L’insuffisance cardiaque toucherait de 2 à 3 millions de Français dont beaucoup, peut-être la moitié, ignorent leur maladie. En quoi consiste cette pathologie ?
Dr Patrick Khanoyan : C’est l’incapacité qu’a le coeur d’assurer les besoins de l’organisme. Le cœur est une pompe qui va être capable d’éjecter à chaque contraction à peu près 70% de la totalité du sang qui est à l’intérieur. Et l’altération soit du remplissage soit de l’éjection du sang qui est dans le ventricule va baisser le débit cardiaque, donc baisser la circulation du sang dans l’organisme.
Tout ce qui abîme notre coeur
Quelles sont les causes principales de ce dysfonctionnement de notre cœur ?
Il y en a plusieurs. Celles qui ressortent le plus souvent sont les cardiopathies ischémiques : ce sont les gens qui ont fait des infarctus du myocarde et qui ont gardé des séquelles. On sait bien traiter maintenant les infarctus. Donc ils survivent à leur accident mais, au fil des années, ils développent une cicatrice qui rend le cœur moins performant. Cela peut être également l’hypertension artérielle qui altère profondément la structure du cœur et qui durcit le cœur. Et bien évidemment, dans le même registre, le vieillissement du cœur qui concerne les personnes âgées.
Justement, existe-t-il un profil type de malade ? Le malade type de l’insuffisance cardiaque est-il le monsieur ou la dame qui a 75 ans ?
Oui, c’est plutôt quand même plus masculin. Il y a une grosse majorité d’hommes. Mais tout dépend en fait de l’âge auquel vous ferez le diagnostic. Quand les patients sont jeunes, c’est une maladie qui est assez rare mais qui va être plus liée par exemple à l’infarctus du myocarde et qui va apparaître un peu plus chez les hommes que chez les femmes. Si par contre vous prenez des personnes plus âgées, l’incidence de la maladie est beaucoup plus élevée chez les gens de plus de 80 ans. 10% de la population de plus de 75-80 ans est porteur d’une insuffisance cardiaque, et là on a plutôt ce qu’on appelle des insuffisances cardiaques à fraction d’éjection préservée. Ce n’est pas un problème de contractilité, c’est plus un problème de souplesse du coeur.
200 000 hospitalisations, 70 000 décès par an
On évoquait de 2 à 3 millions de personnes qui ont une insuffisance cardiaque en France. Il semblerait que beaucoup d’entre elles ignorent, n’ont pas connaissance de cette pathologie qui est très grave. Quels sont les symptômes qui doivent faire penser à une insuffisance cardiaque ?
D’abord un petit mot sur la pathologie. 2 à 3 millions, c’est considérable effectivement. Au moins 1,5 million de personnes sont diagnostiquées comme telles et probablement la moitié est méconnue. C’est une pathologie qui est grave parce qu’on hospitalise à peu près 200 000 personnes par an. Et il y a 70 000 personnes qui vont en mourir. C’est une pathologie, dans le pronostic, qui est plus grave que la plupart des cancers. C’est plus grave que le cancer du sein, que le cancer de l’ovaire, le cancer de la prostate, le cancer du côlon. Donc la seule chose qu’il y a, c’est qu’on sait agir dessus pour réduire cette gravité grâce à l’action thérapeutique, avec des médicaments et toutes les stratégies thérapeutiques qui nous permettent de l’améliorer.
Essoufflement, prise de poids, chevilles enflées, fatigue
Quels sont les signes de l’insuffisance cardiaque ?
Eh bien c’est le moment de vous donner cet acronyme qu’on appelle EPOF : E pour essoufflement, P pour prise de poids, O pour œdèmes des membres inférieurs – c’est-à-dire les chevilles qui enflent – et F pour fatigue. Aucun de ces symptômes n’est spécifique de l’insuffisance cardiaque mais si vous avez un terrain un petit peu à risque et que vous présentez l’un, et surtout la totalité de ces symptômes, là il y a fort à parier qu’il s’agit d’une insuffisance cardiaque.
L’insuffisance cardiaque est-elle bien identifiée par les médecins traitants ? Et si j’ai une insuffisance cardiaque, est-ce que je dois absolument être suivi par un cardiologue ?
Je trouve que la collaboration avec les médecins de ville (et l’hôpital) se fait très bien et que le diagnostic se fait de mieux en mieux, maintenant que nous avons devant un symptôme d’essoufflement la possibilité de faire la réalisation de biomarqueurs. C’est une prise de sang qu’on appelle le NTproBNP qui mesure en gros l’essoufflement du patient. Une anomalie sur ce biomarqueur associée à la présence d’un essoufflement va conduire au diagnostic d’insuffisance cardiaque. Après il faut adresser le patient au cardiologue pour caractériser cette insuffisance cardiaque.
Fraction d’éjection inférieure à 40% : attention
Dans un premier temps, il y a une première classe thérapeutique qu’on appelle glucosamine qui va être mise en place, quel que soit le type d’insuffisance cardiaque. Et le cardiologue, grâce à l’échographie, va caractériser, donner le phénotype, le profil de type d’insuffisance cardiaque : est-ce qu’il s’agit d’une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite, à moins de 40% (versus 70% qui est la norme, NDLR) ? S’agit-il d’une fraction d’éjection modérément réduite, entre 40 et 49% ? Ou bien la fraction d’éjection est-elle préservée, c’est-à-dire qu’en apparence la contractilité est correcte, mais c’est le remplissage du coeur qui ne se fait pas bien ?
C’est tout l’organisme qui trinque !
Quelles sont les conséquences d’une insuffisance cardiaque pour l’organisme, c’est-à-dire quand mon cœur ne pompe plus assez, qu’il n’envoie plus assez de sang à chaque fois qu’il se contracte ?
L’organisme est en souffrance puisqu’il est moins bien nourri. Vous avez des organes qui vont être défaillants et qui vont même créer une boucle délétère, comme la fonction rénale. Lorsque le cœur ne marche pas très bien, les reins sont moins bien perfusés et le patient va de facto également moins bien. Cela va aggraver sa situation dans le champ cardiaque, dans une boucle infernale qu’on appelle d’ailleurs le syndrome cardio-rénal.
Mais l’ensemble de l’organisme est en souffrance du fait d’une mauvaise perfusion. En dernier lieu c’est la circulation cérébrale qui est la mieux préservée. Mais les muscles sont moins bien nourris, les patients se déplacent moins bien, il y a une réduction de la masse musculaire. Ce qui aggrave le statut du patient. La bonne nouvelle c’est que si on prend bien en charge les patients, on peut rendre cela réversible grâce notamment à la rééducation et grâce évidemment aux traitements médicamenteux. On va corriger ces anomalies.
Les 4 Fantastiques
Quand vous parlez de traitements, ce sont uniquement des médicaments ?
Pas tout à fait. Pour ce qui est de la fraction d’éjection réduite par exemple, il y a 4 piliers qu’on appelle entre nous les 4 Fantastiques. Il s’agit de 4 catégories de médicaments qui vont permettre tout à la fois de réduire la mortalité et de réduire la re-hospitalisation. Je ne sais pas si rien n’est pire que d’être hospitalisé quand vous avez une poussée d’insuffisance cardiaque, parce qu’elle vous dégrade au fur et à mesure, physiquement et psychologiquement. Et à la fin elle conduit à la mort.
Donc il y a ces 4 piliers. Il y a également la nécessité, si on n’a pas réussi à améliorer la fonction cardiaque, de mettre un dispositif implantable qu’on appelle un défibrillateur, pour lutter contre le risque de mort subite. Ce dispositif peut être plus ou moins associé à ce qu’on appelle une resynchronisation. C’est un pacemaker avec 3 brins, 3 fils électriques qui vont permettre au ventricule de récupérer toutes les contre activités. Parfois, ça part un petit peu dans tous les sens. En mettant un défibrillateur qui permette de synchroniser chaque paroi du cœur, vous pouvez gagner 10, 20, 30% de fraction d’éjection et corriger l’anomalie qu’il y avait au départ !
Des malades revivent !
La recherche médicale progresse-t-elle dans votre domaine ?
Cela ne cesse de progresser ! Il y a 40 ans, un patient qui avait une insuffisance cardiaque n’avait pas de traitement. On avait juste des diurétiques pour enlever la congestion, c’est-à-dire toute l’eau qu’il retenait. Mais on n’avait pas de médicaments pour prévenir l’évolution. Au fil des décennies, chaque nouveau médicament qui est apparu a permis à chaque fois de réduire la mortalité et de réduire les hospitalisations, d’améliorer le confort de vie. Il n’y a pas eu une période de 3 à 4 ans sans qu’on ne découvre un nouveau progrès thérapeutique qui permette cette amélioration. Au point de retrouver des patients dont le statut fonctionnel initial était déplorable, essoufflés au moindre effort voire essoufflés sans aucun effort, et qui aujourd’hui sont capables d’avoir une activité professionnelle ou une activité physique régulière sans aucun symptôme.
On a vu que de nombreux Français sont concernés. Est-ce qu’on doit redouter une « explosion » des cas en raison notamment du vieillissement de la population ?
Effectivement ! Et c’est déjà la cas. Nous avons 10 à 15% de la population de plus de 80 ans qui est porteur d’une insuffisance cardiaque. Comme nous arrivons à obtenir un allongement de l’espérance de vie, inéluctablement l’insuffisance cardiaque est de plus en plus présente. A cet âge là, les maladies cardiovasculaires touchent plutôt une population plus féminine. Les maladies cardiovasculaires sont devenues la première cause de mortalité chez la femme.
Halte au sel : on en consomme 2 fois trop !
Venons-en aux conseils. Peut-on prévenir l’insuffisance cardiaque par son hygiène de vie ?
Oui. Je vous ai parlé de EPOF pour le diagnostic. Là, je vais vous parler de EPON : E pour Exercice, P pour surveiller le Poids, O pour l’Observance thérapeutique. Les gens malheureusement ne prennent pas toujours bien leurs médicaments et une mauvaise observance, c’est associé à un risque majeur. N c’est Ne pas saler et là je reviens à votre question : effectivement il faut réduire la charge de sel. Un insuffisant cardiaque doit avoir un régime qui ne dépasse pas 5 grammes de sel par jour mais le Français moyen mange trop de sel : on est à plus de 10 grammes de sel par jour ! Si on réduisait de 3 grammes la quantité de sel dans la totalité de la population, on arriverait à prévenir une partie de ces insuffisances cardiaques, ne serait-ce qu’en prévenant une partie des hypertensions artérielles qui sont pourvoyeuses.
Pourquoi le sel est dangereux
Des aliments sont-ils contre-indiqués ?
L’éducation thérapeutique du patient nous permet d’identifier les aliments qui sont trop salés. La première des choses qu’il faut savoir faire, c’est éliminer ce qui est déjà trop salé dans l’alimentation. Dans notre société où l’on mange très rapidement, l’usage de produits qui sont pré conditionnés par l’industrie est très souvent associé à une charge de sel trop importante. Le sel est à la fois un exhausteur de goût et un conservateur. Il faut donc faire attention et lire les étiquettes des produits préfabriqués par l’industrie car ils sont souvent trop salés.
Donc il vaut mieux faire soi-même sa cuisine pour quantifier la quantité de sel, en fonction du sel qu’il y a dans chacun des aliments. On peut se déshabituer du goût salé, avec l’aide d’épices par exemple qui vont rehausser le goût autrement qu’avec un apport sodé. Si possible on va essayer d’éviter les sels de substitution qui sont potentiellement dangereux parce qu’ils apportent du potassium et que ça peut être dangereux sur le plan cardiaque en association aux autres traitements.
Du sport mais… sur ordonnance !
Quand on est atteint par cette pathologie, peut-on l’améliorer au quotidien ? Je pense par exemple à la pratique sportive. Est-elle recommandée ?
Oui. D’abord il y a la réadaptation cardiaque pour les gens au début de leur maladie. Il faut leur réapprendre à avoir une activité physique et lorsqu’on les a bien stabilisés, on peut faire du sport sur ordonnance. On peut conseiller un certain nombre d’activités qui sont favorables. Il faut quand même retenir une chose : lorsqu’il reste un petit peu d’essoufflement, il ne faut jamais forcer l’essoufflement. On peut prolonger son activité très longtemps mais moins fort pour pouvoir avoir cette activité, mais sans arriver dans la zone rouge de l’essoufflement.
Donc si je monte les escaliers, je les monte doucement ?
Exactement !
Bannir les anti-inflammatoires
A l’inverse, est-ce qu’on doit se méfier de certaines choses qui pourraient aggraver la maladie, toujours dans sa vie quotidienne ?
D’abord, on doit être observant sur les médicaments. Parce que ne pas prendre les traitements, ça peut être dangereux. On doit être observant sur sa diététique. On a parlé du sel, des plats cuisinés. On doit éliminer un certain nombre de médicaments comme les anti-inflammatoires qui sont extrêmement dangereux sur le plan cardiologique et pour la fonction rénale, et pour les co prescriptions de médicaments et donc in fine pour le cœur.
On doit se méfier des événements qui peuvent apparaître et provoquer des poussées d’insuffisance cardiaque, comme par exemple les pathologies infectieuses. Elles sont la cause de 25% des décompensations des troubles du rythme cardiaque, comme par exemple la fibrillation atriale qui risque de décompenser le patient et de le faire mourir d’un œdème aigu du poumon. Si jamais le patient est connu porteur d’une fibrillation atriale et d’une insuffisance cardiaque, au-delà des traitements médicamenteux il faudra peut-être proposer également une ablation de la fibrillation atriale qui est un traitement par cautérisation interne radiofréquence ou par cryothérapie du substrat de la fibrillation.
Vaccins contre la grippe, le Covid et le pneumocoque impératifs !
Vous avez dit qu’il faut se méfier des épisodes infectieux. Cela veut dire qu’il faut se faire vacciner par exemple contre la grippe ?
Alors oui ! Non seulement contre la grippe mais également contre le Covid et contre le pneumocoque. Grippe et COVID tous les ans et pneumocoque tous les 5 ans.
Ici à l’hôpital Saint Joseph vous avez organisé et développé un parcours de soins en lien avec l’Assurance Maladie au profit des patients. Comment ça marche ?
Ce parcours de soins a été mis en place pour être conforme aux recommandations des sociétés savantes qui nous demandent, après une hospitalisation, d’être dans une prise en charge pluridisciplinaire. C’est-à-dire associant des médecins, des infirmiers, les médecins traitants, le cardiologue traitant, des diététiciens, pour permettre d’optimiser la prise en charge thérapeutique dans un délai très rapide. Il faut que le patient bénéficie de la totalité de ces traitements dans les 6 semaines qui suivent l’hospitalisation.
De 2 à 6 mois pour voir un cardiologue !
La problématique, c’est qu’aujourd’hui vous avez des délais d’attente chez le cardiologue qui sont considérables. Le délai moyen en France est de 66 jours. C’est 31 jours à peu près en région parisienne, entre 30 et 60 jours dans la région marseillaise et 170 jours en Indre-et-Loire ! Donc vous imaginez la non-conformité avec les attentes en cours.
Alors il y a d’un côté le système Prado Insuffisance Cardiaque qui est mis en place par l’Assurance Maladie. Des agents de l’Assurance Maladie qui sont dans les hôpitaux arrivent à obtenir des rendez-vous rapides, autour d’une semaine, avec le médecin traitant et entre un et 2 mois avec le cardiologue traitant, contre les 6 mois usuels qu’il peut y avoir très souvent. De notre côté on propose la mise en place d’une télésurveillance, des objets connectés, avec une balance connectée qui est déposée à domicile chez le patient et qui nous permet d’avoir des informations en direct au quotidien sur son poids. Cela est associé avec un accompagnement thérapeutique, avec des infirmières qui interfacent avec le patient pour savoir s’il a des symptômes qui peuvent prédire ou pas le risque de rechute d’insuffisance cardiaque.
Saint Joseph a divisé par 2 les re-hospitalisations
En ayant mis en place ce système là, on est beaucoup plus efficace dans la protection des re-hospitalisations et de la mortalité de ces patients. La moyenne nationale de re-hospitalisation est de 34%. Lorsque vous mettez en place un système assez efficient comme celui-ci, chez nous on a réduit à 15% cette re-hospitalisation. Et sur des chiffres qui ne sont pas publiés, lorsqu’on y associe de la télémédecine, on réduit la re-hospitalisation à 3 mois à 8%. Donc vous imaginez que pour le patient c’est beaucoup mieux.
Et c’est un gain pour la collectivité notamment en matière d’économie…
Oui en matière d’économie puisque l’hospitalisation c’est un milliard d’euros. Toute réduction des hospitalisations permet de mieux soigner les gens sur d’autres pôles.
Dépistage gratuit à l’hôpital le 21 novembre
Jeudi 21 novembre, en partenariat avec la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône, le service de cardiologie de l’Hôpital Saint Joseph organisera une journée d’information et de dépistage de l’insuffisance cardiaque. Le but étant de dépister les patients via un entretien et un test de dosage capillaire du NTproBNP. Rendez-vous au rez-de-chaussée du bâtiment Fouque de Saint Joseph, face à l’accueil (accès par le boulevard Latil, 13008 Marseille).
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