La Région Sud ambitionne de devenir le premier hub hydrogène d’Europe du Sud (3/5)

La présence d’un tissu industriel performant et implanté de longue date, des infrastructures portuaires compétitives et reconnues, un ensoleillement envié par les autres régions et une façade maritime propice à développer les différents usages de l'hydrogène... Les atouts de Provence-Alpes-Côte d'Azur sont considérables pour booster la filière et en faire un pilier du développement économique régional de la décennie à venir. C'est en tout cas l'ambition

Economie

C’est désormais entendu : la Région Sud ambitionne de prendre le leadership, en France et dans le Sud de l’Europe, dans le développement de la filière hydrogène, qui porte de sérieux espoirs en termes de décarbonation et d’indépendance énergétique. Plusieurs acteurs prépondérants de la filière ont décidé d’y travailler ensemble : Anne-Marie Perez, la directrice générale du pôle de compétitivité Capenergies, Georges Seimandi, le délégué territorial de GRTgaz Rhône-Méditerranée, porteur du projet « Jupiter 1000 », et Lionel Rivière, le directeur de la valorisation du patrimoine et de l’innovation au Grand Port Maritime de Marseille-Fos, nous expliquent les ambitions dans la filière.

Faire émerger des solutions innovantes pour la transition énergétique en animant tout un écosystème et en accompagnant les entreprises du territoire pour trouver des financements à l’échelon français et européen… Le pôle de compétitivité Capenergies, dirigé par Anne-Marie Perez, également à la tête de l’association France Hydrogène dans la région, est la pierre angulaire du développement de la filière hydrogène sur le territoire, sur lequel il travaille depuis 2016. Son rôle est de mettre du du liant entre les utilisateurs, les collectivités, les ports et les différents acteurs, des start-up aux grandes groupes présents en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Capenergies, un booster de projets pour le territoire

Depuis les premiers projets accompagnés, il y a 6 ans, Capenergies n’a pas cessé d’intensifier ses efforts pour aller chercher des financements. Il s’inscrit d’ailleurs pleinement dans la stratégie d’accélération impulsée en 2020 par l’Etat, avec une nouvelle vision à 2030 pour l’hydrogène.

 » Nous devons permettre l’émergence de projets en faisant se rencontrer les offres et les demandes, en activant des synergies pour que les prix baissent, notamment, rappelle Anne-Marie Perez, qui estime aujourd’hui la filière hydrogène «  dans la même situation que le solaire ou le véhicule électrique il y a 15 ans. Selon elle,  ce n’est que le début du lancement d’une filière que nous devons rendre d’excellence, pour réduire en premier lieu l’impact carbone des industries. Dans ce but, il faut réussir les premiers projets, convaincre les populations et bien expliquer les bénéfices de la démarche. Les premiers débats publics ont d’ailleurs démarré cette année. »

GRTgaz, acteur majeur de la filière en France et dans la région

Histoire de signifier davantage son ambition en matière du développement de la filière, GRTgaz a créé sa propre direction hydrogène en 2021. Car selon le groupe gazier, « l’hydrogène jouera dans le futur un rôle majeur dans la décarbonation de l’industrie et des transports, comme en témoignent les premiers enseignements de la consultation nationale hydrogène toujours en cours et lancée par GRTgaz avec Teréga en juin 2021. »

Une nouvelle direction est aujourd’hui l’interlocutrice des partenaires producteurs et consommateurs, afin d’accompagner le développement des bassins hydrogène et des réseaux de transport qui les soutiendront. Anthony Mazzenga, directeur national du programme « gaz renouvelables » de GRTgaz, à la tête de la nouvelle direction hydrogène, insiste « sur la volonté des pouvoirs publics français et européens de déployer leur stratégie, par les projets concrets de production et de consommation qui se développent dans toutes les régions. »

GRTgaz entend soutenir « l’ensemble des porteurs de ces initiatives pour proposer les meilleures solutions de transport ». L’entreprise est convaincue que le développement de l’hydrogène « passera par la disponibilité d’une infrastructure capable d’en transporter et d’en stocker de grandes quantités, reliant les zones de production à la consommation, tant à l’échelle locale et nationale qu’au niveau européen. »

Deuxième transporteur européen avec ses 32 500 kms de canalisations et ses 640 TWh de gaz transportés, GRTgaz compte 3000 salariés et a réalisé 2,3 milliards d’euros de CA en 2020.

Objectif à 30 ans : 100 % du gaz transporté renouvelable, bas carbone et produit localement

Georges Seimandi, le délégué territorial de GRTgaz sur la grande zone Rhône-Méditerranée regroupant Auvergne-Rhône-Alpes, Paca et Bourgogne-Franche-Compté. ©GRTgaz

Délégué territorial du groupe sur la grande zone Rhône-Méditerranée, qui regroupe Auvergne-Rhône-Alpes, Provence- Alpes-Côte d’Azur et Bourgogne-Franche-Compté, Georges Seimandi estime que pour atteindre les objectifs en matière climatique, « toutes les solutions sont bonnes à prendre, rappelant que GRT gaz s’est clairement positionné en disant : si l’hydrogène – car il y a encore un si –  doit prendre une place importante dans le mix énergétique français, alors le réseau de transport de gaz a un rôle à jouer, l’hydrogène étant un gaz. Et pourquoi a-t-il un rôle à jouer ? Parce qu’à l’image du gaz naturel et de l’électricité, il y a toujours la nécessité de mettre en relation producteurs et consommateurs à travers un réseau de transport mutualisé et régulé, piloté par un opérateur avec une mission de service public. »

D’ici à ce que le « si » soit levé, le réseau de transport de gaz devra toutefois être apte à transporter de l’hydrogène, ce qui pose un certain nombre de défis techniques. Selon Georges Seimandi, GRTgaz mettra « tout en œuvre pour que dans les trente ans, 100 % du gaz que l’on transporte soit à la fois renouvelable, bas carbone et produit le plus possible localement. »

« Jupiter 1000 » : le premier démonstrateur industriel de « power to gaz »

Ni producteur, ni consommateur d’hydrogène, GRTgaz souhaite néanmoins contribuer au développement de la filière, avec notamment de gros investissements en recherche & développement. C’est la cas du site « Jupiter 1000 », qui a poussé sur le port de Fos Marseille, comme « une brique de la contribution et des efforts en R & D de l’entreprise afin que l’hydrogène arrive. »

Cliquez ici -pour découvrir le projet Jupiter 1000 de GRTgaz

Installé depuis 2018 mais imaginé dès 2013, ce site est le premier démonstrateur industriel de « power to gaz ». « Nous pouvons y expérimenter différents types de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau », détaille Georges Seimandi, précisant que le Jupiter 1000 dispose de « plusieurs types d’électrolyseurs qui produisent de l’hydrogène avec des caractéristiques différentes. On y teste l’injection d’hydrogène dans les réseaux de gaz, mais aussi la captation de CO2 dans les cheminées des industriels de Fos. On teste également la combinaison de ce CO2 avec de l’hydrogène pour faire du méthane bas carbone, comme tous les modèles économiques qui permettront d’arriver à un hydrogène bon marché. »

Jupiter 1000 permet aussi de tester le stockage de l’électricité sous forme de gaz vert. « l’électricité solaire et éolienne est par nature variable, rappelle Georges Seimandi, et quand nous n’avons pas de vent ni de soleil, ou quand nous n’avons pas de besoin en électricité, il est dommage de gaspiller cette électricité très vertueuse, car renouvelable. C’est pourquoi nous proposons de la stocker sous forme de gaz vert. »

https://www.youtube.com/watch?v=gZ1gIM7xSKo&t=9s

 » L’hydrogène ne se trouve pas dans la nature, comme le charbon, le pétrole ou le gaz. Il faut le produire « 

L’esprit « jupitérien » est aussi de trouver, avec la filière hydrogène, une arme supplémentaire dans la lutte contre le réchauffement climatique. « Car il n’y a pas une seule solution miracle, estime Georges Seimandi, mais l’hydrogène peut faire partie des solutions, mais sous réserve qu’il soit produit avec de l’énergie bas carbone. Car l’hydrogène ne se trouve pas dans la nature, comme le charbon, le pétrole ou le gaz. Il faut le produire, et avec de l’électricité bas carbone. Au regard de l’actualité en Ukraine, on se rend compte que cette idée est excellente puisque l’hydrogène peut être produit localement, sans dépendre d’importations d’énergie fossile. »

Quant aux atouts de la Région Sud dans cette course à l’hydrogène, ils sont loin d’être négligeables aux yeux du patron de GRTgaz. « Nous avons d’abord ici le premier potentiel français d’électricité bas carbone avec le photovoltaïque, souligne-t-il, et cette électricité peut permettre de produire un hydrogène bas carbone. Il existe plusieurs projets, avec le HyGreen Provence à Manoque, le projet Masshylia à Châteauneuf-les-Martigues porté par Total et Engie. Ensuite, la zone industrielle de Fos-Martigues-Berre, car à l’image de tous les marchés, faciliter le démarrage d’une nouvelle filière nécessite, au départ, une grosse consommation. Cela tombe bien car la base industrielle ici est très demandeuse. Et nous pouvons aussi compter sur des pépites du côté des PME qui travaillent pour le développement de la filière. En plus de la collectivité régionale, la Région Sud, pionnière pour sortir un véritable plan dédié à l’hydrogène, ce qui a constitué un vrai plus pour nous pousser dans les premiers projets de canalisation d’hydrogène. »

L’alliance de H2V avec le Grand Port Maritime de Marseille

La société d’ingénierie indépendante H2V a annoncé en février de cette année, en même temps que son projet de production par électrolyse de l’eau au Havre, l’implantation d’une installation industrielle de production d’hydrogène vert dans le but de décarboner les activités de la zone industrialo-portuaire de Fos. Cette installation de 600 MW de puissance sera développée en 6 tranches de 100 MW entre 2026 à 2031.

H2V, filiale de la société d’investissement indépendante Samfi Invest, qui gère 1 milliard d’euros d’actifs dans l’immobilier et les énergies renouvelables, prévoit quatre ans d’études préalables : sur les questions de l’impact environnemental, la géotechnique, la concertation publique et l’ingénierie de raccordement électrique. Avec le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), elle a créé une société de projet, H2V Fos, qui investira 5 millions pour mener à bien cette étape préliminaire.

Ce projet est le plus gros investissement industriel consenti depuis la création de la grande zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer au début des années 1960. La future usine devrait produire 84 000 tonnes de gaz par an d’hydrogène renouvelable par électrolyse de l’eau et permettre d’éviter potentiellement le rejet dans l’atmosphère de 750 000 tonnes de CO2. Elle devrait aussi créer 165 emplois directs et 100 indirects.

Dans le cadre du plan France Hydrogène lancé par l’Etat et doté de 7,2 milliards d’euros

Son mode de financement n’est pas encore acté, mais l’usine devrait bénéficier de subventions de l’État pour sa construction, dans le cadre du plan France Hydrogène doté de 7,2 milliards d’euros. Hervé Martel, président du directoire du GPMM, a indiqué en janvier dernier que son déploiement devrait s’opérer dans un dialogue avec l’ensemble de l’écosystème industriel de la zone industrialo-portuaire. Selon lui, « cet hydrogène vert aura trois débouchés : la décarbonation des industries, la décarbonation des transports et le « power to gas », qui vise à capter le CO2 des industries pour faire du méthane de synthèse pour les armateurs qui s’y intéresseront. Pour l’instant, à l’horizon 2026-2027, il n’y a pas d’engagement ferme, mais la cible est bien identifiée et nous y travaillons. Pour 2031, nous sommes vraiment dans l’anticipation. »

Les visées dans le domaine sont énormes. La société H2V a en tête, « à court terme », la décarbonation des grosses industries pétrochimiques et sidérurgiques de la zone : ArcelorMittal à Fos et les raffineries Esso et Petroineos. Des mastodontes que la réglementation va contraindre à passer à l’hydrogène vert. Les trois sites pourraient à eux seuls absorber les trois quarts de la production de la future usine.

Le port de Marseille-Fos a misé sur un investissement historique de 750 millions d’euros

De son côté, le GPMM, en tant que port investisseur, prend part au capital du projet porté par H2V. En s’associant avec le spécialiste des usines de production d’hydrogène renouvelable d’envergure (100 MW ou plus), le port a misé sur un investissement historique de 750 millions d’euros. Le prix à payer pour respecter ses engagements de décarbonation de ses activités.

Le port de Marseille Fos. © GPMM

La stratégie est annoncée, la feuille de route tracée. Et si ce sont les industries sidérurgiques et pharmaceutiques qui seront les premières bénéficiaires du gaz H2 décarboné, les autorités du GPMM misent également sur une exploitation du produit pour la mobilité au cœur de l’activité portuaire. Les engins logistiques déjà en opération devraient, dès 2022, être rejoints par des camions équipés d’une pile à combustible hydrogène. Le transport maritime devrait suivre à plus long terme.

« Actuellement nous avons 10 millions de rejets de CO2 par an, dont 8 millions chez ArcelorMittal »

 » Ce qui est nouveau, c’est l’hydrogène vert, car la technologie de l’hydrogène n’est, elle, pas nouvelle  » observe de son côté Lionel Rivière, directeur de la valorisation du patrimoine et de l’innovation au Grand Port Maritime de Marseille, rappelant que   » l’hydrogène gris était déjà utilisé sur la zone, mais produit à partir de gaz et d’hydrocarbure.  L’hydrogène vert, qui n’utilise pas d’énergie fossile, entre dans une stratégie plus vaste de décarbonation, de retraitement de CO2. Avec GRTgaz, Air Liquide, Engie, nous avons déjà étudié le retraitement de CO2. Et notre région est l’une des principales en France où l’on peut trouver des applications immédiates pour l’hydrogène vert, avec Paris Île-de-France.  »

 » D’autres acteurs de l’hydrogène viendront s’installer sur la zone « 

Lionel Rivière confirme que le projet H2V Fos est à ce jour le plus gros programme dans le domaine en France, « voire en Europe« . La filière du vert est récente, mais le pionnier H2V a su convaincre les décideurs du GPMM grâce à son expérience dans le domaine.  » H2V s’était déjà installée pour 100 MW à Dunkerque, puis 200 MW au Havre, rappelle-t-il. Les 750 millions investis par le port ne peuvent pas être vus comme un pari risqué, mais comme un pari calculé, car H2V est un acteur avec déjà une grande maturité et une grande connaissance du procédé. Nous visons 600 MW, mais on compte aller plus loin.  »

 » Les leaders actuels dans la filière sont la Corée du Sud, le Japon, l’Allemagne, la France, puis le Canada « 

Selon le responsable du GPMM, la force de la politique actuelle menée en matière de développement d’hydrogène vert est d’être portée au niveau national par à la fois France Hydrogène, Capenergies et l’Etat.  » France Hydrogène considère que les points les plus importants pour pouvoir développer cet hydrogène sont les ports, se félicite Lionel Rivière. Une autre de ses recommandations est le besoin de proximité de toutes les infrastructures, qu’elles soient maritimes ou par pipe, car cela permet une meilleure circulation de l’hydrogène. Au niveau du droit français, il y a déjà plusieurs dispositions réglementaires qui viennent d’être mises en œuvre et bientôt le droit européen sur le développement de la filière doit évoluer. Nous avons donc en France de sérieux espoirs de faire partie des premiers dans le monde. A l’heure actuelle, les leaders de la filière sont la Corée du Sud, le Japon, l’Allemagne, la France, puis le Canada. »

 » Le développement de l’hydrogène ne peut se faire que sur des ports qui ont le foncier disponible « 

Dans l’optique de répondre aux attentes, Lionel Rivière pointe du doigt la question du foncier.  » Le développement de l’hydrogène ne peut se faire que sur des ports qui ont des terrains disponibles, car développer ces filières demande beaucoup d’espaces. Tous les grands ports maritimes qui dépendent de l’Etat doivent s’inscrire dans cette logique de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. H2V s’étend sur 40 hectares. D’autres projets novateurs que l’on teste en ce moment et auxquels nous croyons vont créer des besoins supplémentaires en matière de foncier. Il y a aussi toute l’infrastructure électrique qui devra suivre, car il nous faudra toujours de l’eau et de l’électricité.  »

Bruno Angelica

Photo de Une : Le site « Jupiter 1000 » situé à Fos-sur-Mer. © GRTgaz / Technivue

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