Infections sexuellement transmissibles : ça flambe !

Syphilis +34%, chlamydia +16%, gonocoque +48%. sans oublier le papillomavirus qui est l'infection la plus courante : les IST prolifèrent chez les 15-24 ans et même chez les 40 et jusqu'à 60 ans, chez les femmes après la ménopause, et après les divorces. Non soignées, ces maladies peuvent engendrer des séquelles cutanées, neurologiques ou cardiologiques gravissimes. Le point avec le Dr Laura Couka Tenoudji-Cohen, gynécologue médicale à l'Hôpital Saint-Joseph.

Santé

C’est un thème qui ne fait pas de bruit mais qui provoque beaucoup d’inquiétude; il s’agit des infections sexuellement transmissibles, les fameuses IST. Elles reviennent ! De quoi parle-t-on précisément ?

Dr Laura Couka Tenoudji-Cohen : C’est tout à fait vrai, malheureusement. On a une recrudescence des infections sexuellement transmissibles depuis quelques années. Santé Publique France avait présenté une grande étude en décembre 2023 qui montrait une hausse marquée des IST bactériennes. On va avoir notamment les chlamydioses, avec le chlamydia qui a pris 16% entre 2020 et 2022; on a également le gonocoque et la syphilis qui ont également augmenté alors que c’était des maladies un peu oubliées. Le gonocoque a bondi de 48% et la syphilis de 34% !

Les contaminations explosent chez les 15-24 ans

Comment se passent ces contaminations ?

Les contaminations vont se passer au moment des rapports sexuels mais elles ne sont pas transmises que lors des rapports sexuels classiques avec pénétration. On peut les contracter aussi lors des rapports par voie urogénitale, voie anale, donc il faut quand même être très vigilant sur tous ces modes de contamination.

Quelle est la tranche d’âge qui est principalement concernée par ces contaminations ?

Clairement, ce sont les 15-24 ans qui sont les plus concernés, les plus à risque. Après, on va avoir quand même des contaminations qui ont augmenté chez les tranches d’âge plus âgées, chez les femmes pour les chlamydias on en retrouve jusqu’à 30-40 ans et après on va même avoir chez les hommes –  essentiellement les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes, mais pas que – de 40 à 60 ans.

L’été, c’est chaud dans les maillots…

L’été est-il une période plus sensible pour la survenue et la multiplication de ces infections ?

Oui. C’est un petit peu culturel. L’été, il fait beau, on voyage, on va dans des endroits différents, on sort plus tard, on fait des nouvelles rencontres. Les barrières tombent. On n’a pas tout le temps les préservatifs sur soi. Donc oui, clairement oui pour toutes ces raisons.

Comment expliquez-vous finalement cette inflation de cas ces dernières années ? Y a-t-il une raison particulière ou est-ce une explication sociétale ?

Il y a plusieurs choses. Une explication sociétale, oui. Les femmes veulent être plus libres. Elles ne veulent plus la contraception, elles ne veulent plus prendre la pilule. On a plus envie d’avoir la possession de son corps et de ne pas avoir de barrières, ça c’est vrai. C’est un autre sujet mais des fois on a des patientes qui ont vraiment besoin d’une contraception pour des raisons médicales, et elles nous disent « Non, moi je suis anti pilule« . Cela se voit beaucoup. Il y en a qui sont anti préservatif.

Il y a aussi le fait qu’on a été terrorisés par le VIH à une époque. Maintenant c’est une maladie qui est chronique, qui se soigne bien et du coup on en a moins peur peut-être. C’est vrai que des gens vivent avec leur VIH très longtemps avec une charge virale indétectable, ils sont mieux pris en charge. Et du coup peut-être aussi qu’on a lâché le préservatif un peu à cause de ça. Parce qu’au départ, c’était essentiellement la campagne au moment du sida.

Des conséquences parfois dramatiques

Ces infections sexuellement transmissibles sont-elles dangereuses ? Quelles peuvent être leurs conséquences si elles ne sont pas soignées ou si elles sont soignées tardivement ?

Il est important aussi de dire que pour ces maladies sexuellement transmissibles, souvent, on peut ne pas avoir de symptômes. Et donc on peut être contagieux alors qu’on n’est pas forcément malade, on ne se sent pas malade; ça, ça va être au premier stade de la maladie. Après, les conséquences qu’on peut avoir essentiellement vont être pour le chlamydia, et même pour le gonocoque, des problème sur la fertilité plus tard avec une atteinte au niveau des trompes chez les femmes.

Pour la syphilis, on connaît toutes les conséquences qu’elle peut avoir dans les phases secondaires et tertiaires. La première phase de la contamination est ce qu’on appelle le chancre. C’est une espèce d’ulcération qu’on va avoir au niveau des parties génitales ou même au niveau oral. Et si ça passe inaperçu – on se dit « j’avais un petit truc et c’est parti » parce que ça passe spontanément -, si ce n’est pas traité, ensuite peuvent s’installer des phases de syphilis secondaires et tertiaires où on a une grande fatigue, des atteintes cutanées et même des atteintes neurologiques et cardiaques. Donc oui, ça peut être très dangereux. Et même encore plus si c’est transmis chez des femmes porteuses pendant la grossesse, chez le foetus.

70 000 cas de syphilis par an en Europe

Vous parlez de la syphilis mais on a l’impression que c’était une maladie finalement terminée, oubliée, qui n’avait plus cours notamment en France. Ce n’est pas le cas ?

Non. Les chiffres, c’était 70 à 71 000 cas dans l’Union européenne en 2022.

Et c’est un chiffre qui augmente ?

Oui.

Conseillez-vous à vos patientes d’informer leur partenaire d’une infection ?

Oui ! Clairement. Il faut bien comprendre que chaque traitement d’IST se fait de manière conjointe par le traitement du partenaire. Ne pas informer son partenaire, c’est idiot, parce qu’on va se recontaminer. Il ne faut pas en avoir honte. On cherche souvent un responsable. Le problème du responsable, ce n’est pas maintenant. On a trouvé cette infection chez l’un ou chez l’autre, le but c’est d’être traité ensemble pour être guéri ensemble et que cette infection ne nous contamine plus l’un l’autre.

Pas de honte à avoir !

Ce n’est pas honteux d’avoir une infection comme celle-ci. Il faut vraiment en parler…

Ce n’est pas honteux du tout ! Ce n’est pas synonyme de mœurs dissolues ou quoi. C’est une mauvaise rencontre à un moment. Sur X personnes il y a quelqu’un qui a eu cette contamination et c’est tout. On n’a pas besoin d’avoir 100 rapports sexuels par mois pour être contaminé, même si c’est plus à risque.

Le gouvernement a notamment lancé une campagne de vaccination contre le papillomavirus dans les collèges. On aurait pu penser que cela inciterait à la prudence. Cette campagne est-elle un échec ?

Une campagne de vaccination a démarré cette année dans les collèges parce que maintenant le nouveau public cible de la vaccination contre le papillomavirus, ça va être les 11-14 ans, filles et garçons mélangés. Donc il n’y a plus aucune distinction, ni de sexe, ni d’âge. Est-ce un échec ? En France on est lent sur la vaccination et tout le monde a des idées bien arrêtées. Comme y a les anti pilules, il y a les anti vaccins. Donc il y a peut-être cette barrière là aussi. Surtout j’en profite pour dire que c’est le papillomavirus aujourd’hui l’infection sexuelle la plus fréquente. Alors oui c’est un réel enjeu de santé publique.

Surexposition aux images pornos

Estimez-vous que les adolescents sont insuffisamment informés des risques d’IST ?

Oui. Peut-être par pudeur de la part des enseignants, peut-être par pudeur de la part des parents. Peut-être qu’eux-mêmes ne mesurent pas la chose du fait de leur âge, de leur maturité. Surtout qu’il y a un problème aussi de surexposition. Aujourd’hui les jeunes sont beaucoup plus à l’inverse informés et surexposés à des images de par les réseaux sociaux.

Vous parlez des images de pornographie ?

Oui par exemple. Et puis même sans aller jusque-là, plein d’images auxquelles ils n’avaient pas forcément accès à leur âge il y a 20 ou 30 ans.

En parler absolument avec ses enfants

Comment parler à ses enfants, quand on est parent, de la nécessaire protection ?

C’est très personnel. Encore une fois il faut trouver les bons mots. Je pense que ça va être très famille- dépendante en fonction de l’enfant ou de l’adolescent, même du jeune adolescent qu’on va avoir en face. Ce qui est très important, c’est que dès qu’on sent qu’il commence à s’y intéresser, même sans démarrer réellement une activité sexuelle, ou qu’on entend les copains parler, c’est vraiment important d’ouvrir le dialogue et de lui dire alors – sans tout balancer car ça peut être un peu cru et ça peut les choquer – « Regarde, je suis là, attention c’est important. » Quand les mamans m’amènent les adolescentes même pour des problèmes de règles ou des contraceptions, je leur dis toujours « Si tu as des questions, je suis là. Reviens, on en discute, je t’explique, attention. »

Quand les jeunes filles vont se mettre en couple aussi, elles vont venir par exemple pour une contraception pour ne pas tomber enceinte. On leur dit « tu vas enlever le préservatif, attention. La pilule va te protéger d’un risque de grossesse mais pas du risque d’IST. » Et ça, des fois, elles n’ont pas percuté.  « Ah ça y est, pour moi je rentrais dans ma vie sexuelle,  je démarre ma pilule, je suis protégée. »  Mais non ! Tu vas être exposée à des nouvelles rencontres, tu ne vas pas garder le même petit copain tout le collège. Donc oui c’est important de leur dire et de leur redire.

Se passer du préservatif, oui mais…

A quel moment un couple peut-il finalement se passer du préservatif ?

Eh bien quand il a fait ses examens de dépistage ! D’abord on n’enlève jamais un préservatif tant que les deux partenaires n’ont pas fait toutes les sérologies et qu’elles sont négatives. En sachant que si on est sur un début aussi d’activité sexuelle ou un début de relation, il faut que les sérologies soient recontrôlées 2 à 3 semaines plus tard, sauf pour le VIH c’est 6 semaines après. Pour être sûr que ce soit bien négatif, qu’on ne soit pas en cours d’une infection qui démarre. Une fois qu’on a fait les sérologies, qu’elles sont négatives et qu’on est en couple stable, a priori sans infidélité, on peut enlever le préservatif.

Nouvelle vie sexuelle après un divorce

Est-ce que ce message vaut également pour des personnes plus âgées ? Est-ce que les infections sexuellement transmissibles frappent aussi les plus de 40 ou 50 ans ?

Oui, clairement. On a parlé beaucoup des jeunes parce qu’ils sont dans le démarrage de leur vie sexuelle et qu’ils sortent. Mais on a aussi toute une tranche d’âge de la deuxième étape de la vie, même souvent après la ménopause ou quand on a des divorces et où elles se retrouvent dans des clubs de rencontres. Elles se recréent une vie sexuelle à 50-60 ans. Par contre, elles le demandent souvent en consultation, lorsqu’elles viennent pour leur suivi gynéco habituel. A la fin de la consultation elles me disent « Docteur je peux avoir l’ordonnance pour les IST ? » alors que nous on va moins aller vers ce sujet-là, à cet âge-là. Mais elles la demandent systématiquement et c’est vrai qu’il y a des IST.

Les femmes de plus de 50 ans réagissent très vite

Vous constatez donc chez cette tranche d’âge une part significative de personnes qui sont contaminées ?

Oui. Mais elles sont plus au courant, plus alertes et ça va être à des stades très précoces. Elles vont venir directement dès qu’elles sentent qu’il y a un petit bouton qui les gêne ou quelque chose. Elles sont en alerte sur ça. Ce que les jeunes ne sont pas.

Les traitements sont-ils efficaces contre les IST ?

Ah oui, oui ! Que ce soit pour le chlamydia ou pour le gonocoque. En plus, très souvent, ce sont des traitements-minute, ce ne sont pas des traitements longs. Donc s’ils sont pris tôt, on traite les partenaires et puis voilà, c’est réglé !

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