» Il est temps d’inventer un nouveau système de santé dans la médecine de premier recours « 

Marseille n’avait plus accueilli le congrès de la Mutualité Française depuis 1954. Du 7 au 9 septembre prochain, les 500 mutuelles du pays se retrouveront au parc Chanot, pour débattre des grandes questions qui préoccupent le monde mutualiste. A l'issue d'une réunion préparatoire pilotée par le président national Eric Chenut, cette semaine à Marseille, Jean-Paul Benoit, président de l’union régionale Paca de la Mutualité Française, pose un diagnostic préoccupant de notre système de santé.

Santé

Quelle sera la finalité de ce congrès de septembre 2022 ?

« C’est un événement important pour la Mutualité Française qui se tient tous les trois ans et qui a pour habitude de tourner dans le pays. Il y aura 3000 personnes présentes, dont 2000 délégués des mutuelles du pays au parc Chanot. Traditionnellement, le président de la République se déplace pour venir faire des annonces sur la santé. Nous avons bien sûr les ministres concernés par les débats et retrouvons les grandes collectivités territoriales qui sont associées à l’événement.

Ce congrès doit être un lieu d’échanges multiformes. Il y aura des plénières – une d’ouverture, le 7 au matin, et une de clôture, le 9 au matin – qui regrouperont les 2000 délégués. Nous allons également l’ouvrir à des étudiants, des universitaires, des professionnels de santé, comme au grand public qui aura la possibilité d’assister à des agoras, avec dix espaces de débat de 30 à 400 places et une succession de débats et d’échanges.

Jean-Paul Benoit, président de l’union régionale Paca de la Mutualité Française. ©Mutualité Française

Quels seront ou devraient être les grands thèmes débattus ?

« Ils viennent d’être décidés précisément à Marseille en ce début de semaine avec notre président national, Eric Chenut. Et ils sont nombreux, avec les questions des déserts médicaux, des soins de premier recours, de prévention, puisqu’aujourd’hui, nous avons un système très peu préventif en France. La prise en charge en cas de perte d’autonomie sera également au menu, car nous n’avons toujours la grande réforme attendue sur le sujet, promise par les présidents de la République successifs.

C’est une vraie problématique qui a été mise en lumière par le scandale des Ehpad Orpea. Au-delà du scandale, il y a le fait qu’on ne prend pas correctement en charge les personnes âgées, et en particulier les personnes dépendantes. La volonté de la Mutualité Française est d’agir là-dessus. »

Quelles solutions préconisez-vous sur ce dernier sujet ?

« Nous devons avoir la volonté de maintenir le plus possible les gens à domicile et aller dans le sens de ce qu’on appelle l’Ehpad « hors-les-murs », avec de véritables services d’aides à domicile. Nous devons développer l’Ehpad à domicile, avec des services plus complets et, pour cela, nous devons dans le même temps requalifier et reconsidérer les emplois d’aides à domicile. Des emplois tout aussi scandaleusement sous-payés, qu’il faut revaloriser.

Le Ségur de la santé a été fait un peu à l’emporte-pièce et nous n’avons pas mis les moyens pour nous occuper des aides à domicile. Le coût d’une personne aidée et soignée à domicile est pourtant très inférieur au coût dans un établissement. Il faut mettre le paquet sur l’aide à domicile, car du coup, on en profite pour sous payer les gens dans ces métiers, avec le plus souvent une moyenne de 800 euros par mois. La crise est très profonde. »

Eric Chenut et Jean-Paul Benoit à Marseille, lundi 4 avril. ©Mutualité Française

Les questions de santé ont disparu les dernières semaines du discours des candidats à l’élection présidentielle. Quelle conclusion faut-il en tirer ?

« Nous avons déjà mené notre action habituelle dans le cadre de l’élection présidentielle à travers une grande plateforme, en lançant notre « grand oral » des candidats le 1er mars. Ils y ont tous participé et nous avons pu échanger, sauf avec Emmanuel Macron, qui n’était alors pas candidat. Nous avons fait part de nos propositions. Le Covid a éclipsé le débat, mais nous n’avons plus aucune proposition de la part des candidats sur la question du financement de la protection sociale.

La réalité est que le déficit est aujourd’hui historique, alors même que l’hôpital manque de moyens et que l’on a des problèmes pour les soins de premier recours. Ce problème de financement est le grand absent de l’actualité politique. On attend les législatives, peut-être, pour en parler. Mais il faudra bien que les décisions soient prises. »

Le « grand oral » des candidats à l’élection présidentielle organisé le 1er mars dernier par la Mutualité Française. ©Mutualité Française

Qu’en est-il des spécificités de notre région en matière de santé ?

« Notre région est l’une des quatre dans le pays la plus chère en matière de santé ; c’est-à-dire où il y a le plus de dépassements de tarifs avec les régions Ile-de-France, Rhône-Alpes-Auvergne et Alsace. Nous avons ici une région coupée en deux, avec une façade méditerranéenne bien pourvue en médecins, mais avec des problèmes d’accès économique avec les dépassements de tarifs, et des périphéries de grandes villes, comme dans les quartiers nord de Marseille, l’étang de Berre et les départements alpins, où l’on est confronté à des logiques de déserts médicaux et de gros problèmes d’accessibilité aux soins.

Pour lutter contre les déserts médicaux, l’incitation à aller s’installer pour les médecins ne marche pas. Une obligation serait trop compliquée à mettre en œuvre. Et nous ne sommes qu’au début de la crise du manque de médecins, notamment de premier recours. On a ces derniers temps  un vrai problème d’accès aux soins dentaires dans les départements alpins, avec plusieurs mois d’attente pour avoir des rendez-vous et des conséquences sur la santé.

Nous avons de plus en plus de cas dans le 04 et 05 où des personnes atteintes d’un cancer ne peuvent pas commencer leur chimiothérapie, car elles n’ont pas pu être soignées pour un abcès dentaire… Il faut savoir que cela est contre indiqué dans ce type de traitement. De tels exemples de retards de prise en charge pour les soins s’accumulent… »

Eric Chenut lors du « grand oral » des candidats à l’élection présidentielle organisé le 1er mars dernier par la Mutualité Française. ©Mutualité Française

Vous dites que l’incitation à pousser les jeunes médecins à aller s’installer dans les déserts médicaux « ne marche pas ». Comment y remédier ?

« Dans nos départements alpins et dans la médecine générale, nous avons réussi à promouvoir les maisons de santé ou les centres de santé, c’est-à-dire un exercice groupé, pour réussir un peu à stopper l’hémorragie. C’est déjà une première chose, mais au-delà des questions économiques, il faut rappeler que les jeunes médecins sont formés dans les CHU, dans les grands centres hospitaliers, où ils sont habitués à travailler en équipe pluridisciplinaire, en s’appuyant sur les plateaux techniques. Alors, lorsqu’on leur propose d’aller s’installer dans un cabinet isolé, ça ne marche pas, là encore.

La réalité est qu’il faut faire son deuil du médecin de campagne, du bon médecin de famille, seul dans son cabinet, disponible 24h sur 24, ou presque. Tout ça, c’est terminé. Il faut mettre en place un nouveau mode d’organisation. Le problème est qu’on a souvent des collectivités territoriales qui s’accrochent à des illusions… Il faut changer. Mettre en place des cabinets de groupe, des maisons et centres de santé, car nous ne sommes qu’au début de la pénurie de médecins. Pendant dix ans le nombre de médecins va continuer à baisser. »

Eric Chenut lors du « grand oral » des candidats à l’élection présidentielle organisé le 1er mars dernier par la Mutualité Française. ©Mutualité Française

Qu’est-ce qui ne va pas ou plus dans le système de notre médecine libérale ?

« Les jeunes médecins qui s’installent ne veulent pas, ou plus, travailler 70 heures par semaine et être corvéables à merci. Ils veulent avoir une vraie vie de famille, une vraie vie sociale, le temps médical se réduit encore plus. Et ce n’est pas en donnant des primes qu’on pourra combler les trous médicaux ou pousser les jeunes médecins à s’installer dans ces fameux déserts. Il faut encore savoir que seulement 25 % des médecins s’installent en libéral en sortant de l’université, quand une grande majorité vont sur des emplois salariés, à l’hôpital ou ailleurs.

La médecine libérale telle qu’on la connaît aujourd’hui n’est plus du tout attractive pour les jeunes médecins, alors qu’il en manque partout. La solution est de construire de vraies politiques locales de santé, avec de la médecine pluridisciplinaire, en s’appuyant sur les hôpitaux de proximité. On sait par exemple que beaucoup de médecins sont demandeurs d’activités mixtes, avec une partie à l’hôpital de proximité et une partie libérale.

Aujourd’hui, nous n’avons pas pris l’ampleur du changement et on ne fait que mettre des rustines… Il faut débarrasser les médecins des tâches administratives, avec des secrétaires qui doivent les soulager de toute la paperasse à faire. Il faut aussi travailler sur la délégation de tâches, avec des infirmières de médecine avancée qui, grâce à leurs cinq ans de formation, peuvent organiser aussi de la téléconsultation. Il est temps de mettre tout cela en place. Il est temps d’inventer un nouveau système de santé dans la médecine de premier recours. »

Photo de Une : Le congrès de la Mutualité Française à Nantes en juin 2015. ©N.Mergui

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