La médecine de demain se dessine aujourd’hui

La journée de la santé et de l’espace organisée le 31 mars à l’hôtel de Région de Marseille a été l'occasion de faire le point sur les nouveaux paradigmes de la médecine du futur

Santé

Il se rue dans la salle, désolé d’être en retard. Sur son front, un carré en plastique bleu collé comme un patch. Dans ses mains, une poupée, un petit bébé emmailloté dans des langes, avec le même carré bleu fixé sur la tempe. 

« Je m’appelle Mohammed, lance-t-il, et quand mon neveu est né, il était prématuré. En le voyant si petit, avec tous ces fils qui sortaient de son corps minuscule, j’ai eu l’idée de créer un patch connecté, qui prend les constantes du bébé et qui les retransmet sur un téléphone ou une tablette. Son rythme cardiaque, son taux d’oxygène…etc. Depuis, je travaille avec la Marine nationale. Ils se disent qu’ils pourraient placer mes patchs sur le front des plongeurs, par exemple. Alors, je me suis dit : pourquoi ne pas travailler aussi avec les astronautes et envoyer des patchs dans l’espace ? »

A l’occasion de la journée dédiée à l’espace et à la santé à l’hôtel de région Marseillais, le 31 mars, Mohammed a présenté ses patchs connectés au Centre national d’études spatiales (Cnes). Il aimerait faire partie de toutes ces start-up épaulées chaque année par ce centre de recherche, qui finance et partage ses données avec les entrepreneurs les plus innovants de la région sud. Les vols habités sont l’occasion de tester des choses qui vont changer notre qualité de vie sur terre, Mohammed en est convaincu.

Alors, il le dit lui même : pourquoi ne viserait il pas la lune ? Dans la salle de presse, tout le monde sourit poliment. Bernard Kleynhoff aussi, président de Rising Sud. Il porte lui même deux montres ; une qui donne l’heure, l’autre qui est connectée. En plus de lui transférer des sms, comme le patch de Mohammed, elle prend aussi son pouls. 

En orbite comme sur la terre, les nouvelles technologies médicales créent un nouveau monde, un monde aussi fascinant qu’inquiétant, pour lequel on embarque seulement en troquant nos anciennes certitudes contre de nouvelles intuitions. En voici quatre qui d’ores et déjà, changent la donne.

1) Mon corps n’a plus de limites 

Il n’a plus de limites parce qu’il est connecté. A mon téléphone. A un ordinateur. A quelqu’un d’autre. Mon corps ne s’arrête plus à la frontière de ma peau ; il déborde d’informations qui peuvent sauver ma vie. Par exemple, un satellite peut désormais détecter et localiser une chute dans les calanques via une montre connectée et prévenir les secours et les contacts d’urgence d’un individu. Une vie sauve, un pied de nez au destin et de gigantesques quantités de données qui s’accumulent sur chacun. Que l’on peut récolter. Que l’on doit récolter ? 

Dans le hall de l’hôtel de région, une jeune start up aixoise présente Ocigo, un éthylotest connecté nouvelle génération. Il permet de mesurer son taux d’alcool et de l’envoyer sur une application qui nous informe aussi sec de notre état et de nos capacités après un verre ou deux. Selon notre localisation, la Belgique ou le Burkina Faso, il nous dira si on est autorisé à conduire par les lois du pays. « Il peut aussi centraliser les résultats de plusieurs tests sur un seul téléphone, explique son créateur. Par exemple celui d’une entreprise de transports routiers qui aurait une flotte de chauffeurs. Le manager peut visualiser en temps réel, avec un système de reconnaissance faciale, l’état d’alcoolémie de tous ses chauffeurs sur la route ».  

Depuis l’espace, déployé en des milliers de satellites, un gros oeil semble fixé sur nous. Il prend soin de nous, vérifie nos constantes, nous surveille. 

2)  «  En bonne santé », ça ne veut plus rien dire

Non, je ne suis pas en « bonne » santé. J’ai des « facteurs de risque ». Mon génome sait des choses de moi que je ne sais pas encore. A l’aide d’algorithmes, la médecine se risque à prédire, à faire des probabilités, à ébaucher des scénarios. Le concept même de « santé » semble se dérober. Le corps, cartographié, est une zone de conflit latent où se tiennent en embuscade des amorces de maladie et des dégradations possibles. Une hypothèse prend forme : serions-nous tous génétiquement malades avant de l’être cliniquement ? 

En ce sens, l’université d’Aix-Marseille propose désormais un parcours d’étude en conseil génétique et médecine prédictive. Aujourd’hui, on peut diagnostiquer une maladie rare avant la naissance et commencer à traiter un bébé pour qu’il ait une vie normale. Autorisée après la naissance, cette médecine offrirait des possibilités vertigineuses, qui questionnent sur le plan déontologique et éthique. Est-ce que posséder des gènes à risque pourrait empêcher d’être promu au travail ? De faire un prêt bancaire, de souscrire une assurance vie ?  Est ce qu’un gène, en plus de mettre en péril une vie humaine, pourrait menacer également une vie sociale? 

3) Les machines savent mieux que nous 

L’intelligence artificielle progresse. Elle analyse les résultats, propose des diagnostics, envisage des traitements. Luna, par exemple, est une application aixoise qui permet de rentrer ses symptômes, de les mesurer et de diagnostiquer une éventuelle endométriose.

Mask’air  propose aux Marseillais de monitorer leurs allergies sur leur portable. L’humain est capable d’erreur, mais pas l’ordinateur. Les nouvelles intelligences permettent de faire de la médecine de précision, individualisée, dite « personnalisée ». Une médecine avide de données, où l’expérience humaine du médecin disparaît au profit de l’expertise technologique. 

A la clinique de Provence, on teste l’acheminement des poches de sang par drone et des comptoirs robotisés circulent dans les hôpitaux pour la répartition des médicaments et du matériel. Il y a 13 km entre l’Etablissement français du sang de la clinique de Provence. Mais 13 km, qu’est ce que ça veut dire ?

Un vendredi vers 17h, 13 kilomètres peuvent devenir 2h30. « Pas pour un drone », explique Marc Pavageau, le directeur de la société aixoise Lifelines, qui commercialise le dispositif. Un drone ne peut pas être en retard, un robot n’a pas le droit de rater, et ainsi, on sauvera encore plus de vies. 

De la chirurgie assistée par ordinateur au robot compagnon des personnes fragiles, en passant par l’aide à la décision, les IA prennent en main l’humain, nous invitant à repenser l’organisation des soins et poussant le système soignant vers des modalités de plus en plus plus industrielles, amenant la surveillance, les normes et l’obéissance à des niveaux inégalés. 

4) On ne guérit plus, on améliore. 

L’objectif se transforme : il ne s’agit plus de guérir, de réparer, de retrouver l’état d’avant la pathologie, mais d’augmenter et d’améliorer. Et le moyen le plus efficace de faire cela, c’est d’hybrider le corps. Avec toute sorte de chose. Des organes différents (transplantations), des machines (prothèses, implants, stimulateurs), des cellules (souches), des gènes, des molécules ou encore des bactéries. 

Si on regarde bien, le corps augmenté existe déjà. Dans la plus proche de nos salles de sport, certains athlètes de la région utilisent des substances qui permettent d’intervenir sur les organes moteurs par augmentation de la masse musculaire et de la physiologie de l’effort. Une hôtesse de l’air de Marignane pourra elle quant à elle utiliser une substance qui modifie ses besoins de sommeil pour adapter son rythme de travail.

Et une élève de classe prépa à Aix, un médicament qui optimise la concentration ou la mémoire. Le recours à ces drogues est aujourd’hui fréquent. Il est subordonné à une quête systématique de la performance. La médecine de demain veut nous rendre exceptionnels, surhumains, éternels. 

Une utopie permanente est en marche, celle du mouvement pour le mouvement avec pour horizon une humanité augmentée, améliorée, qui semble oublier au passage qu’on peut changer les gènes, les organes, les technologies, mais que ce qui reste, inéluctablement, c’est la finitude. 

Et pourtant…

Dans un mouvement de balancier, on n’a jamais autant observé d’élans ni d’enthousiasme pour des médecines naturelles, traditionnelles ou encore alternatives. Comme des petits pains, se vendent les conseils de nos grands mères pour la toux, les séances de reiki, les retraites en ashram, ou les cours de yoga. Serions nous tombés dans une forme de schizophrénie ?

On pourrait penser que plus la médecine se technicise, plus le corps est ramené à ses équations et ses processus chimiques, plus l’humain se sent boudé et se lance dans une quête de sens. A l’herboristerie du Père Blaize, en plein Marseille, une longue file de patients attend de parler aux préparatrices spécialistes des plantes. Leur tour venu, ils se racontent, un peu comme on le faisait naguère auprès d’un médecin généraliste.

Les préparatrices se consultent et reviennent avec des potions aux vertus surprenantes. « Je me souviens d’un cas, raconte Cyril Coulard, une femme qui souffrait terriblement au niveau du ventre. On l’avait envoyée à l’hôpital faire des prises de sangs, des IRM… aucun instrument de diagnostic ne comprenait ce qu’elle avait. Puis, on a fini par appeler un bon vieux médecin généraliste qui a soulevé son tee-shirt et a reconnu un zona sur son ventre. Aucun de ces algorithmes n’avaient pensé à l’examiner. » 

Se positionner pour ou contre la médecine de demain semble un faux débat. Les mêmes poignets connectés sont ceux qui portent des tapis de yoga, dans un élan qui semble vouloir prendre le meilleur des deux mondes. Et c’est d’accord. Après tout, qui nous empêche de vivre dans un monde où on opère à distance un marin sur un porte conteneurs avec un robot chirurgical et où la toux se soigne avec une bonne vielle branche de thym ? 

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