La Tunisie en grève nationale à l’appel de l’UGTT

La puissante Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a appelé les 250 000 salariés du secteur public à une grève de 24 heures jeudi 16 juin.

Economie

A l’appel de la puissante Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), le service public a observé une grève jeudi 16 juin, en réaction à la détérioration de la situation matérielle des salariés et de leurs conditions de vie.

159 établissements et entreprises publics (dont tous les secteurs des transports) sont concernés par ce mot d’ordre. Quelque 250 000 agents et employés devaient le suivre. Le mouvement a débuté le mercredi 15 juin 2022 à minuit et se poursuivra jusqu’au vendredi 17 juin 2022 à minuit. L’UGTT demande que soient préservés les services minimum au sein des sociétés recensées par elle comme vitales. Selon la presse tunisienne, ce mouvement devrait coûter 200 millions de dinars (62 M€), sans compter les pertes indirectes.

L’organisation syndicale entend également protester contre la situation du pays depuis la prise des pleins pouvoirs par le président Kaïs Saïed le 25 juillet 2021 qu’elle avait pourtant appuyée. Ses dirigeants dénoncent aujourd’hui une rupture du dialogue avec le président, ainsi que les menaces de privatisations, de restrictions d’effectifs et de salaires dans la fonction publique.

L’UGTT refuse de participer au dialogue national instauré par le Président

« Je le répète pour la énième fois et mille fois s’il le faut: non à la cession des entreprises publiques, hors de question d’y toucher. Il n’est pas question non plus d’imposer des mesures douloureuses qui appauvrissent le peuple« , lançait Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’UGTT lors d’un récent rassemblement à Tunis.

Son syndicat veut participer activement à la réflexion sur les réformes gouvernementales. « Nous ne sommes pas en rupture avec la présidence et avec le processus post-25 juillet, à condition d’y être associé« , souligne ainsi Anis Samti, secrétaire général de la section des cadres Tunisair à l’UGTT, cité par la presse tunisienne.

Le président a mis en place le 20 mai 2022 une commission nationale consultative pour une nouvelle République comportant trois structures: un comité consultatif des affaires économiques et sociales composé de représentants de l’UGTT, de l’UTICA (Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat), de l’UTAP (Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche), de l’UNFT (Union nationale de la femme tunisienne) et de la LTDH (Ligue tunisienne des droits de l’Homme); un comité consultatif des affaires juridiques (doyens des facultés de droit, des sciences juridiques et politiques); et un comité du dialogue national (membres des deux comités précédents et coordinateur de la commission nationale consultative, le doyen Sadok Belaïd).

Mais l’UGTT n’a pas voulu s’impliquer refusant de « cautionner des conclusions décidées unilatéralement à l’avance pour les faire passer par la force comme faits accomplis. »

La fonction publique représente 46% du budget de l’État

« Tout le monde sait très bien que l’UGTT est pour la politique du dialogue. Mais nous nous opposons à cette démarche qui ne repose pas sur la participation des différents acteurs concernés« , indique Nourredine Taboubi. Le président du syndicat précise d’ailleurs disposer de son propre programme de réformes qu’il juge compatible avec le maintien du pouvoir d’achat des salariés contrairement à celui proposé par le gouvernement.

Autant de points avancés dans le cadre des discussions avec le Fonds monétaire international (FMI) pour obtenir le déblocage d’une nouveau prêt indispensable face à une situation budgétaire catastrophique. L’institution de Bretton Woods avait estimé en 2018 que « la masse salariale de la fonction publique était l’une des plus élevées au monde« . Cette année, elle représentait 46% du budget de l’État.

Ces mesures d’austérité arriveraient dans une Tunisie en profonde crise économique, sociale et politique. Fin mai 2022, la déficit budgétaire 2022 tunisien était annoncé à 9,7% du PIB, contre 6,7% prévus. Le pays a connu une croissance économique de 3,1% en 2021 (-8,7% en 2020) alors que les prévisions tablaient sur seulement 2,6%. « Ces résultats montrent que la chute du PIB en 2020 n’a été que partiellement absorbée, puisque le niveau du PIB réel au quatrième trimestre 2021 est encore 4,6 points plus bas que celui du dernier trimestre 2019« , indique l’Institut national de la statistique tunisien (INS).

En octobre 2021, un rapport du Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF) estimait que la Tunisie allait faire « une entrée remarquée et historique » dans le Top 10 des pays africains les plus endettés, avec une dette publique équivalente à 90,20% de son PIB.

Pas de réformes politiques sans accord de l’UGTT

Bien avant l’indépendance de la Tunisie, le poids de l’UGTT a toujours été très important et lui a permis d’exercer un contre-pouvoir. Son rôle lors de la révolution qui a chassé le président Ben Ali en janvier 2011 l’a encore prouvé. L’UGTT se trouvait d’ailleurs parmi les quatre récipiendaires (avec l’Ordre des avocats, la Ligue tunisienne des droits de l’homme et le syndicat patronal UTICA) du prix Nobel de la paix en octobre 2015, pour récompenser leur participation au dialogue national ayant permis de sortir de la crise post-révolution.

L’agence internationale de notation Fitch relevait dans une de ses études qu’il serait « très difficile » d' »adopter les réformes politiques et économiques sans le soutien de l’UGTT« . Le FMI dit la même chose en tenant pour acquis que le syndicat est un partenaire incontournable dans les négociations actuelles. D’autant plus qu’il revendique 500 000 membres dans un pays de 11,9 millions d’habitants.

Débuté fin mai 2022, le bras de fer avec le gouvernement va donc se poursuivre alors que le degré de mobilisation de cette grève sera un baromètre de la confiance du pays envers Kaïs Saïed. « Qui êtes-vous ? Nous sommes les fils de cette patrie, et le 16 juin nous verrons qui sont les vrais propriétaires« , lançait Noureddine Taboubi à l’adresse du président lors du rassemblement à Tunis.

Photo de une : Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’UGTT, et Kaïs Saïed, président tunisien, ont rompu le dialogue depuis un mois ©DR

Frédéric Dubessy

Econostrum

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