Hémorroïdes, pathologies de l’utérus : il suffit parfois de boucher les artères! !

Un Français sur 3 a des hémorroïdes, mais beaucoup n'osent pas en parler et souffrent terriblement, regrette le professeur Vincent Vidal. Il est chef du service de radiologie interventionnelle à l'hôpital de la Timone à Marseille (APHM) et pratique l'embolisation. Cette technique permet justement une approche mini-invasive et indolore de pathologies parfois extrêmement invalidantes. Les paquets veineux qui sortent du rectum donc, mais aussi les fibromes utérins et les varices pelviennes chez les femmes, et même certains cancers du foie et du poumon.

Santé

Une spécialisation de la radiologie interventionnelle est devenue très courante pour soigner les malades, c’est l’embolisation. De quoi s’agit-il ?

Professeur Vincent Vidal : L’embolisation consiste à obturer les vaisseaux. Le radiologue interventionnel va rentrer dans les vaisseaux en général par l’artère fémorale dans le pli de l’aine, ou par l’artère radiale dans le poignet. Avec une aiguille et un guide – ça ne fait pas mal, sous anesthésie locale – on va pouvoir aller se promener dans les artères, donc dans l’aorte, dans le cerveau, dans le pelvis. Avec nos appareils de radio, on voit où on est. On va pouvoir aller dans des artères soit de grosse taille soit de petite taille pour les obturer.

On a besoin de les obturer quand ça saigne, qu’il y a une hémorragie. Il peut s’agir d’accidentés de la route, des fractures importantes du bassin qui sont compliquées d’un point de vue chirurgical à régler au niveau des hémorragies. Cela peut être des artères très profondes. Si on trouve le saignement, on va voir l’endroit qui fuit. On va aller obturer ce saignement avec différents produits : de la colle, des petites spires en métal, des petites billes en plastique. On va obturer ce saignements chez des polytraumatisés, pour des hémorragies de la délivrance après les accouchements, quand les utérus ont du mal à se contracter. On peut obturer les artères de façon temporaire, c’est cela qui est intéressant. Par exemple pour l’utérus, on va mettre quelque chose qui va se résorber. Les artères sont obturées juste pour passer le cap hémorragique et ensuite elles rependront leurs fonctions pour avoir des grossesses successives.

On a donc recours à la radiologie interventionnelle dans des situations d’urgence ?

Ah oui ! Ici à la Timone, comme partout en France, on est centre de recours, on reçoit des patients 7 jours sur 7 et 24h/24.

Avec l’embolisation, c’est indolore

Il y a un exemple de pathologie qui en général ne relève pas de l’urgence mais que vous traitez en radiologie interventionnelle, il s’agit des hémorroïdes. De quoi s’agit-il précisément quand on parle d’hémorroïdes, et comment les traitez-vous?

Pour tout le monde, les hémorroïdes c’est un problème de veines. Et en fait c’est un problème artério-veineux. Les hémorroïdes, ce sont trois petits coussins qui permettent de fermer le rectum. Cela participe au tonus de fermeture du rectum. Ce petit coussin est fait par une communication très fine entre des artères et des veines, comme une sorte de petite fistule qui est maintenue par le tonus sanguin qu’il y a dedans. Quand il y a trop de sang qui arrive, ça va grossir. Et si ça grossit, ça va saigner, ça va descendre, ça va sortir du rectum et entraîner tous les symptômes qu’on connaît des hémorroïdes. L’idée, en embolisant l’hémorroïde, en la bouchant, c’est de diminuer l’afflux sanguin. Ce paquet hémorroïdaire va diminuer de taille, donc moins saigner et moins sortir du rectum.

La radiologie interventionnelle est-elle aussi efficace que la chirurgie conventionnelle à laquelle on pense de manière classique pour résoudre les hémorroïdes ?

Aussi efficace, non, car il y a un taux de récidive de 15 à 20% sur ce type de traitement mini-invasif, comme pour les autres traitements mini-invasifs proposés pour les hémorroïdes. A un an du traitement, des patients vont récidiver. Mais si la chirurgie a beaucoup moins de récidives, par contre elle est bien évidemment différente pour le patient. En radiologie interventionnelle, le traitement se fait en ambulatoire (NDLR: le patient entre à l’hôpital le matin et sort l’après-midi), et c’est indolore. Quand on fait une chirurgie, le patient doit s’arrêter de travailler deux à trois semaines et avec des suites opératoires qui sont assez simples mais un peu douloureuses, avec un besoin d’antalgie. La balance entre la chirurgie qui fonctionne très bien, mais qui a des conséquences pour le patient, par rapport à son travail, et une technique mini-invasive qui se fait en une journée et le lendemain il peut retourner à son travail, eh bien les résultats sont moins efficaces, des patients vont récidiver. Mais ce n’est pas du tout la même implication pour le patient.

Le patient reprend le travail le lendemain

Souvent, suite à la discussion avec les proctologues, des patients vont directement à la chirurgie car ils ont des stades très avancés ou ils veulent vraiment ce recours à la chirurgie. Et puis on a des patients qui sont dans la phase d’entrée de la maladie et viennent plutôt pour l’embolisation. Si elle ne fonctionne pas, on fera une chirurgie dans un deuxième temps. Ce qui permet au patient d’avoir un traitement mini-invasif en priorité.

L’intervention se fait donc en ambulatoire. Quelles sont les suites opératoires d’une embolisation ?

On va piquer dans l’artère fémorale, le trou fait un millimètre, c’est tout petit. L’intervention dure 45 minutes sous anesthésie locale au pli de l’aine. Puis on comprime pendant 10 minutes l’artère, on met un pansement compressif et on surveille le patient à l’hôpital durant 4 à 5 heures. S’il n’y a pas de problème sur l’artère, il peut rentrer chez lui. Le lendemain il reprend une activité normale. Compter 2 à 3 jours pour reprendre une activité physique vraiment importante. D’un point de vue rectal, comme nous ne passons par le rectum, qu’il n’y a pas de cicatrices puisqu’on va obturer les artères qui sont autour du rectum par voie endovasculaire, eh bien il n’y a pas de douleur ! Ni régime alimentaire. Les patients vont à la selle normalement.

Toutefois, il est important de savoir que c’est une zone très inflammatoire et il va y avoir une réduction des symptômes sur 2 à 3 mois. Ce n’est pas comme une chirurgie où on va enlever le paquet hémorroïdaire. Là, on attend qu’il diminue de volume doucement.

Eviter la constipation à tout prix

Plusieurs millions de Français souffrent d’hémorroïdes, quelles en sont les causes ?

Il est difficile d’avoir des vrais chiffres car c’est une pathologie un peu honteuse. Les gens n’osent pas en parler. Mais il y a au moins 30% des gens qui souffrent d’hémorroïdes. Quand ceux qui en souffrent suffisamment viennent chez nous pour avoir un geste, c’est que les symptômes sont très importants. Les facteurs favorisants ne sont pas évidents. Concernant l’alimentation, il n’y a rien d’évident. Un facteur favorisant très clair, c’est la constipation. Quand vous êtes constipé, vous augmentez votre pression dans l’abdomen, cela gêne le retour veineux et favorise les hémorroïdes. Lutter contre la constipation quand on souffre d’hémorroïdes est la chose principale.

« Vous vous gâchez la vie avec les hémorroïdes ! »

Vous parlez de pathologie honteuse, on peut même dire que c’est la pathologie taboue par excellence. Comment en parlez-vous aux patients, à la population plus largement, pour inciter les gens à se faire soigner car c’est très douloureux, et très gênant au quotidien ?

On peut leur dire que dans les alternatives thérapeutiques il existe des possibilités peu ou pas douloureuses, avec peu de complications. Notre rôle est de bien balancer le bénéfice-risque. Si on considère que les risques sont inférieurs aux bénéfices, il faut faire cette intervention, surtout si les gens sont gênés dans leur vie de tous les jours. La problématique est la suivante : le patient sait qu’il a des hémorroïdes, ça a été diagnostiqué et on est sûr que ce n’est pas un cancer. Il peut dire que les symptômes, il vit avec et bon an mal an, donc il gère. Mais du moment où cela vous gêne dans votre vie de tous les jours, ça va limiter vos sorties, la façon dont vous vous habillez… A ce moment-là, il faut aller à l’intervention. Car vous vous gâchez la vie ! En général, après l’intervention, les gens disent « si j’avais su, je l’aurais fait avant. »

Utérus : douleurs lors des rapports sexuels

Vous utilisez également l’embolisation pour traiter certains cancers ou en gynécologie. Comment ça se passe ?

C’est le même principe. On utilise l’embolisation pour traiter des pathologies bégnines mais qui entraînent des symptômes fonctionnels importants. Par exemple les fibromes utérins et les varices pelviennes. Les fibromes utérins sont des tumeurs bégnines qui vont grossir dans l’utérus et entraîner des douleurs, des troubles urinaires, des douleurs au moment des rapports sexuels. Idem avec des paquets variqueux autour de l’utérus. On ne va pas en mourir mais ça peut gêner la vie de couple, la vie au travail… Là encore on va dans les artères ou dans les veines pour les obturer. Pour les fibromes, c’est une alternative à la chirurgie. On peut opérer et les enlever directement ou enlever l’ensemble de l’utérus, ou faire une embolisation. C’est une discussion collégiale entre gynécologues et radiologues en fonction de la taille des fibromes, de l’âge de la patiente, du désir de grossesse… pour apporter la meilleure solution.

Pour les varices pelviennes, il n’y a pas vraiment de solution autre que l’embolisation et on retrouve des patientes qui depuis des années ont des douleurs un peu rythmées par le cycle, des douleurs pelviennes, centrales, plus importantes le soir, après des stations prolongées. Elles ont souvent consulté, on a éliminé qu’elles n’avaient pas d’endométriose, de kyste ovarien. Il faut faire des examens supplémentaires pour être sûr qu’il n’y a pas de varices pelviennes. Car si c’est le cas, ces varices peuvent être incriminantes. L’intervention se fait sous anesthésie locale, on va obturer ces varices, et ça fonctionne assez bien.

Délivrer la chimiothérapie jusque dans la tumeur

Il faut dire également un mot sur les cancers, puisque vous intervenez sur certains d’entre eux avec l’embolisation…

Il y a des cancers qui saignent, et il faut les emboliser. La plupart des cancers sont retirés chirurgicalement. Ceux qui ne peuvent l’être pour des raisons techniques ou parce qu’ils sont suffisamment avancés, et s’ils saignent, on peut les emboliser. La deuxième intervention fréquente est de boucher l’artère avec un produit chargé de chimiothérapie au lieu d’un produit inerte. Par exemple, dans les cancers du foie, les carcinomes hépato-cellulaires, on va pouvoir mettre un cathéter jusque dans l’artère qui vascularise la tumeur pour injecter une émulsion à la fois de chimiothérapie et d’un agent qui va boucher l’artère. On amène des doses très importantes de chimiothérapie et en plus on ferme le réservoir nourricier de l’artère. Cela permet de traiter des lésions cancéreuses essentiellement sur le foie.

Donc on supprime l’alimentation de la tumeur ?

Oui, cela lui fait comme un infarctus et en plus on délivre localement des produits qui sont essentiellement des chimiothérapies mais aussi, maintenant, des immunothérapies.

Des progrès grâce à la robotique et l’IA

Faut-il s’attendre à des progrès majeurs en radiologie interventionnelle grâce notamment à l’intelligence artificielle ?

Oui. On a parlé de cancérologie. Aujourd’hui nous faisons aussi des traitements percutanés : avec des aiguilles, qu’on va, à travers la peau, implanter dans le foie, dans le poumon, on va pouvoir spécifiquement aller chauffer ou refroidir, congeler des zones, pour traiter des tumeurs. Avec l’aide de la robotique et de l’intelligence artificielle on peut traiter des tumeurs de plus en plus grosses. On va emmener de plus en plus de produits sélectivement à tel endroit. Il y a des développements incroyables sur tout ce qui touche à la pathologie musculo-squelettique, c’est-à-dire l’arthrose, les douleurs, sur l’inflammation, sur tous les néo vaisseaux.  La radiologie interventionnelle est une spécialité en croissance incroyable, très attractive pour nos plus jeunes. Nous en sommes contents et très fiers !

 

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