Fumeurs : le scanner qui pourrait tout changer

Provoqué généralement par le tabagisme, le cancer du poumon est le plus meurtrier en France avec plus de 33 000 décès par an. Il progresse de façon inquiétante chez les femmes. Le taux de survie à 5 ans ne dépasse pas 20% car on le découvre trop tardivement. Une solution pour réduire nettement la mortalité serait d'organiser un dépistage après 50 ans chez les gens fumant plus d'un paquet par jour. Beaucoup seraient alors encore opérables et guérissables, explique le docteur Ilies Bouabdallah, chef du service de chirurgie thoracique à l'Hôpital Saint-Joseph à Marseille.

Santé

Les fumeurs doivent-ils redouter le cancer du poumon plus que tout ?

Docteur Ilies Bouabdallah : C’est un vrai problème de santé publique car c’est une maladie grave et fréquente. Les fumeurs doivent craindre toutes les pathologies liées au tabac, telles que les maladies cardiovasculaires qui sont la première cause de mortalité dans le monde, avec l’infarctus du myocarde par exemple. Il y a les maladies respiratoires comme la BPCO. Il y a d’autres cancers, comme le cancer de vessie dont on sait qu’il est en rapport avec le tabagisme. Le cancer du poumon est un épouvantail pour les fumeurs mais il y a aussi d’autres pathologies. C’est à une prise en charge plus globale à laquelle il faut réfléchir.

Dans 80 à 85% des cas, le cancer est découvert trop tard

Est-il confirmé que ce cancer progresse notamment chez les femmes ?

Malheureusement, oui. Depuis les années 90 c’est une augmentation inquiétante. Alors que chez les hommes on a une incidence qui stagne voire une mortalité qui peut même diminuer, chez la femme c’est le 3e cancer en fréquence après le sein et le côlon, mais ça devient presque le premier en mortalité. C’est uniquement lié aux habitudes de consommation tabagique. L’industrie du tabac est la seule industrie qui doit renouveler ses clients parce qu’ils décèdent. Ils sont malins, donc ils sont allés chercher les femmes et les jeunes avec des paquets de cigarettes de plus en plus attrayants en vogue, avec de jolies cigarettes fines. Les femmes en ont fait les frais. Aujourd’hui on a beaucoup plus de femmes dans les services de chirurgie thoracique que ce qu’ont pu avoir mes pairs dans le passé. Cette maladie touche aujourd’hui quasiment autant l’homme que la femme, mais surtout elle augmente de manière inquiétante chez la femme.

Pourquoi ce cancer est-il si grave ?

Parce qu’il est trop souvent diagnostiqué à un stade tardif. Le pronostic dépend du stade au moment de la découverte. Dans 80 à 85% des cas, au moment où on le découvre, la maladie a diffusé au reste de l’organisme et donc on a difficilement des thérapies efficaces au long terme. Lorsque la maladie est découverte à un stade précoce, que la lésion est uniquement dans le poumon, et qu’il n’y a rien ailleurs, on a une chance de guérison. Mais c’est dans 15 à 20% des cas. Ce ratio est préoccupant, on aimerait augmenter le taux de patients découverts à un stade précoce.

Pas de signes, pas de douleurs : c’est un cancer silencieux

Justement, quels signes doivent alerter ?

Il n’y a pas de signes spécifiques au cancer du poumon. C’est un organe dans lequel il y a très peu de terminaisons nerveuses, donc on n’a pas de douleurs. Si vous avez une tumeur qui pousse sur le bras, vous allez avoir mal. Dans le cancer du poumon, ce n’est pas le cas. Vous pouvez avoir une grosse tumeur sans aucun symptôme. Tous les symptômes que l’on peut imaginer – la toux, le crachat de sang, une douleur au thorax, une difficulté à respirer – ne sont pas des signes lorsque vous avez une tumeur toute petite. Ce genre de signe doit vous amener à consulter mais là il s’agit du soin, donc vous allez voir un médecin généraliste ou un pneumologue. Dans le cas du dépistage, les patients n’ont aucun symptôme. Vous êtes bien, en bonne santé, et vous passez un examen pour essayer de voir s’il n’y a pas quelque chose qui se trame à bas bruit. Pour le cancer du poumon, c’est vraiment important, car c’est un cancer silencieux.

Si on est fumeur, doit-on alors vérifier régulièrement que ses poumons sont en bonne santé ?

Aujourd’hui il n’y a pas de recommandations strictes là-dessus. Néanmoins, dans le cadre d’un bilan de santé chez un patient tabagique, votre médecin généraliste peut être amené à vous proposer de faire des examens liés aux pathologies secondaires au tabagisme. Cela peut être un scanner du thorax. Il y a aussi les pathologies cardiovasculaires, donc avec une épreuve d’effort. Il peut vérifier qu’il n’y a pas de sang dans les urines pour un problème de vessie. Le problème du tabagisme doit être vu de manière globale.

Les 50-80 ans seraient concernés

Je crois que vous préconisez un dépistage systématique de ce cancer. Qui serait concerné et comment cela se déroulerait-il pratiquement ?

On en rêve ! Aujourd’hui il n’y a pas de dépistage organisé pour le cancer du poumon à l’instar du sein ou du côlon. Néanmoins les sociétés savantes et la littérature encouragent ce dépistage. Des pays comme les Etats-Unis, la Chine et certains pays du Commonwealth le font. La Haute Autorité de Santé a récemment revu sa copie en incitant à faire des études pilotes en France. En septembre, l’Union européenne vient de faire des recommandations pour inciter les Etats membres à dépister le cancer du poumon.

En pratique, on cible les patients tabagiques car c’est le principal facteur de risque. Il y a aussi des cancers du poumon chez des patients non tabagiques mais c’est beaucoup plus rare. On commence par cibler ceux qui fument une certaine quantité : plus de 15 à 20 ans d’intoxication tabagique. En gros si vous fumez plus d’un paquet par jour pendant 15 ans. Si on a fumé qu’un paquet par jour pendant 5 ans, on considère que ce n’est pas suffisamment à risque. On cible les personnes entre 50 et 80 ans, on ne va pas commencer à dépister quelqu’un de 30 ou 40 ans.

Aujourd’hui il n’y a pas de critères stricts pour savoir quels sont les patients à dépister. Des études sont en cours dans toute la France pour essayer de donner aux pouvoirs publics plus d’éléments pour trouver demain la bonne population à dépister. Ce qui se dégage, ce sont les patients entre 50 et 80 ans qui ont fumé plus d’un paquet par jour pendant 15 ans. Cela va demander un examen, qui serait un scanner thoracique faiblement dosé. C’est peu irradiant, rapide et très simple.

Le scanner révèle d’autres maladies, l’espérance de vie progresse

Existe-t-il un objectif particulier en matière de réduction de la mortalité ?

Clairement oui ! On veut faire mieux. Aujourd’hui c’est entre 17 et 20% de survie à 5 ans (tous stades confondus). On a les moyens de faire mieux puisque le dépistage montre que la donne peut être changée si on arrive à découvrir la maladie à un stade plus précoce. Dans les deux grands essais randomisés récents américain et nord-européen publiés dans le New England Journal of Medicine, on a vu que l’on pouvait espérer, grâce à ce scanner thoracique faiblement dosé, une diminution de la mortalité par cancer d’environ un peu plus de 20%. C’est énorme ! On voudrait tendre vers ça.

Là où c’est encore plus séduisant, c’est dans l’essai américain, il y a carrément eu une diminution de la mortalité globale de presque 7%. Ce qui veut dire que les gens qu’on dépiste par scanner ont une augmentation de leur espérance de vie de 7%. On ne voit ça nulle part ailleurs ! Quand vous dépistez de la prostate, du côlon ou du sein, vous n’augmentez pas votre espérance de vie. Dans un potentiel dépistage du cancer du poumon, cela pourrait être le cas. Pourquoi ? Parce que cet examen va découvrir d’autres choses, par exemple de l’emphysème, de l’ostéoporose, des maladies coronaires. C’est un examen qui a pour cible le dépistage du cancer du poumon à un stade précoce, mais on voit d’autres choses car on couvre la totalité du thorax.

92% de survie après 5 ans si le cancer est opéré

Vous avez dit qu’on a 17 à 20% de taux de survie à 5 ans, tous stades confondus. Cela signifie-t-il que 8 patients sur 10 chez lesquels on découvre un cancer du poumon ne seront plus là dans 5 ans ?

Aujourd’hui c’est la carte postale triste du cancer du poumon. On espère que demain tout ça va changer. Quand on est pris en charge pour une maladie à un stade précoce, on a plus de 92 à 94% de survie à 5 ans. Lorsque la maladie est généralisée, on a très peu de survie. Même si aujourd’hui on a de très grands espoirs avec les nouveaux traitements systémiques, avec l’immunothérapie, la thérapie ciblée. Mais on a toujours des résultats qui dans le temps ne sont pas aussi satisfaisants qu’on le voudrait. En revanche, la chirurgie est une arme extrêmement efficace mais elle ne peut pas être proposée à tout le monde. Elle est proposée lorsque la maladie est uniquement localisée.

Le problème est qu’on ne découvre la maladie à un stade localisé que dans seulement 15% des cas. Si on arrive, comme dans les essais des études sur le dépistage, à passer à 60% et non pas à 15%, on va changer demain le visage de cette maladie. Si on arrive à dépister 50 à 60% de stades précoces, ces gens-là seront dans un projet de guérison. Le stade précoce, c’est quand le cancer est limité au poumon et qu’il n’a pas diffusé dans le reste de l’organisme.

Les patchs et le stress du scanner, ça marche…

La meilleure prévention reste sans doute de ne plus fumer. Que dîtes-vous aux fumeurs pour les convaincre d’arrêter le tabac ?

Un programme de dépistage du cancer du poumon ne peut être envisagé que s’il est adossé à un programme de sevrage tabagique. Je pense que le moment du scanner peut créer un certain stress, qui peut être un déclic pour inciter au sevrage tabagique. C’est probablement le bon moment pour les aider à le faire. L’un ne va pas sans l’autre. Il ne faut pas du tout moraliser les patients mais plutôt les accompagner dans ce sevrage qui est indispensable si on veut guérir le cancer du poumon.

Selon votre expérience, qu’est-ce qui fonctionne en matière de sevrage tabagique ? On connaît tous des gens qui ont tous essayé d’arrêter de fumer. Ils ont quasiment tous repris…

Je ne suis pas tabagique donc je ne peux donner d’expérience personnelle. Néanmoins je sais que les substituts nicotiniques fonctionnent bien. Dans la cigarette c’est la nicotine qui est addictive. La nicotine n’est pas cancérigène. En revanche, en 2022, on a les moyens d’amener à quelqu’un de la nicotine par des substituts avec des patchs, ça peut même être la cigarette électronique. Ce qui est rarement suffisant. Car ce qui calme le fumeur, c’est la dose à la phase aiguë, alors que le patch va diffuser de manière plus lente. C’est pour cela qu’il faut accompagner avec des patchs mais également des gommes pour avoir l’effet flash.  Et puis cela s’adosse à des techniques complémentaires comme de la psychologie, du yoga, de la méditation, de l’acupuncture…

Il y a plein de choses qui peuvent être complémentaires. Et dans ce registre, un programme de dépistage avec le stress d’un scanner qui potentiellement va découvrir quelque chose peut être aussi un moment opportun pour arriver à les aider. Le meilleur moyen pour arrêter de fumer, c’est de voir des spécialistes, les tabacologues. Ils auront une meilleure réponse que moi. Et pour ceux qui ne veulent pas franchir le pas, il y a une super application sur le site Tabac Info Service que je vous encourage à télécharger et à utiliser, c’est du coaching formidable !

 

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