Jean-Claude Gaudin : un géant politique et des mystères

Yves Blisson revient sur le parcours politique incroyable du maire de Marseille disparu le 20 mai. Il décrypte ses succès, sans omettre ses failles…

société

Jean-Claude Gaudin : une passion marseillaise

C’est peu de dire que Jean-Claude Gaudin a aimé Marseille , la ville dont il a été maire vingt cinq ans… Une passion qui a amené l’enfant de Mazargues à sacrifier un avenir politique national qui aurait pu passer par la présidence du Sénat ou par des responsabilités ministérielles plus importantes que les portefeuilles relativement secondaires qui lui ont été accordés. Et même si en tant que ministre de la Ville Jean-Claude Gaudin a pu favoriser un petit peu la sienne, l’homme a toujours pensé qu’il était plus important d’occuper la mairie sur le Vieux-Port que des strapontins dans l’antichambre du pouvoir.

Cette position privilégiée de baron local, (même si certains l’ont considérée comme un manque d’ambition) lui a accordé l’oreille de tous les premiers ministres (avec parfois des joutes homériques comme avec Francois Fillon), et surtout des Présidents de la République, de Jacques Chirac à Emmanuel Macron en passant par Nicolas Sarkozy, et même François Hollande.

Un politique madré

Dans sa ville, il aura tout connu. La mairie bien sûr, mais aussi la présidence de la région et celle d’une métropole qu’il a contribué à faire émerger, un peu à reculons…en obtenant tant de dérogations de la part du premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayraut, que ce monstre institutionnel se révèlera bien vite ingouvernable et inefficace.

Jean-Claude Gaudin était l’homme de ce type de compromis, souvent spectaculaires, toujours complexes, et parfois de nature à dérouter une grande partie de son électorat… Cela ne l’a jamais empêché, bien, au contraire, de remporter des victoires spectaculaires voire de gagner ( ou faire gagner ) des scrutins improbables. Un « deus ex machina » qui savait aussi rappeler à certains de ses proches qu’il avait la capacité de les faire élire… voire de les mettre en difficulté… grâce à sa parfaite connaissance de la carte électorale.
Il faut dire qu’il avait été à bonne école, avec Gaston Defferre, dont une des élections avait été remportée avec moins de voix que n ‘en avaient obtenues les listes Gaudin.

Les hasards de la vie ne permettront pas que Jean Claude Gaudin s’exprime sur la réforme de la loi électorale PLM. Il aurait pourtant été passionnant d’entendre l’inlassable professeur d’histoire sur ce sujet , tout comme il était intarissable ces dernières années sur le refus de Defferre de créer une communauté urbaine.

Un Janus à plusieurs faces

L’émergence de ce personnage curieux, totalement à part dans la vie politique française, date de la fin des années 70 où il remporte une élection législative considérée comme perdue d’avance face à un proche de «Gaston»: Charles-Émile Loo . Ce bâton de maréchal conquis dans les quartiers Sud, avec le soutien de la bourgeoisie locale , – qui lui en voudra parfois de ne pas renvoyer correctement l’ascenseur – est à la fois une victoire de caste, pour l’enfant de Mazargues, souvent snobé par des centristes plus huppés et un marchepied politique qui va, dans le sillage de Giscard, l’amener très près du pouvoir et lui donner une image nationale .

En fait Jean-Claude Gaudin s’ inscrit parfaitement dans une démocratie chrétienne à la sauce marseillaise, héritage du MRP de Germaine Poinso – Chapuis la première ministre femme de France, originaire de Marseille. Ce centrisme phocéen, illustré aussi par des grandes figures du patronat chrétien , comme Charlotte Grawitz, ou plus près de nous, le banquier Bernard Maurel, est un boulevard pour Jean-Claude Gaudin , qui, tel Raminagrobis donne des coups de patte indifféremment à gauche et à droite, pour maintenir et amplifier son emprise sur la ville . Chaleureux, truculent, proche des gens, d’une mémoire infaillible, Jean-Claude Gaudin avait aussi une image de clown triste.

Seul, n’,ayant comme passion que la politique, l’homme se retirait le week-end dans sa thébaïde de Saint Zacharie. Il n’y recevait que ses proches autour de spécialités de la cuisine provençale.
Il y avait d’ailleurs une forme de courage à cette solitude. Parfois, sujet de menaces, le maire refusait les protections trop rapprochées et n’hésitait pas, à aller au contact, parfois dans les quartiers les plus sensibles.

Fin de mandat difficile

On lui a surtout reproché un dernier mandat crépusculaire, marqué par l’épouvantable épisode de la rue d’Aubagne (8 morts dans l’effondrement de deux immeubles vétustes du centre-ville le 5 novembre 2018), si symptomatique d’une forme d’inertie et d’un manque de volonté politique pour s’attaquer aux problèmes récurrents de la ville.

Jean-Claude Gaudin était aussi l’homme du compromis social ; dans la ligne, de ce que faisait Gaston Defferre , il a géré la ville en accord avec le syndicat majoritaire avec des pratiques, qui lui ont valu sur la fin, de sérieux ennuis sur le dossier du pointage des employés municipaux et celui de leurs heures supplémentaires (poursuivi pour « détournement de fonds publics par négligence », il sera condamné en 2022 à 6 mois de prison avec sursis).

Les accents de sincérité de Jean-Claude Gaudin à qui personne ne reprochera de n’avoir fait que de la politique, résonnent encore, ainsi que ses coups de gueule mémorables, et ses passages médiatiques inoubliables. Mais derrière cette bonhomie se cachait un pragmatisme froid. Certains « sacrifiés » de ses équipes n’ont parfois pas vu le coup venir …

La politique, toute la politique, rien que la politique…

En fait, seule la politique l’intéressait.
L’O.M., oui, bien sûr, mais sans plus. D’autant que la seule rebuffade connue par l’édile en conseil municipal en vingt-cinq ans vint d’une délibération refusée sur un soutien financier accordé au club de Robert Louis Dreyfus pour un déplacement promotionnel à l’étranger…

Quant à l’économie, ce n’était vraiment pas le point fort de l’élu des quartiers Sud. Il laissait ces sujets à ses adjoints : Renaud Muselier , Dominique Tian, Roland Blum, Jean-Louis Tourret… S’appuyant sur de solides amitiés dans le monde bancaire, il partageait notamment avec Charles Milhaud ancien guichetier devenu patron tout-puissant des Caisses d’Epargne, cette origine modeste qui conduit les plus déterminés aux fonctions suprêmes.

Dans le monde de l’entreprise, Pierre Bellon (Sodexo) Robert Fabre (Compagnie Fruitière) , Marc Pietri ( Constructa) ont été des proches, l’économie n’était pas la tasse de thé de Jean-Claude Gaudin. Pragmatique, il résumait cela dans une formule lapidaire : « l’entreprise n’a pas de bulletin de vote ».

Spectateur admiratif et parfois dubitatif de la montée en puissance de CMA CGM il marquera son territoire, en bon homme de symboles, en obtenant de Jacques Saadé que la hauteur de sa tour soit inférieure à celle de Notre Dame de la Garde!
Même s’il était toujours très attendu et très bien accueilli dans les assemblées patronales, le maire n’y a pas fait que des heureux, notamment dans sa période de président de la métropole où une dure fiscalité a pesé, sur les entreprises.

Le maire de Marseille préférait la religion. Fasciné par les arcanes du Vatican et les souverains pontifes, il ne manquait jamais un voyage à Rome et entretint toujours d’excellentes relations avec les archevêques et cardinaux ( de Roger Etchegaray à Jean -Marc Aveline) de Marseille. Le dialogue inter religieux lui était aussi cher ainsi qu’il le démontra en promouvant Marseille Espérance.

Une fin en pente douce

Les dernières années de la vie de Jean-Claude Gaudin auraient pu, il l’avait sous -entendu avec force coquetteries, être consacrées à un livre marquant. Force est de constater que ses mémoires, publiés il y a quelques années, ont été plutôt décevants… Et, parmi les mystères insondables il y aura eu celui de la succession : un dossier que le patriarche n’a jamais voulu ouvrir, peut-être à raison, mais qui a provoqué beaucoup de frustrations dans son camp.

Il restera de Jean Claude Gaudin l’image d’un géant de la politique, indissolublement lié à Marseille , la marque d’un élu passionné et convaincant et un parfum doux-amer d’une insaisissable proximité qui correspond parfaitement à la complexité de ce territoire qu’il aimait tant.

 

Ses obsèques se tiendront à la Cathédrale La Major ce jeudi à 15h

 

cet article vous a plu ?

Donnez nous votre avis

Average rating / 5. Vote count:

No votes so far! Be the first to rate this post.

Partagez vos commentaires.