les troupeaux puissent boire, comme la fontaine des 9 canons, ou celle du Cours Sextius ». Une page d’histoire souvent oubliée par les Aixois eux-mêmes. Sur le chemin, l’observateur attentif discernera de nombreux aménagements d’époque : murets, aires de repos, ponts et fontaines.
Bien plus qu’une randonnée
Cette marche ne permet pas seulement de faire de l’exercice et de profiter des splendides paysages provençaux, mais sera l’occasion de découvrir les produits du travail des éleveurs de la région. « Au-delà de l’aspect randonnée, j’aimerais que ce sentier soit un support de valorisation du métier, et de ses produits. On propose des restaurants avec l’assiette La Routo, composée de viande ovine ou caprine, et de fromages de saison comme la fameuse brousse du Rove, ou le fromage du Banon ». Chaque étape peut en effet comprendre un restaurant, un café, un gîte, des chambres d’hôtes, un hôtel, un camping, ou plusieurs à la fois.
Outre ces mets issus du terroir le plus authentique, La Routo développe une marque de vêtements éponyme, qui sera disponible en ligne cet hiver, comprenant des vestes, chaussettes, pulls, etc. Tous les produits sont fabriqués en laine de mérinos d’Arles, une race de mouton 100% locale créée par croisement il y a deux siècles, en partenariat avec des éleveurs provençaux. Le mérinos d’Arles fournit une laine d’excellente qualité, la plus fine d’Europe, résistante et thermorégulatrice, idéale pour équiper les futurs randonneurs.
Pour assurer sa promotion, le projet peut compter le Crédit Agricole, mécène et soutien de la première heure, en la personne d’Éric Barraud, délégué général de la fondation d’entreprise du Crédit Agricole Alpes Provence. Le samedi 20 janvier, ce dernier organisait l’inauguration officielle du parcours aixois de La Routo, en présence de Stéphanie Fernandez, adjointe à la mairie d’Aix, laquelle a solennellement coupé un ruban, devant l’agence du Crédit Agricole, face au Cours Mirabeau où passe le nouvel itinéraire. C’est peut-être le départ d’un regain d’intérêt des Aixois et des Provençaux pour les sentiers de la transhumance, une pratique millénaire ancrée dans leur patrimoine.
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