Fatigue, prise de poids, perte de cheveux : et si c’était la thyroïde ?

Cette glande minuscule dans notre cou régule quasiment tout l'organisme. Son dysfonctionnement toucherait près d'un Français sur 5 ! Encore trop de patients ignorent qu'elle est la cause de leur mal-être. Et le nombre de cancers flambe : 10 000 par an. Le professeur Frédéric Sebag, chef du service de chirurgie endocrinienne au CHU Conception (APHM), rappelle que les traitements sont très efficaces.

Santé

Professeur Frédéric Sebag : Elle se trouve à la base du cou, à la phase antérieure de la trachée. C’est un petit organe de couleur rougeâtre qui pèse environ 10 grammes chez les femmes et 15 à 20 grammes chez les hommes. Son action principale est de fabriquer des hormones thyroïdiennes que vous voyez sur vos résultats de prise de sang, que l’on appelle la T3 libre et la T4 libre. Ces hormones ont un rôle sur le métabolisme, sur le rythme cardiaque, sur le transit, sur nos capacités d’éveil, sur l’os, sur plein de choses. Quand ça marche beaucoup trop, le coeur va battre plus vite, le patient aura des tremblements, il sera plus à fleur de peau. A l’inverse, quand le patient n’a pas assez d’hormones, il va se sentir très fatigué, ralenti. C’est souvent associé à une prise de poids, un ralentissement global.

Quelles sont les principales pathologies associées à cette thyroïde ?

Il y a les pathologies fonctionnelles, avec un problème sur la fonction thyroïdienne. C’est l’excès de fonction, l’hyperthyroïdie, ou son insuffisance, l’hypothyroïdie. L’hypothyroïdie est extrêmement fréquente. Souvent associée à une inflammation de la thyroïde, souvent due à une cause auto-immune : le patient fabrique ses propres anticorps contre sa thyroïde. C’est la maladie de Hashimoto. L’hyperthyroïdie est moins fréquente, et plus progressive.

20 à 25% des Français concernés !

Quand vous dites quelle est fréquente, de quoi parle-t-on ?

Si on faisait des prises de sang à tout le monde, à la recherche d’anticorps antithyroïdiens, on pourrait les retrouver chez peut-être 10, 20, 25% de la population. Il y a aussi la pathologie nodulaire. Nos concitoyens ont entendu parler du goître, ou du goître multi-nodulaire. On parle de goître quand une thyroïde a un volume supérieur à la norme. Souvent, cette hypertrophie est due à des nodules, des excroissances, qui sont du tissu thyroïdien, un tissu charnu. C’est extrêmement fréquent. C’est une pathologie du vieillissement. Si on fait une échographie systématique chez les patients au-delà de 80 ans, quasiment la totalité d’entre eux seront porteurs de nodules ou micro-nodules thyroïdiens. Ils peuvent être beaucoup plus gros, 5, 6, 7, 8 centimètres et gêner. Ils peuvent déclencher un dysfonctionnement thyroïdien, et bien sûr certains d’entre eux, très peu, vont être des cancers de la thyroïde.

Hormis le cancer dont nous allons reparler, quels sont les risques si ces pathologies ne sont pas prises en charge médicalement ?

Heureusement, la plupart des pathologies ne sont pas forcément intenses dans leur accomplissement. C’est surtout une altération de la qualité de vie du patient. Un mal être. Par exemple la fatigue avec l’hypothyroïdie, qui peut être physique, psychique. Elle va entraîner une prise de poids, une perte capillaire, on peut avoir de l’oedème. Cela a un retentissement sur la qualité de vie, psychique, physique et psycho-sociale. Il est dommage que ce soit négligé. Si ce n’est pas identifié et traité – or c’est assez simple à traiter, cette hypothyroïdie, il faut simplement donner des hormones thyroïdiennes en comprimés -, cela peut beaucoup altérer le quotidien de nos concitoyens.

Beaucoup de personnes ne sont pas prises en charge parce que leur problème n’est pas détecté ?

Il est difficile de savoir la proportion de nos concitoyens qui ont une hypothyroïdie relative mais négligée. Les endocrinologues et les médecins généralistes sont sensibles à ce sujet. Le diagnostic étant fait de manière très aisée, par une simple prise de sang, c’est souvent recherché.

Palpitations cardiaques : c’est peut-être la thyroïde !

Quels sont le signes devant nous faire penser à un problème de thyroïde ?

Si on prend l’exemple de l’hyperthyroïdie, cela peut être les cardiologues qui vont la détecter sur des patients venant pour des palpitations, qui est souvent une accélération du rythme cardiaque de manière très nette, y compris au repos, avec parfois des problèmes du rythme cardiaque du type fibrillation auriculaire. A l’inverse, on peut avoir des signes peu spécifiques. Une fatigue. On peut la ressentir dans tellement de situations que ce n’est pas spécifique de la pathologie thyroïdienne. La prise de poids, les ongles, les cheveux. Il est assez rare de voir un patient traîner des signes cliniques de longs mois sans que l’un des praticiens ne pense à faire un test thyroïdien. Cela fait partie, sinon du bilan de base, c’est un examen dégainé assez facilement par les praticiens.

Les hommes moins détectés que les femmes

Pourquoi les femmes semblent-elles bien plus sujettes que les hommes à ces dysfonctionnements ?

Je vais vous donner mon sentiment. Historiquement, en ce qui concerne la pathologie thyroïdienne, sur la partie fonctionnelle ou sur la pathologie nodulaire, éventuellement cancéreuse, on dit qu’il y a une sur-représentation féminine. Et c’est vrai que si vous faisiez une visite de notre service, vous verriez 3/4 de patientes et 1/4 d’hommes. Il y a une vraie disproportion. Mon sentiment est que la pathologie thyroïdienne est très sous-estimée chez l’homme. Il y a une raison assez simple. Pour les nodules, le goître, l’anatomie féminine est différente de la masculine, la musculature cervicale est différente, comme la manière de se tenir. On détecte à la palpation ces pathologies beaucoup plus tardivement chez l’homme.

Donc il faut que l’homme soit plus attentif et demande à son médecin une prise de sang ?

On devrait avoir un peu plus le réflexe de faire des prises de sang ou des échographies, des examens assez simples et non invasifs, chez l’homme. Peut-être que le ratio ne serait alors pas aussi marqué chez les femmes.

Les patients ont le choix de la marque du médicament

Vous avez dit que les traitements fonctionnent plutôt bien. Mais on sait que les effets secondaires du Lévothyrox ont été terribles. Ils ont engendré un doute persistant. Doit-on se poser la question du traitement qu’on va avoir ?

On n’a pas encore de réponse nette. Il y a eu des suites judiciaires qui ont été données dans un sens et dans un autre. Il s’est passé un événement. Est-il, si ce n’est réel, en tout cas physiologique, expliqué? On n’a pas toutes les explications aujourd’hui. Est-ce que l’ampleur prise et le retentissement psychologique que cela a impliqué ont aussi participé au mal être qu’ont ressenti les patients ? Il ne faut absolument pas nier le mal être ressenti. Il faut toujours être à l’écoute des patients. Une grande inquiétude persiste encore un peu.

Le principe actif est la L-thyroxine, déclinée sous de nombreuses marques. Il y a plusieurs fabricants, plusieurs produits. Il y a le classique Lévothyrox fabriqué par Merck, avec la « nouvelle formulation ». Mais il y a d’autres alternatives. Etant prescripteur initial de ce type de produit après chirurgie, on laisse totale liberté à nos patients de choisir « la marque » vers laquelle ils vont s’adresser. On arrive toujours à trouver un produit qui convienne bien au patient, avec lequel il est bien équilibré. Le but est qu’il ait une bonne qualité de vie. Ne nions pas l’anxiété qu’il y a eue. On peut en sortir un message positif : plus d’écoute pour nos patients, et une appréciation plus fine, plus personnalisée, une prise en charge plus sur-mesure pour l’ensemble des patients aujourd’hui grâce à plusieurs médications disponibles.

Cancer : Marseille a une des plus grosses équipes en Europe

Abordons plus spécifiquement le cancer. Est-il fréquent, comment le soignez-vous ?

Ce sujet me passionne ! L’équipe du CHU de Marseille est transversale avec nos collègues médecins endocrinologues, médecins nucléaires. C’est une des grosses équipes en France et en Europe sur le cancer de la thyroïde. Il y a 20 ans, quand j’ai commencé à me pencher sur ces questions, c’était de l’ordre de la maladie rare. On estimait qu’il y avait 2 000 nouveaux cancers de la thyroïde par an en France. Aujourd’hui, si on recense tous les cancers pris en charge, y compris les formes précoces, on est près de 10 000. On est dans la pathologie fréquente.

Ce sont des cancers que l’on détecte mieux, et non pas une explosion du nombre de cancers ?

C’est une question toujours en suspens. Pendant longtemps, on a dit que cette augmentation était due à surdiagnostic, en tout cas à un dépistage plus précoce, plus exhaustif, et également à des analyses un peu plus fines. C’est en partie vrai. Il y a beaucoup de formes minimes, des micro-carcinomes, qui souvent n’ont pas ou peu d’impact sur l’espérance de vie du patient et sur sa qualité de vie également…

Vous les opérez ?

C’est une excellente question. On doit être dans une approche sur mesure. Il est certain qu’un micro-carcinome détecté, de quelques millimètres, chez un patient très âgé, sans aucun signe d’agressivité – et pour ça on a pas mal de critères pour pouvoir le penser – il n’y a peut-être pas d’indication opératoire. Un petit cancer chez un sujet jeune, mais chez qui on peut déjà avoir des métastases ganglionnaires voire des métastases à distance, il va falloir s’en occuper. Se fixer uniquement sur la taille n’est pas pour nous un critère suffisant et il faut vraiment aujourd’hui avoir une approche sur-mesure.

Tchernobyl aurait déclenché une vague de cancers : pas sûr…

A-t-on une explosion des cas due à l’environnement par exemple, ou autre ?

Le seul facteur d’exposition qui est corrélé au cancer de la thyroïde, ce sont les radiations ionisantes. On a beaucoup évoqué Tchernobyl (NDLR : l’explosion d’un réacteur nucléaire en URSS le 26 avril 1986 a engendré un nuage radioactif qui a survolé l’Europe). Mais cette augmentation de l’incidence du cancer de la thyroïde est également présente dans les pays développés où l’accident de Tchernobyl était à mille lieues de tout cela. Probablement on a un dépistage plus important. Des petites formes y ont été détectées, mais également une augmentation sur des formes de tailles plus significatives. Le vieillissement de la population est aussi certainement un paramètre qui explique l’augmentation de cette incidence.

Existe-t-il un facteur héréditaire dans la survenue des maladies de la thyroïde ?

On peut faire la différence entre l’hypothyroïdie auto-immune, la maladie d’Hashimoto, où l’on trouve souvent un contexte familial, même si on n’a pas trouvé de facteurs héréditaires, génétiquement prouvés. Ensuite il y a le problème du cancer, dont une forme rare appelée cancer médullaire de la thyroïde, un cancer très à part. Dans cette thyroïde qui fabrique ces fameuses hormones, ces T3 et ces T4, il y a un petit contingent cellulaire qui est venu se mettre là, les cellules C. Elles fabriquent une hormone qui n’a rien à voir, la calcitonine, qui joue un rôle dans le métabolisme osseux. Avec ces petites cellules, en très petite quantité et un peu là par hasard, on peut développer un cancer. Ce type de cancer, dans un tiers des cas, est véritablement une forme familiale, génétiquement prouvée, autosomique dominante. Quand un parent est porteur de ce type de mutation, ses enfants ont une chance sur deux d’avoir ce type de maladie. Cette forme est parfois associée à d’autres tumeurs des glandes endocrino au sein du même individu.

Sur le cancer de la thyroïde classique – les souches vésiculaires -, le plus fréquent, celui pour lequel il y a 8 à 10 000 nouveaux cas par an en France, beaucoup de questions se sont posées. On retrouve des apparentés au premier degré qui ont ce type de cancer. Il y a toujours des recherches en cours pour retrouver un déterminisme génétique, mais aujourd’hui il n’y a pas de choses concluantes.

Les scanners répétés plutôt que le sel de table

Peut-on prévenir les dysfonctionnements de la thyroïde, grâce à l’hygiène de vie , la consommation de certains aliments, ou faut-il en éviter d’autres ?

Vous posez beaucoup de questions qui sont encore en suspens, sources d’arguties pour certaines et de disputes scientifiques. Vous allez avoir la vision d’un chirurgien, mais ce sont mes collègues endocrino qui sont en première ligne. On a un peu le sentiment qu’il n’y a rien de très probant. Sur les facteurs environnementaux, la surcharge iodée a été évoquée comme facteur favorisant plein de choses différentes. Mais ça n’a jamais été confirmé. Certains disent qu’elle pourrait favoriser le cancer, d’autres non.

C’est-à-dire si je mange trop de sel, si je sale trop les plats ?

Effectivement, le sel de table est iodé, pour éviter le déficit en iode. Car ce déficit, à l’inverse, pouvait entraîner le fameux « crétinisme des Alpes », des hypothyroïdies qui étaient très sévères avec un retentissement neurologique. Dans les pays occidentaux le sel de table est iodé pour éviter ce déficit. Après, pour des raisons alimentaires ou d’autres expositions, des gens ont une surcharge iodée. Par exemple, les produits de contraste qu’on utilise en radiologie sont souvent à base d’iode, pour les scanners, les coronarographies, les angiographies. Les patients qui font beaucoup d’examens avec des produits radiologiques iodés peuvent déclencher des hyperthyroïdies par surcharge en iode, l’iode étant un des carburants de la thyroïde. C’est comme si vous allez gonfler un moteur avec un carburant particulièrement tonique. Certains médicaments sont en cause. Un médicament de cardiologie contre les troubles du rythme, l’amiodarone, peut déclencher à la fois des hypothyroïdies et des hyperthyroïdies assez sévères, difficiles à contrôler.

Sur les facteurs environnementaux, on a parlé des perturbateurs endocriniens mais pour autre chose que pour la thyroïde, l’hygiène de vie… On n’a malheureusement pas d’éléments formels. Sur le cancer, il y a les radiations ionisantes. Les gens pensent à l’accident de Tchernobyl, mais c’est la radiothérapie dans le champ cervical qui va à un moment, pour une autre affection, atteindre la thyroïde et déclencher des cancers thyroïdiens. Cela s’observe parfois dans un délai assez long. Nos collègues oncologues pédiatres le savent. Les jeunes enfants qui ont une radiothérapie dans le champ cervical sont suivis pour leur thyroïde au long cours. Régulièrement, 10 ans, 15 ans, 20 ans après, on peut être amené à les opérer d’un cancer de la thyroïde, des cancers souvent d’excellent pronostic, et qui vont être parfaitement guéris.

 

 

 

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