Face au cancer, la bataille gagnante d’un simple patient

430.000 Français vont apprendre cette année qu'il sont atteints par le cancer. La plupart le surmonteront et beaucoup en guériront. Voici l'exemple éclairant d'un instituteur provençal de 40 ans terrassé par une leucémie myéloïde aiguë. Benjamin Cornet est en rémission après avoir échappé à la mort d'un cheveu. Il est à son tour devenu onco-coach grâce à une formation dispensée à Marseille. Il accompagne des malades via la randonnée pédestre. Il est même devenu champion du monde des transplantés en avril dernier ! Un témoignage extraordinaire qu'il faudrait faire lire ou écouter à tous les malades.

Santé

Au printemps dernier vous avez remporté la médaille d’or de marche athlétique lors des jeux mondiaux des transplantés en Australie, un sacré exploit mais qui souligne aussi que vous revenez de loin : vous avez affronté en 2018 le cancer – une leucémie myéloïde aiguë – et vous avez pu recevoir une greffe de moelle. Mais vous êtes également passé à un cheveu de la mort et en êtes sorti grâce à la réanimation. Aujourd’hui vous êtes donc le témoin qu’on peut surmonter son cancer d’une façon incroyable. Vous êtes un homme exceptionnel, un extraterrestre ?

Benjamin Cornet : Certainement pas un extraterrestre ni même un homme exceptionnel. Je pense que je suis quelqu’un de très ordinaire à vrai dire. Un petit directeur d’école de campagne, avec à la fois une vie épanouissante mais très simple. Par contre j’ai été confronté à des obstacles, à des événements extraordinaires, exceptionnels et quelque part il a fallu y répondre et se hisser aussi au niveau de ces événements là.

« Reprenez votre vie, Monsieur Cornet ! »

Au sortir de vos soins à l’Institut Paoli-Calmettes, vous avez bénéficié du programme Rebond qui est développé à Marseille, à la faculté des sciences du sport. Ce programme mis au point par le professeur Pierre Dantin transpose à l’oncologie les méthodes de motivation appliquées au coaching des sportifs de haut niveau. Concrètement, qu’en avez-vous retiré ?

C’est vrai que, Rebond, ça a été une expérience vraiment importante dans mon parcours. D’abord parce que ça se situe à un moment crucial du parcours de soins – c’est-à-dire une fois qu’on a été placé en rémission par l’excellence du travail des médecins et qu’on nous dit un beau jour : « Ecoutez Monsieur Cornet, ça y est, vous êtes soigné, pas guéri car on ne parle pas comme ça, mais en tout cas vous êtes en rémission. Reprenez votre vie. » C’est là que finalement on se retrouve un peu dans un entre-deux, dans une sorte de flou un peu identitaire. On n’est plus vraiment le patient, on n’est plus vraiment le bien portant mais on est en arrêt maladie. On a encore tout un tas d’examens à faire.

Aujourd’hui, ou de plus en plus de personnes sont placées en rémission grâce aux progrès de la médecine, on investit finalement sur ce temps-là qui est le temps du rétablissement. Ce qui était intéressant dans le programme Rebond, c’est cette approche un peu innovante imaginée par le monde du sport de haut niveau, qui se dit qu’on pourrait peut-être transférer certains de nos savoir-faire, de nos savoir-être, de la relation entraîneur-entraîné à la relation coach-coaché dans le cadre de l’oncologie.

« Le sport de haut niveau quand on est malade, c’est se lever et s’habiller »

Beaucoup de gens traversent l’épreuve du cancer mais tout le monde n’a pas la possibilité ni la volonté de pouvoir faire du sport à un haut niveau comme vous. Pourtant le sport peut être un atout décisif dans la lutte contre le cancer, y compris pour la majorité des malades qui à la base ne sont pas du tout sportifs. Pourquoi ?

Mon expérience avec le cancer m’a montré que, quand on affronte ce genre de maladie, on devient, qu’on le veuille ou non, un sportif de très haut niveau. Sauf que les épreuves sportives qu’on rencontre au quotidien, eh bien elles ne consistent pas forcément à courir autour d’un stade. On est sur des choses beaucoup plus simples, basiques, en même temps essentielles. C’est de prendre sa part dans le combat face à la maladie. Quand on est patient et qu’on cherche à prendre sa part, sur quoi est-ce qu’on a la main ? ll faut lâcher prise sur beaucoup de choses. On subit les choses plus qu’on ne les choisit. Pour autant, il y a toujours un petit espace, de petites choses souvent autour des gestes du soin. Ne serait-ce que se lever de son lit, aller se brosser les dents, s’habiller, se laver, parfois même les jours où vraiment on est très en forme on peut même choisir de s’habiller, de faire son lit comme dans la vie normale et puis d’aller s’asseoir sur le fauteuil de la chambre. Voilà à quoi ça ressemble une vie de sportif de très haut niveau quand on est hospitalisé en chambre stérile pendant 6 mois.

Arrêtez de lui dire « Prends soin de toi » !

Où commencent les bienfaits de l’activité physique et sportive quand on est malade ?

Il peut trotter dans nos représentations l’idée que, quand on est malade, sa place est plutôt au fond d’un lit que à faire de l’activité physique, qu’on a besoin de se reposer. D’ailleurs on reçoit beaucoup d’injonctions à se reposer, à prendre soin de soi, etcetera. Mon expérience m’a montré qu’effectivement le bien-être, ce sentiment de reprendre un peu pied dans ce parcours là, est très lié justement à sa capacité à se mettre en action, sur des actions parfois vraiment très, très basiques et très simples comme je l’ai décrit, ou sur des choses plus ambitieuses. Mais en tout cas se dire qu’on choisit finalement de faire face avec nos moyens, nos armes, qui sont parfois dérisoires mais qui en même temps nous envoient un message. Ce sont des points d’appui en réalité pour réussir à justement engager une dynamique, un peu comme dans la marche. Je suis un grand marcheur et quand on marche, on prend un point d’appui. On s’appuie sur un pied pour permettre à l’autre d’avancer un petit peu plus loin. C’est cette dynamique là dans le parcours de soins et dans l’activité, qu’elle soit physique ou pas d’ailleurs, qui à mon avis est porteur de l’espoir en fait.

Attendre 5 ans pour se dire « guéri »? Certainement pas !

Vous avez carrément franchi le pas puisque vous êtes devenu onco-coach. Vous avez fait une formation spécifique pour aider des malades à affronter leur cancer. Que dîtes-vous à ces malades quand ils sont au fond de leur lit ?

Je voudrais faire une petite parenthèse par rapport à l’histoire de la guérison qui est quelque chose de très important chez les patients. Ce mot de guérison est souvent attendu par les patients comme comme quelque chose qui va les délivrer d’une réalité terrible. Ce mot, en tant que patient, on a beaucoup de mal à l’entendre de la bouche des médecins, on peut aussi comprendre pourquoi. On nous dit qu’on est « en rémission ». Moi, c’est mon fiston qui un jour m’a demandé : « Mais papa, quand est-ce que tu seras guéri ? » Et je n’en savais rien. J’étais incapable de lui répondre. J’ai posé la question à mon médecin, qui m’a dit : « Dans 5 ans vous serez guéri, comme toutes les personnes qui ont subi un cancer. » Au bout de 5 ans sans rechute on considère que la guérison est là.

A ce moment-là mon fils avait 9 ans. Je me suis dit : « Je ne vais pas pouvoir lui dire qu’il faut qu’il attende 14 ans pour retrouver son papa guéri ». Donc j’ai plutôt décidé de prendre un peu d’avance et d’aller moi-même chercher ma guérison en allant chez mon frère, qui était aussi mon donneur pour ma greffe, qui habite près de Nantes. Il fallait aussi que je fasse ma part. Donc je suis parti en vélo pour traverser la France. J’ai fait 1500 km comme ça en en vélo et du coup, en revenant, j’ai pris rendez-vous avec mon médecin pour lui annoncer la bonne nouvelle. Les rôles étaient un peu inversés par rapport à d’habitude. Tout ça pour dire que les mots ne sont jamais que des mots, et qu’il y a une réalité derrière qui est aussi la réalité qu’on décide, qu’on choisit de vivre par rapport à sa maladie et que la maladie c’est aussi un bon moyen pour être créatif dans sa vie.  Attendre pendant 5 ans qu’un médecin décide quand est-ce qu’on est guéri, ce n’est peut-être pas le seul chemin possible.*

Se rétablir, c’est ne plus subir

Concernant l’onco-coaching, on fait preuve de beaucoup d’humilité avec les personnes qu’on rencontre. Je revendique de n’être expert de rien. J’ai eu mon parcours de soins et je ne suis pas du tout expert de la maladie. Je ne suis pas très à l’aise dans la position du patient expert. C’est un terme qui est très à la mode. Je ne suis plus patient d’ailleurs, je ne suis pas expert non plus.

Par contre, si je suis expert de quelque chose, c’est peut-être de la relation d’aide parce que je me suis formé là-dessus et parce que j’ai une expérience de vie qui fait que j’ai roulé un peu ma bosse par rapport à la maladie. On accompagne des gens plutôt dans leur chemin, j’ai envie de dire de reconstruction, de rétablissement. Un chemin de rétablissement, c’est simplement de retrouver un peu de cette capacité à choisir, à ne plus subir les choses, comme on est obligé de le faire pendant la maladie. Donc se refixer des petits objectifs de vie, des choses parfois très simples en pariant sur le fait qu’il y a quelque chose de systémique quand on se fixe un petit objectif. Parfois on bouge quelque chose de très accessoire dans sa vie et qui va modifier un peu, par des effets de cascade, des effets boule de neige, d’autres choses de sa vie. C’est mon expérience par rapport à la relation d’aide, et c’est aussi celle que je construis avec les personnes que j’accompagne à mon tour.

« Ne vous mettez pas de barrières »

Soyons très concrets. Quel sport, quelle pratique d’activité physique conseillez-vous après la maladie, qu’il soit facile à réaliser ?

Le premier critère, c’est de choisir une activité physique et un sport qui nous fait du bien. Il n’y a que la personne qui peut être à même de se dire « ça, ça me parle, ça, ça ne me parle; ça, ça me rappelle quand j’étais gamin, je faisais ça et j’avais du bonheur, du plaisir à  le faire mais j’ai abandonné ce sport là par la force des choses. Il y a quelque chose de très intime et de très personnel dans le choix de son sport. Ce qui est super aujourd’hui, c’est que toutes les fédérations sportives investissent vraiment le champ du sport santé et proposent des pratiques sportives qui sont encadrantes et sécurisantes pour des personnes vulnérables, en rémission. Il ne faut pas hésiter à rejoindre un club sportif avec une section sport santé. Ce serait un bon conseil à donner. Cela peut être de la randonnée pédestre par exemple, c’est le sport que j’ai investi au moment de mon rétablissement.

Ensuite j’ai envie de dire de ne pas trop se mettre de barrières quand on est une personne en rémission, qu’on a été soigné, qu’on sort d’un établissement hospitalier. On n’est pas nécessairement cette petite personne fragile, fatigable, à laquelle on pense tous. Non ! Moi, je me sens aujourd’hui plus à même de faire face aux aléas de la vie que je ne l’étais avant la maladie. Je me retrouve aujourd’hui à faire des performances sportives que jamais je n’aurais imaginé pouvoir faire dans mon ancienne vie. Donc on peut y aller !  Je suis particulièrement sensible à cette idée-là.

Quand les médecins sont désemparés…

Ce que déplorent parfois les médecins, c’est qu’ils ont mis beaucoup d’énergie, de temps, des moyens financiers, humains, pour remettre les gens en selle. Et parfois ils sont un peu désemparés par le fait que les gens n’arrivent pas à rebondir, à remordre vraiment pleinement dans la vie. Donc il faut se faire confiance par rapport à ça. Rien n’est facile, ni dans la vie, ni dans le sport, ça demande toujours un effort. On a beau adorer le sport, moi j’adore le sport, ça fait partie de mon équilibre quotidien, pour autant il n’y a pas un jour où je ne doive pas dépenser une sorte d’effort pour sortir du lit, me dire « il faut y aller! » Ce n’est jamais facile mais c’est vraiment gratifiant. Sur du long terme on se rend compte aussi le bénéfice qu’on peut en retirer.

Quand on a eu un cancer, on craint souvent un pépin de santé, une rechute… En quoi le sport vous aide-t-il personnellement à affronter, à surmonter cette crainte ?

Vous avez raison ! Dans 3 heures je suis à l’Institut Paoli-Calmettes pour un rendez-vous médical. Donc on est exactement là-dedans. Il peut toujours y avoir une mauvaise nouvelle qui arrive. Pour autant, on se rend compte aussi que vivre avec une épée de Damoclès sur la tête et être un peu paralysé par cet enjeu, ce n’est pas très productif d’abord. Et puis le sport m’enseigne que les plus grandes défaites portent en elles le germe des plus grandes victoires. Je suis fan de foot, donc j’ai vraiment vécu ce parcours de soins comme un match de foot. L’annonce des médecins c’était l’arbitre qui siffle la mise en jeu et puis la première mi-temps le parcours de soins, une 2e mi-temps autour du parcours de rétablissement et derrière une 3e mi-temps, comme en rugby, qui est festive. On peut célébrer toutes ces victoires. Aujourd’hui je suis en train de me dire que peut-être il va y avoir un match retour dans cette confrontation. Eh bien je m’y prépare !

« J’ai fait comme Basile Boli ! »

J’adore le foot, j’adore l’OM. Mes souvenirs de gamin, c’est Basile Boli qui en 1991 pleure toutes les larmes de son corps, comme moi d’ailleurs. J’avais 10-11 ans lors de la finale perdue à Bari (en Champion’s League) et c’était la fin du monde. Tout le monde était abattu. Sauf qu’on sait aujourd’hui que ces larmes là, elles ont arrosé le germe de la victoire à Munich 2 ans plus tard et qu’on a retrouvé ce fameux Boli mettant un coup de tête rageur dans ce ballon qui est rentré dans le but milanais, sans doute aussi grâce à cette frustration énorme qu’il avait vécu 2 ans plus tôt.

On ne va pas trahir un secret parce que vous avez communiqué vous-même sur ce qui vous est arrivé il y a moins d’un mois (cet entretien a été réalisé en juin). Vous avez eu un infarctus et vous êtes avec nous aujourd’hui. Où puisez-vous l’énergie ? Qu’est-ce qui vous donne la force de vous relever comme ça ?

C’est d’abord l’amour que je reçois, de mes proches, mes très proches, de mon épouse, de mes enfants, de mes parents, de mes amis, de mes frères et sœurs. C’est engageant ça, de recevoir beaucoup d’amour, parce qu’on se sent attendu et qu’on a envie de se hisser au niveau de ces attentes là. C’est complètement extraordinaire que je sois encore là aujourd’hui. Si j’avais eu ce parcours là quelques années plus tôt, jamais je ne m’en serais sorti. Donc c’est grâce aux progrès de la médecine, de tous les gens qui sont passés avant moi, médecins, patients, l’ensemble des soignants… Toute cette attention portée à ma petite personne, moi qui ne suis strictement personne, on a dépensé beaucoup d’argent pour moi, donc forcément c’est engageant. Ce qui m’anime au quotidien, c’est sans doute cette envie de rendre un petit peu de ce que j’ai reçu.

Et puis, surtout, c’est une manière de donner du sens à l’épreuve. Parce qu’en fait, se retrouver fauché à 40 ans sur le chemin de la vie, de laisser sur le bord de la route famille, femme et enfants, ça n’a aucun sens en soi. L’un des travails en tant que patient, c’est justement d’essayer de trouver un peu de sens à ça. Aujourd’hui, accompagner effectivement des personnes et s’entraider entre patients qui avons eu un parcours un peu similaire, ça donne beaucoup de sens, ça permet d’aider les personnes qui sont à la bataille ou qui en sortent. Nous, on a un petit coup d’avance sur eux, mais en fait on trace aussi sa propre route en aidant les autres.

Quand on escalade une montagne, on se sent vivant

Je voudrais terminer sur une chose qui me semble importante pour vous : vous accompagnez des malades en randonnée, notamment dans votre belle région des Alpes-de-Haute-Provence et autour de votre village de Bras-d’Asse. Le rapport à la nature est-il essentiel pour notre bien-être tout entier, notamment quand on affronte la maladie ?

Oui. Je pense que c’est quelque chose qui touche à l’intimité de chacun. Chacun a ses points d’appui. Souvent ça se rapporte à l’enfance, à des souvenirs d’enfance qui nous aident vraiment dans les moments difficiles. Pour moi, le rapport à  la nature est très important. La nature, elle est consolatrice. J’ai un rapport très particulier et donc j’ai adoré aller marcher, seul le plus souvent. En réalité je n’étais jamais seul parce que dans la nature, je me sens très entouré. Il y a un côté très résilient, que je retrouve dans ces paysages grandioses, qui sont très inspirants. Il y a aussi un rapport au sport, à l’activité physique de se sentir pleinement vivant quand on escalade une montagne, qu’on arrive tout là-haut. Oui, ça nous rappelle quelques souvenirs du parcours de soins. On se dit qu’il n’y a pas de montagnes infranchissables, hein ! Toutes ces montagnes là, ce sont des tâches qui nous paraissent incroyables et qui peuvent être divisées en autant de petits pas. Je crois beaucoup aux vertus des petits pas. Quand ces petits pas sont faits en pleine nature, ils sont d’autant plus magiques.

cet article vous a plu ?

Donnez nous votre avis

Average rating / 5. Vote count:

No votes so far! Be the first to rate this post.

Partagez vos commentaires.