Un peu plus d’une semaine après l’ouverture des offres de reprise du groupe La Provence devant le tribunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis), une étape importante pour l’avenir de l’entreprise et de ses 850 salariés se joue aujourd’hui à Marseille.
Cest en effet dans la journée que sont convoqués les trois comités sociaux et économiques (CSE) du groupe (1), où les offres des deux candidats repreneurs doivent théoriquement être présentées aux représentants des salariés. Théoriquement, car l’ordre du jour transmis le 18 février aux membres de ces trois CSE et à leurs avocats n’en mentionne qu’une, présentée comme « la mieux disante » par le mandataire liquidateur.
En l’occurrence celle de Rodolphe Saadé, patron de la compagnie maritime CMA-CGM, qui propose effectivement 81 millions d’euros pour le rachat des 89% du capital de La Provence jusque là détenus par Bernard Tapie, contre 20 millions pour Xavier Niel à travers NJJ, sa holding personnelle.
Affrontement sur le terrain judiciaire
Cette dernière offre pourrait donc ne pas être soumise pour avis aux salariés, en fonction du jugement que doit rendre ce matin le tribunal judicaire de Marseille, saisi en fin de semaine dernière par une partie des représentants du personnel.
Me Elise Brand, l’avocate du CSE de La Provence, a ainsi plaidé lundi 21 février, réclamant que le projet de reprise de NJJ soit présenté conjointement à celui de CMA-CGM. « Ce n’est pas une revendication, c’est le droit, justifie-t-elle, rappelant que lors d’une cession d’entreprise, toutes les offres doivent être soumises dans le cadre de la procédure d’information et de consultation des salariés, qui n’est pas une option mais une obligation. »
Avis consultatif des salariés
A l’issue de cette procédure, les salariés peuvent émettre un avis sur chacun des projets de reprise, éventuellement dire leur préférence, mais cela demeure purement consultatif. Car la décision finale appartient bel et bien aux mandataires liquidateurs nommés par le tribunal de Bobigny, qui semblent pencher déjà en faveur de l’offre CMA-CGM.
Ce qui a le don d’agacer les représentants des journalistes de La Provence, qui souhaitent non seulement examiner dans le détail les deux projets, mais également les faire analyser par un expert aux frais de l’entreprise avant de se prononcer, comme le loi leur en donne le droit.
L’avenir de l’entreprise plutôt que le prix d’achat
« Ce qui nous importe, c’est moins le prix proposé pour racheter le journal que le projet industriel et les engagements du futur repreneur sur le volet social, insiste Marie-Cécile Bérenger, journaliste et élue CFDT au CSE de La Provence. Même si nous savons que la somme proposée est un élément important pour les créanciers du Groupe Bernard Tapie, ajoute-t-elle, nous souhaitons que le choix se fasse en tenant compte surtout de la pertinence du projet de reprise et la pérennité des emplois à moyen et long terme. »
La Corse favorable à CMA CGM
Une volonté que ne partagent pas l’ensemble des personnels du groupe. Dans un communiqué diffusé le 23 février, les syndicats FO de Corse Matin Publicité, d’Eurosud Provence, de Sud Presse Distribution, de Corse Presse, de Corse Distribution et la CGT Corse Presse, se déclarent sans ambigüité en faveur de Rodolphe Saadé. « La candidature de CMA CGM offre un plus grand nombre de garanties en matière de maintien des emplois, d’investissements, de connaissance de nos territoires respectifs et les plus grandes perspectives de développement, écrivent-ils, déclarant être vis-à-vis de cette offre clairement et ouvertement plus favorables. (…) Les CSE, pour leur part, dans un second temps, dans le cadre de l’info-consultation prévue, auront à rendre leur propre avis. »
Xavier Niel dispose encore de solides atouts
Il n’empêche : quelles que soient les prises de position en interne et la décision que rendra ce matin le tribunal judiciaire de Marseille, ce n’est pas aujourd’hui que l’on connaîtra le nom du prochain patron de La Provence et de ses satellites.
Parce qu’il possède déjà, depuis 2019, 11% du capital du groupe de presse marseillais, Xavier Niel reste en effet dans la course. Il dispose encore de solides atouts, même s’il n’a pas (encore) joué du plus solide d’entre eux : son droit de préemption sur les 89% restants, qu’il aurait pu exercer le 15 février lors de l’ouverture des offres, mais au prix d’un alignement sur la proposition financière de Rodolphe Saadé.
La question du droit d’agrément
Un autre de ses atouts, c’est le droit d’agrément qu’il avait obtenu à son entrée dans le capital de La Provence, autrement dit un droit de véto sur tout nouvel actionnaire. Mais il ne pourra en jouer que si, le 28 mars, il obtient en appel la levée de sa suspension, prononcée en janvier par le tribunal de commerce de Marseille, à la demande des liquidateurs, Xavier Brouard et Marc Sénéchal.
Troisième carte potentiellement maîtresse : l’actuel conseil d’administration du groupe La Provence, où Xavier Niel tient deux des cinq sièges et auquel l’offre de CMA-CGM devra être soumise pour validation. Sur les trois administrateurs restants – Jean-Christophe Serfati, le Pdg de La Provence, Stéphane Tapie, le fils de Bernard, et le journaliste Franz-Olivier Giesbert -, le second s’est déjà déclaré en faveur du projet NJJ , alors que le troisième, entré à La Provence à la demande de Bernard Tapie, ne devrait pas jouer contre ce qui fut longtemps de son camp.
Garanties sur l’indépendance éditoriale
Dernier argument, capital pour de nombreux journalistes : à la différence de Rodolphe Saadé, qui n’a aucun passé dans les médias, le magnat des télécoms est déjà propriétaire (ou copropriétaire) de nombreux titres de presse (2), un domaine où il investit de façon très importante depuis une douzaine d’années. Sans y atteindre les mêmes niveaux de rentabilité que dans son cœur de métier, mais sans catastrophe industrielle ou sociale non plus.
Et sans se mêler des choix éditoriaux de ses rédactions, ce qui rassure plutôt les journalistes de La Provence. Pour autant, cette « identité d’actionnaire professionnel, soucieux de l’indépendance éditoriale des titres », revendiquée dans un communiqué le 15 février, est une arme à double tranchant. Les syndicats favorables à CMA-CGM y voient ainsi un danger : « la concentration des médias (…) objet de l’enquête menée actuellement par une commission au Sénat (…), et qui fait encourir le risque d’une information aux citoyens peu plurielle. »
Eviter les procédures interminables
Au-delà de ces arguments, ce que redoutent le plus la plupart des syndicalistes, quelle que soit leur position, c’est que le combat des deux prétendants renvoie aux calendes grecques la fin du processus de rachat, compromettant ainsi l’avenir de l’entreprise et de ses salariés. « Notre obsession, c’est que l’on revienne à une procédure normale et que le choix se fasse vite, dans l’intérêt des salariés et du repreneur », martèle Julia Sanguinetti, déléguée FO en Corse. Qui espère aussi que la bataille ne finira pas dans l’arène judiciaire, retardant un peu plus – voire beaucoup plus – l’arrivée du nouveau patron et de son gros chéquier.
- (1) : Ceux de La Provence, de la régie publicitaire Eurosud et de Corse Presse, filiales à 100% du quotidien marseillais.
- (2) : Notamment Le Monde, Télérama, Courrier International,Huffington Post, Nice-Matin, Var Matin, France-Antilles…
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