JO 2024 : la future Marina olympique sort de terre (2/5)

Confiée aux architectes Roland Carta et Jacques Rougerie en novembre 2020, la construction de la future Marina olympique a débuté. Elle est assurée par le groupe Vinci et sa filiale des Travaux du Midi. Didier Réault, l'ancien adjoint délégué à la Mer, à l'origine de la candidature olympique de Marseille à l'accueil des épreuves de voile, revient sur l'histoire de cette candidature et sur l’esprit voulu qui a présidé à l'élaboration de ce projet de Marina, qui devrait attirer entre 5000 et 10 000 spectateurs par jour durant les JO.

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Ancien adjoint délégué à la Mer de la ville de Marseille, Didier Réault a porté avec Dominique Tian, l’ancien premier adjoint, la candidature de Marseille à l’accueil des épreuves de voile olympiques.  » Lorsque la France a obtenu les JO, se souvient-il, il avait été demandé de trouver rapidement un site de voile olympique et on était alors dans une période de réflexion entre la fédération française et la fédération internationale de voile pour rendre les courses plus médiatiques et accessibles surtout au grand public ».

Jusqu’au début des années 2000, il est vrai que « les plus grandes courses internationales de voile étaient toujours organisées au large des côtes pour avoir des compétitions aux conditions de vent et de courant optimales. Les arbitres officiels étaient très centrés sur cette question. Mais les fédérations ont en quelque sorte voulu tirer la sonnette d’alarme, pour signifier qu’en continuant ainsi, les épreuves de voile risquaient de ne plus se retrouver aux Jeux car pas assez médiatiques. Les fédérations ont donc souhaité rapprocher les courses et régates du bord de mer et des côtes, de façon à ce que le public puisse enfin voir le spectacle de la terre dans de bonnes conditions. Les débats ont été nombreux et longs. Plusieurs acteurs de la voile et de nombreux grands ports étaient contre. Mais le comité international olympique a adopté la position prise par la fédération internationale de voile pour travailler dans cette direction. »

Didier Réault, qui a porté au nom de l’ancienne majorité municipale à la Ville de Marseille le dossier de candidature pour accueillir les épreuves de voile. © Département des Bouches-du-Rhône

Rendre les compétitions de voile plus attractives

Le choix de la future Marina olympique (1) devait ainsi répondre pour la première fois à cette nouvelle considération : trouver un site sur le littoral pour rapprocher – dans tous les sens du terme – le public des navigateurs. A l’époque, Marseille était loin d’être seule en course pour accueillir les épreuves de voile JO. La Rochelle, Le Havre, Vannes et le voisine varoise, Hyères, espéraient elles aussi décrocher la timbale.  » Nous avions pris de l’avance dans la préparation du dossier, en le travaillant dans ce nouvel esprit, en collaboration étroite avec la fédération française de voile, explique Didier Réault. On a été dans l’anticipation en proposant un dossier  en lien direct avec la base nautique du Roucas-Blanc, créé dans les années 1960 par Gaston Defferre. Et je peux dire que c’était visionnaire, à l’époque, d’imaginer cet espace dédié à la voile en rade Sud. Dans notre dossier, un élément médiatique important a été mis en avant : l’aménagement d’une tribune sur la corniche. Nous sommes allés défendre notre dossier avec Dominique Tian devant les responsables et le jury de Paris 2024, et il a été retenu à l’unanimité car il présentait toutes les caractéristiques, que ce soit en termes sportifs ou d’accueil du grand public. A l’époque, il fallait une tribune d’une capacité de 5000 places payantes pour pouvoir répondre au cahier des charges. Avec un autre élément central : une base permettant d’accueillir l’ensemble des moyens nautiques pour la compétition. »

L’obtention des JO a été l’occasion de pouvoir enfin réorganiser la base nautique du Roucas-Blanc

Une fois la victoire acquise, en septembre 2015, Didier Réault et l’ancienne équipe municipale ont lancé un appel d’offres pour désigner le maître d’œuvre et le cabinet d’architecte de la future Marina olympique. « Nous avons tout de suite voulu inscrire ce projet avec dans une démarche d’héritage, poursuit-il, car nous avions au Roucas-Blanc une base nautique où chacun avait son petit bungalow par ci, son petit équipement personnel par là… Des activités diverses et variées, mais mal organisées à l’arrivée sur le plan d’eau. Il fallait en quelque sorte bouger tout cela, pour arriver à définir un cadre normal qu’il était assez compliqué d’imposer jusque là… L’obtention des JO a justement été l’occasion de réorganiser tout cela, en créant un véritable stade nautique fonctionnel, qui puisse accueillir davantage de pratiquants et mieux répondre à l’organisation des différentes activités nautiques. » L’appel d’offres était d’ailleurs très axé autour de cette idée.

Une vue aérienne de la future Marina olympique sur le site du nouveau stade de la base nautique du Roucas-Blanc qui devra être prête et livrée dans le courant du second semestre 2023. © Cabinet Carta et associés.

Un projet retenu beaucoup plus adaptable que les autres plus massifs

C’est donc le projet de Roland Carta et Jacques Rougerie qui a été retenu. « Les deux architectes sont de grands connaisseurs, assure Didier Réault. Roland Carta connait parfaitement la ville et la base nautique et Jacques Rougerie le monde marin et les infrastructures liées à la mer et au littoral. Les deux étant associés, ils ont pu proposer un projet qui s’intégrait au mieux à la topographie du site et assez modulable pour répondre à cette volonté d’ouverture au public. Il était aussi plus adaptable, sans négliger l’après-compétition et l’avenir de cet équipement qui sera laissé en héritage, conformément à notre volonté et à celle de l’Etat à travers le comité d’organisation.« 

Après les Jeux, la nouvelle base nautique du Roucas-Blanc devrait en effet regrouper, sur 2,2 hectares, un centre municipal de voile rénové et modernisé, le pôle France de voile, les locaux de l’unité de sécurisation et de protection du littoral de la police nationale (USPL). Le projet de modernisation doit également renforcer le lien entre la Marina et la plage du Petit-Roucas, au sud du site. Cette plage sera utilisée lors des JO pour la mise à l’eau des kite-surf et des planches à voile.

Un héritage post JO bien défini avec un accès plus facile au grand public

Une fois les compétitions olympiques terminées, Didier Réault souhaiterait que la base du Roucas-Blanc s’ouvre à la pratique nautique en soirée, toujours dans l’idée d’attirer un public plus large et de développer cette activité.

Du côté du Comité d’organisation des Jeux Olympiques (COJO) et de la fédération française de voile, l’idée était de laisser à disposition un outil au service de la haute performance, mais aussi accessible au grand public, au monde associatif, aux jeunes et aux personnes handicapées.

Pour le moment, un budget de construction de 37 millions d’euros

Conduite dans le respect du cahier des charges du CIO et sous la supervision de la société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo), la construction de la Marina devrait coûter 37 millions d’euros, dont 28 à 30 millions pour les bâtiments et 7 à 9 millions pour les équipements nautiques. La ville de Marseille règlera un quart de la facture, l’Etat mettra 5 millions et la Solideo 2 millions supplémentaire, auxquels s’ajouteront la participation du Département des Bouches-du-Rhône, de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de la Métropole Aix-Marseille-Provence.

Une vue de la mer de la future Marina olympique et du nouveau stade de la base nautique du Roucas-Blanc. © Cabinet Carta et associés

Roland Carta :  » un site doit savoir répondre à un contexte, à une confrontation »

Pour le duo d’architectes vainqueur, il s’agit maintenant de construire ou rénover près de 7 500 m² de bâti et 17 000 m² d’espaces extérieurs, en vue d’accueillir les sportifs et de stocker les planches et embarcations de sécurité. Voulues pérennes, les installations doivent permettre de doubler la capacité actuelle d’accueil des bateaux, en passant de 300 à 600.

Les travaux ont débuté il y a seulement quelques semaines.  » Comme tout projet architectural, celui-ci doit être une réponse à un programme précis « , rappelle l’architecte Roland Carta. Selon lui, « un site doit savoir répondre à un contexte, à une confrontation. Il est aussi une réponse liée à la personnalité de l’architecte. » Pour le futur site olympique, il estime ainsi que « le projet doit s’incarner dans le lieu où il nait. Soit pour conforter des dispositifs existants, soit pour venir en rupture par rapport à ses dispositifs. Toute la difficulté d’un tel l’exercice est à la fois de s’inscrire et de se signaler. D’être repérable dans un site sans l’abimer, le dégrader. Pour cela, il faut tout mettre en œuvre pour en comprendre les lignes fortes et savoir les compléter par quelque-chose de nouveau. »

L’architecte Roland Carta, © Cabinet Carta et associés

« Nous sommes sur cette tension, cette rupture, cette limite entre la terre et la mer »

« Au Roucas-Blanc, nous sommes sur un lieu où se réunissent à la fois l’horizon et la ville, poursuit-il. Nous sommes sur cette tension, cette rupture, cette limite entre la terre et la mer. Il a fallu réfléchir et penser à la construction, sur un endroit aussi sensible où viennent se réunir toute la roche, le stampien marseillais, et notamment cette grande colline du Roucas-Blanc qui veut dire « rocher blanc », avec l’idée de ce rocher qui s’élève. On est ici à la frontière entre le rocher et la pleine fluviale de l’Huveaune. A cette réunion dans ce grand paysage dominé par la roche. »

Le projet a dû s’accommoder de deux constructions majeures du siècle dernier : les plages du Prado, créées avec la terre extraite du chantier du métro, et la Corniche. « Il fallait fluidifier sur place la circulation, tout en trouvant une solution à l’utilisation et la gestion de ces quantités astronomiques de déblais », se souvient Roland Carta.

L’entrée ouverte de la Marina et futur base nautique du Roucas-Blanc qui donnera sur la Corniche. © Cabinet Carta et associés

Une base plus ouverte, pensée en particulier pour les enfants et une « éducation culturelle maritime »

Les plages et la Corniche, « quand on les regarde, on retient le fait d’être à la fois entre la terre et la mer, ce qui relève de la géographie, et entre la Corniche et les plages, ce qui relève de l’histoire bâtie de la ville, explique l’architecte, soulignant que notre projet doit savoir reconnaitre ce double contexte : terre-mer, plage-rocher. » Dans l’esprit de Roland Carta, la Marina doit susciter après les Jeux une sorte de « nouvelle éducation culturelle maritime » pour les générations à venir.

Une forme générale qui s’articule « en rotonde » autour du plan d’eau

Les grandes lignes du programme devaient « garantir un très haut niveau de sécurité à l’intérieur du stade nautique et permettre l’accueil des fonctions spécifiques, à l’image de la zone réservée aux médias. Savoir intégrer la base à la morphologie du fonctionnement du parc balnéaire du Prado, préserver la butte paysagère entre la plage du Petit-Roucas et le pôle France de voile », notamment pour une meilleure intégration dans l’environnement.

La polyvalence des six bâtiments de la future Marina se matérialise dans la forme générale « en rotonde » autour du plan d’eau, « avec six séquences ou bâtis, dont un espace réservé à la division technique, un autre pour la direction de la mer, un accueil de l’encadrement pédagogique, un magasin de stockage du matériel et des vestiaires, un espace pour le pôle France de voile. » Précision importante : ce sont principalement « des bâtiments d’ajout », répondant par la forme « à des grands porte-à-faux » chapeautés par « une toiture qui ondule, comme une plage, et de la même façon que la Corniche est un grand porte-à-faux par rapport à l’eau. »

 » On est dans la juste mesure, le nombre de mètres carrés ne signifie rien »

Sur la question écologique, Roland Carta pèse un peu plus ses mots. « On est dans la mesure juste, estime-t-il, par rapport à l’échelle maritime, à celle du vent. Ne cherchons surtout pas à parler de chiffres et du nombre de mètres carrés ! Pour moi cela ne sert à rien, ne signifie pas grand-chose… Le plus important est de savoir comment vient s’intégrer l’équipement. L’essentiel à retenir pour l’imaginer et le comprendre est qu’il soit très horizontal, presque furtif, invisible. »

Question délais, le cap est fixé depuis le départ. La nouvelle Marina doit ainsi être livrée dans le courant du second semestre 2023, afin de laisser aux navigateurs la possibilité de découvrir les installations et le plan d’eau un an avant les JO.

« Il faut maintenant bâtir la réalité sur l’espoir que cette candidature réussie a fait naitre »

Pour Roland Carta, ce projet dialogue aussi avec sa propre histoire. « Mon père est né en 1924, date des derniers JO à Paris, raconte-t-il. Ma famille italienne est arrivée ici par la mer. Vous comprendrez que tout cela fait écho en moi, c’est à cela aussi que j’ai pensé. C’est par la rencontre de la terre, de la mer et des hommes que sont nés les ports. Et à Marseille, rien n’aurait exister sans la voile, sans les marins et la mer, qui ont été les véhicules de la création de la ville et de son développement commercial. Je suis en plus très admiratif des exploits maritimes de mes nombreux amis marins. D’ailleurs, mon associé au cabinet d’architecture, Jacques Rougerie, est pour sa part un véritable marin. Il est en quelque sorte immergé, et moi, j’essaye de faire le rapport entre la terre et la mer. »

Tony Estanguet, Président du comité d’organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024. @KMSP/Paris 2024

Tony Estanguet convaincu

Lors de sa visite à Marseille, fin mars, Tony Estanguet, le patron du COJO, a validé ces options et insisté sur l’esprit de collaboration qui animait ses équipes et celle des Marseillais en charge des épreuves de voile. Après les tensions apparues dans la foulée des élections municipales de juin 2020 entre la nouvelle équipe municipale et le COJO sur le financement de la Marina, un terrain d’entente a semble-t-il été trouvé. « C’est un symbole très fort que Paris et Marseille travaillent ensemble à la réussite de ces jeux« , a ainsi souligné l’ancien champion olympique de kayak, insistant aussi sur les dix matches de football du tournoi olympique programmés au stade Vélodrome. « On est prêts ! lui a aussitôt assuré Renaud Muselier, président de la Région Sud-Paca, selon qui les échecs passés sur les JO ont fabriqué la victoire d’aujourd’hui. » Une victoire qui devrait également profiter au tissu économique local, puisque selon lui, « pour 1 euro investi dans l’organisation de ces JO, on estime entre 8 et 10 euros les retombées induites. » De quoi faire définitivement oublier les heures sombres de la pandémie.

Bruno Angelica

– (1) : Le nom de la « Marina » est donné par le CIO à tous les sites de voile des différentes olympiades d’été.

  • (2) : Ce projet de tribune a finalement été enterré début 2022 par la nouvelle équipe municipale pour des raisons de coût.

Photo de une : la nouvelle Marina olympique dessinée par le duo d’architectes Roland Carta et Jacques Rougerie, ouverte sur la Corniche avec une vue aérienne au niveau du futur rond-point qui sera aménagé au croisement entre la Corniche et la rue du Commandant Rolland dans le 8ème arrondissement de Marseille. © Cabinet Carta et associés.

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