Jean-Michel Arnaud, l’apôtre du temps long

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Sénateur centriste des Hautes-Alpes depuis septembre 2020, le maire de Tallard, réélu en mars 2020, est également président de l’association des maires de son département. Jean-Michel Arnaud partage son temps entre le palais du Luxembourg, ses terres d’élection et ses terres tout court. Son exploitation de Lettret, transmise de père en fils depuis 3 générations, lui permet de rester en prise avec la ruralité, son histoire familiale, mais aussi une réalité où la temporalité et les exigences ne sont pas les mêmes qu’à Paris ou dans le monde politique.

Outre vos fonctions politiques, vous exploitez toujours les terres familiales. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Jean-Michel Arnaud : J’ai toujours eu un pied dans la Durance et un pied dans le Drac. Comme beaucoup de Haut-Alpins, je suis issu d’une famille d’agriculteurs. En 2005, j’ai pris la suite de mon père et j’ai réorienté l’exploitation vers la viticulture. D’ailleurs, je fais cette année ma première récolte. Pour moi, il était naturel de reprendre ces terres. Il y avait un impératif car l’exploitation était là et il n’y avait pas beaucoup d’autres possibilités. J’étais tenu par trois fils d’airain. Le premier : mon enracinement territorial en tant qu’élu et mon attachement à mon territoire. Le deuxième : il y avait un outil économique avec des engagements et le troisième: cette activité me permettait de maintenir un lien avec l’économie réelle, de ne pas être un professionnel de la politique. Je ne voulais pas être dépendant du mandat. C’était un fil de liberté, même s’il y a des contraintes, mais c’est le lot de tout entrepreneur.

Comment vous êtes-vous lancé en politique ?

Je pense que mon père avait le secret espoir que je reprenne l’exploitation, car la notion de transmission est très importante dans le monde agricole. Il y a une notion de temps long qui est en contradiction avec le monde des Trente Glorieuses, de la société productiviste. Mes parents ont constaté que j’avais des capacités et donc, ils m’ont toujours dit de faire ce que j’avais à faire. D’aller le plus loin possible et puis que le moment venu je ferais mes choix. Mon père avait un intérêt politique, dans le sens où il avait une idée de la patrie, de la Nation et évidemment, la petite nation de proximité, c’était la commune. Mon père a été premier adjoint de la commune de Lettret pendant des années. Il n’a jamais voulu être maire, car sa priorité était son exploitation. Comme dans toutes les communes très rurales, les conseils municipaux étaient des conseils de familles avec de nombreux agriculteurs. Il y avait un engagement naturel. Tout enfant, il y avait une imprégnation de quelque chose qui était très familial et qui était en même temps très citoyen. J’ai été bercé à tout cela et quand j’ai réalisé mon parcours scolaire, je me suis également inscrit dans cet esprit en m’engageant ensuite dans des collectivités locales haut-alpines.

Agriculteur… Le plus beau métier du monde !

Quel regard portez-vous sur l’agriculture haut-alpine ?

Le métier d’agriculteur m’impressionne. Je n’ai pas toutes les qualités et toutes les compétences que savent développer par exemple les agriculteurs du Queyras, du Buëch, du Champsaur ou de la vallée de la Durance qui sont des véritables couteaux suisses. Ce sont des visionnaires qui sentent les évolutions du marché, qui font des choix stratégiques pour se projeter sur des temps longs. Ce sont des techniciens hors pair, car ils travaillent sur du vivant avec des contraintes climatiques et météorologiques. Ils doivent gérer leur matériel, leur terre. Je pense du plus profond de mon âme que le métier d’agriculteur n’est pas valorisé à la hauteur des couteaux suisses que sont les agriculteurs de notre pays. Je déplore la vision dégradée des agriculteurs et que certains s’autodévalorisent, alors que selon moi, c’est le plus beau métier du monde. Ils s’occupent de la terre, de nourrir les hommes et de sculpter les paysages. Il n’y a pas d’autre métier qui touche ces trois dimensions. Notre pays doit renouer avec ses agriculteurs et les réhabiliter dans notre monde. J’ai conscience que je ne joue pas dans la même catégorie que ceux qui sont à 150 % sur leur exploitation, mais j’ai voulu rester dans ce temps long que j’évoquais auparavant, ce lien, cette réalité.

Que vous apportent vos racines agricoles dans votre fonction ?

J’ai deux jardins : mon cadre familial, qui est fermé, et le plaisir d’être sur mon tracteur, d’attacher ma vigne, etc. Ces moments là sont précieux. Je sais que je suis sur la terre de mes parents et de mes grands-parents. Je suis ancré quand je suis dans mon département, dans la vallée de la Durance, j’y retrouve une forme de sérénité. En tant que parlementaire des Hautes-Alpes, quand je suis à Paris, je me sens porteur de mes racines. Je tiens d’ailleurs beaucoup à la dénomination de sénateur de terrain. Même si je n’ai pas les mêmes codes avec certains fonctionnaires ou collègues, je sais qu’on ne me la fait pas avec des artifices de formules, de rhétorique ou autres. Mon rôle est de porter la spécificité des Hautes-Alpes, la force de notre département à Paris. Ici, il faut savoirs’ adapter, car quand on a une relation à la terre, au terroir qui est dans le temps long, dans le respect et dans les équilibres, il faut toujours savoir valoriser ce que les aïeux nous ont appris et ce que la nature nous apprend tous les jours.

Un rôle de contrôle du gouvernement

Pourquoi avoir brigué un mandat sénatorial ?

J’ai été maire de Tallard durant de nombreuses années. Même si aujourd’hui, la loi m’interdit d’exercer la fonction, je reste élu de la commune et très proche de l’équipe municipale. Je suis président de l’association des maires depuis 2001. Je me sens pleinement dans la famille des élus locaux qui est un peu particulière car elle travaille uniquement pour les autres et pour l’intérêt général à taille humaine. Son engagement est de faire plutôt que de dire, de construire plutôt que de détruire. Et cette famille a pensé que j’avais un profil de chef de famille.

Quel est le rôle d’un sénateur ?

Je ne suis pas un sénateur défensif. Notre département, à plus d’un titre, peut être exemplaire, peut ouvrir des voies. Le Sénat est l’assemblée des territoires de France. Mon rôle est de faire remonter au niveau national ce que pensent les maires, les élus, les populations, les syndicats, les associations, les professions, etc. Je dois aussi faire redescendre un certain nombre d’informations et d’orientations. Nous avons également un rôle de contrôle du gouvernement, ce qui me permet d’interpeller des ministres si je constate des dysfonctionnements. Je peux participer à des commissions, demander des missions d’enquête, etc. Je suis là pour écouter mes concitoyens. Ils ne sont pas seuls. C’est pour cela que je suis beaucoup sur le terrain.

Quelle est votre vision pour l’avenir de l’agriculture dans le département ?

Nous devons écouter les difficultés et les transformer en force de proposition. Le département a les capacités d’être dans une forme de modernité attendue par le plus grand nombre. On a un territoire préservé, de la ressource, des savoir-faire, des marques fortes, des entreprises dynamiques… Les paysans ont su s’adapter et ont un niveau de technicité exceptionnel. Nous sommes aujourd’hui un département exemplaire par bien des aspects et donc, il faut continuer, persévérer et partager. Il faut être fiers mais ne pas dénigrer les voisins. Il y a une attente sociétale forte sur l’environnement ? Eh bien, venez voir les Hautes-Alpes ! Nous sommes terre d’excellence, donc j’aimerais qu’on parle des agriculteurs comme étant des vecteurs de cette idée, de leur capacité à être des apporteurs de solutions. J’aimerais plus projeter du positif, même si bien évidemment, il y a des revendications à court terme : la Pac, le loup, la main-d’œuvre, etc. Les agriculteurs font de l’écologie du quotidien, du réel. Il faut arriver à montrer que c’est le début des nouveaux paysans qui ne seront pas des robots ou des hologrammes. Il faut remettre de la chair, de l’histoire et du temps long, j’y reviens.

Porter des filières d’avenir

Quels sont les grands dossiers de cette fin d’année ?

Le premier gros dossier, c’est de créer une ambiance constructive et positive autour du gouvernement, pour qu’il nous assure la suffisance alimentaire pour la France ou l’Europe. Il faut trouver les bons arbitrages entre filières. Le sujet du loup est important, à la fois sur le plan agricole et touristique, mais je ne souhaite pas saturer le débat public sur l’avenir de l’agriculture des Hautes-Alpes autour de cette question. C’est évidemment important, mais la question de la formation, de la diversification des revenus, du rapport entre agriculture et tourisme, de l’industrialisation de certains process agro-alimentaire, me paraissent tout aussi importants, voire plus importants, que la seule question du loup, même si je connais la détresse des éleveurs et des maires. Mais la filière viande-agneau n’est pas la seule filière dans les Hautes-Alpes. Il faut traiter ce sujet, mais j’aimerais que l’on fasse l’effort collectif de parler des filières d’avenir et qu’on essaye de donner autant d’énergie pour les structurer. J’en appelle à l’engagement de toutes les forces agricoles pour qu’à côté de la défense du pastoralisme, on soit force de structuration d’une pensée, d’innovation, de réflexions partagées et de portance de filières d’avenir dans ce département. Pour qu’on n’effraie pas tout le monde en donnant une image, certes réelle, mais partielle de ce qu’est notre agriculture. J’aimerais qu’on mette un coup de projecteur sur ces agriculteurs et ces éleveurs qui préparent les Hautes-Alpes de 2050. Bien entendu, je prêterai toujours une épaule, de l’écoute et une solidarité active auprès des victimes de ces attaques, mais il ne faut pas cristalliser le débat là-dessus.

Propos recueillis par Alexandra Gelber

L’Espace Alpin est le journal agricole et rural des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes. Ce journal bimensuel est disponible sur abonnement sur lespace-alpin

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