L’avenir des Alpes du Sud : de la cime à l’assiette (3/5)

Avec l’expansion des circuits courts, boostés par la pandémie, la vente des productions locales a fait un extraordinaire bond en avant. Nous les retrouvons en un clic dans nos assiettes, dans leur plus simple appareil, ou sublimés par des chefs étoilés dans leur restaurant.  En région Sud Paca, les produits stars sont issus des montagnes des Alpes. Où et comment peut-on se les procurer ? Quelles sont les meilleures façons de les déguster?

art de vivre

En l’espace d’une dizaine d’années, l’engouement pour la consommation de produits locaux issus du terroir et d’une agriculture biologique respectueuse de l’environnement, n’a cessé de croitre. Pendant la crise sanitaire, les Français ont largement plébiscité la consommation locale, synonyme de manger bio et bon. Qu’ils soient achetés directement à la ferme, en magasins collectifs ou via des plateformes digitales de distribution, ces produits séduisent par leur authenticité.

Vue des montagnes de la forteresse de Mont-Dauphin ©DVDM

Du producteur au consommateur : les circuits courts ont le vent en poupe

Depuis les années 1950, les Alpins ont compris qu’en se regroupant, ils étaient plus forts, notamment s’ils voulaient produire et vendre leur production à plus grande échelle. Cette ouverture vers l’extérieur, au-delà des montagnes, prend différentes formes, qu’il s’agisse de vente directe ou en circuits courts au consommateur, ou de vente en demi-gros à destination de la restauration collective. La question de la vente au juste prix, garante d’un revenu fixe pour les producteurs, passe par la mutualisation des moyens, avec le regroupement en coopératives des producteurs, l’obtention de labels et l’appartenance à des réseaux de distribution équitable.

De la vente à la ferme ou en magasins collectifs…

Le développement du click and collect a donné un nouvel essor à la vente directe à la ferme, où le visiteur-consommateur peut découvrir la variété des productions locales proposées par les fermiers, les déguster et les acheter. « Des visites de la ferme sont organisées, mais on ne les fait pas toutes les semaines », explique Jérôme Denier, membre du réseau « Bienvenue à la ferme », créé par des agriculteurs en 1988 pour soutenir les producteurs dans leurs activités. « Si on nous demande, les portes sont ouvertes et on fait visiter la ferme, explique-t-il. Mais quand est aux foins, on les laisse gambader dans la ferme pour voir les animaux. On organise une journée spéciale par an où on fait un repas avec les produits de la ferme. On propose de la feta en entrée, du gigot d’agneau cuit dans un four à bois avec des patates en robe des champs cuites à la braise ou au four à bois et des fromages de la ferme. On finit par les glaces aromatisées que nous confectionnons. Ça prend bien et les gens reviennent pour découvrir d’autres produits. On fait aussi des dégustations sur la vallée, dans les magasins de producteurs ».

L’exemple de la Coopérative laitière des Alpes du Sud

Tome grise de la coopérative laitière des Alpes du Sud ©DVDM

Pour la vente au détail, la coopérative commercialise l’essentiel de ses productions en vente directe à l’issue des visites des caves, dans son magasin situé à Eygliers et dans les crèmeries de la région. On retrouvera par ailleurs la coopérative et six autres producteurs du coin au « Salon du Fromage et des produits laitiers », à Paris, du 27 février au 3 mars, au parc des expositions de la porte de Versailles.

Labellisation des produits : un atout vente pour le pays alpin

Les produits de la coopérative sont labellisés « Hautes-Alpes Naturellement » depuis 2010. Cela offre une meilleure visibilité aux produits dérivés du lait et une garantie de qualité qui constitue un excellent argument de vente pour les producteurs, qui s’engagent en contrepartie à respecter un cahier des charges très contraignant.

Bleu doux du Queyras de la Ferme de Chagne ©DVDM

La demande de reconnaissance en appellation d’origine protégée (AOP)  du bleu doux du Queyras a été déposée fin 2021 par l’association interprofessionnelle des producteurs de ce fromage, créée en mars 2018. Présidée par Alexandre Lagier, elle regroupe la fromagerie de la Durance, à Guillestre, la fromagerie de Montbardon, à Eygliers et la Sica Les Alpages de Fontantie, à Château-Ville-Vieille, ainsi qu’une vingtaine d’autres producteurs, dont la ferme de Chagne.  L’obtention prochaine de l’AOP permettrait de valoriser la filière et le produit.

à la vente en ligne via des plateformes de distribution équitable

Dans les années 2010, de nombreuses plateformes de distribution de produits agricoles en circuits courts, bios et locaux, ont vu le jour. L’intégration dans ces réseaux permet un complément de ressources non négligeable et des débouchés supplémentaires, notamment en restauration collective. A la coopérative laitière, la distribution en demi-gros correspond à 20% de la production globale.

La coopérative laitière des Alpes du Sud adhérente à Localizz pour la distribution de ses produits ©DVDM

En 2004, un site pilote d’agriculture durable avait été inauguré dans le Champsaur & Valgaudemar. Entre 2006 et 2008, avec les manifestations « Les Rencontres Paysannes » et « Le goût de notre terre », le site est devenu pôle d’excellence rurale. « Échanges paysans » est né à ce moment-là d’une « volonté des citoyens et producteurs de créer un maillon entre les producteurs et la restauration scolaire », raconte Arnaud Chary, son fondateur.  Selon lui, « la mutualisation permet de dépasser les contraintes commerciales spécifiques et les difficultés logistiques des producteurs. »

Inscrit dans une démarche de commerce équitable, « Échanges paysans » a pour objectif de favoriser le maintien de l’emploi agricole, de contribuer à la préservation de l’environnement et de participer à la valorisation des ressources naturelles du territoire. Le réseau s’est vite étendu à la restauration collective, aux hébergements touristiques et aux groupements de consommateurs, avec un atout de poids pour les producteurs : la possibilité d’un revenu stable sur l’année, notamment hors périodes scolaires. Ils fournissent également les épiceries paysannes des Bouches-du-Rhône.

En 2013, Olivier Da Rold a créé Localizz, une plateforme de vente de produits issus de l’agriculture régionale, afin de garantir une consommation éco-responsable et rémunérer au juste prix les producteurs avec lesquels il travaille en direct et qui lui fournissent des produits issus des cultures et de l’élevage, mais aussi des produits transformés comme les salaisons ou les fromages. Une méthode qui permet d’assurer la traçabilité des produits mis à la vente sur le site.

Pour les producteurs haut et bas alpins, c’est tout bénéfice.  « Avec des réseaux comme Localizz, on arrive à faire livrer des produits avec le même transporteur. ça nous fait un débouché supplémentaire. Quand on touche les grandes villes, les ventes sont plus régulières. C’est un revenu assuré, surtout pendant les périodes d’inter-saison où l’on vend moins. Une vingtaine d’éleveurs du canton sont en circuit court. Ils travaillent aussi avec les Amap à Saint-Cyr et La Ciotat », se réjouit Jérôme Denier.

Les produits du terroir distribués par Localizz ©DVDM

Soucieux de promouvoir ces produits locaux qu’il affectionne et éduquer les jeunes générations au goût, Olivier Da Rold propose de nombreuses animations à l’attention des écoliers. Il fournit par ailleurs de nombreux collèges du bassin métropolitain, la loi Egalim entrée en vigueur cet hiver obligeant la restauration scolaire à utiliser 50% de produits frais locaux dans leur cuisine, mais aussi des institutions à l’image du Conseil départemental des BdR. sans compter les restaurants, étoilés ou non, et les particuliers. Pédagogue dans l’âme et intarissable sur ses produits, l’ancien ingénieur agronome propose de nombreuses fiches sur leur origine, leur culture et fabrication.

Écoutez le Podcast d’Olivier Da Rold, fondateur de LOCALIZZ

La montagne dans l’assiette et dans le verre

Que l’on achète ses produits à la ferme ou via ces plateformes de vente sur internet, c’est le vrai goût de la montagne que l’on retrouve dans son assiette, à domicile où à la table d’un grand chef. A Château-Arnoux-Saint-Auban, le relais château « La Bonne Etape » est une de ces adresses incontournables où l’on sait sublimer les produits des terroirs alpins. Cet ancien relais de poste du XVIIIe siècle devenu auberge est une affaire familiale fondée par les grands-parents de Jany Gleize, transmise de génération en génération.

Jany Gleize, ses parents et sa fille ©La Bonne Etape

A la tête d’une petite équipe soudée et dynamique, Jany, chef étoilé et maître-artisan cuisinier, fils d’un confiseur-pâtisser-cuisinier et d’une aubergiste, petit-fils de cuisiniers et d’agriculteurs, a le goût chevillé au corps. Selon lui, « la cuisine, c’est une vie, une passion, un sacerdoce. » Après plus de 50 ans derrière les fourneaux, il a conservé cette « envie de partager ce que j’aime et le plus beau de ce pays », même si comme il dit « ce n’est pas le caviar qui coûte cher, c’est éplucher les pommes de terre ».  Il aime mettre en valeur le patrimoine culinaire du pays alpin dans les plats qu’il sert à sa table,  étoilée au Michelin depuis 1964, ou dans son bistrot, « Le goût du Jour », ouvert en 2000.

Du potager à la cuisine

En contrebas de « La Bonne Etape », Jany Gleize possède depuis plus de 30 ans son propre potager, baptisé « Jean Rey » en l’honneur de son grand-père maternel. « Ce jardin permet de faire voir aux clients ce qu’on a et montrer comment poussent les poireaux. Il y a un côté didactique que j’aime bien et les gens sont sensibles à ça ».

La Bonne Etape, à Château-Arnoux, fait partie des restaurant étoilés par le guide Michelin depuis 1964. ©La Bonne Etape

Ce sont 6000 mètres carrés de légumes et de plantes aromatiques cultivés en agriculture biologique. « C’est plus de la permaculture, rectifie Jany Gleize, le jardinage du feignant, comme j’aime à le dire. C’est un fouillis savamment organisé, où tout vit en symbiose. J’ai fait appel à un jardinier botaniste, François Tessari (1) pour réaménager le potager traditionnel de mon grand-père en jardin à l’anglaise, avec un accent provençal. C’est un jardin où cohabitent les fleurs, les plantes aromatiques, les légumes et les fruits. On y voit peu la main de l’homme. Je ne voulais surtout pas d’un jardin à la française. »

Dans la tradition familiale, le potager fournit le restaurant. « Quand une carotte a plus ou moins de goût, on la cuisine différemment, justifie-t-il. Et selon qu’elle pousse plus ou moins vite, on la cuit à la vapeur ou avec un peu d’eau, à sec ou à l’huile. En cuisine, on s’adapte au produit », rappelle-t-il.

 

Le jardin de Jany Gleize ©DVDM (image d’archives)

Le bon goût du terroir

Amoureux de sa région, Jany était un des premiers à faire le jambon d’agneau, ou fumeton, avant que cette tradition ne soit délaissée dans les étals au profit d’autres produits plus conformes aux goûts des consommateurs.  Lui, cuisine essentiellement à l’huile d’olive ou de noix, et « par goût, essaie d’être au maximum locavore. Mais je ne suis pas un ayatollah, tempère-t-il. Je ne m’interdis pas, quand je vois une coquille Saint-Jacques ou du homard, de les prendre là où ils sont, en Bretagne. » Dans ses plats signature, on retrouve la crème glacée au miel de lavande dans sa ruche, les calamars farcis aux herbes vertes et aux pignons de pin, les fleurs de courgette farcies au basilic, ou encore la baudroie à la poutargue. Les produits du terroir sont omniprésents, en l’occurrence l’agneau de Sisteron, autre star du pays.

« Je me fournis chez monsieur Giraud, un chevillard qui choisit les producteurs d’agneaux, confie encore Jany. C’est lui qui les abat, les découpe et les vend entiers avec leur carcasse. C’est une race pré-Alpes du sud qui peut être croisée avec du mérinos d’Arles et du mourérous. Ce sont de petits agneaux plus longs que ronds. Ils sont abattus à 120 jours. Allaités pendant 2 mois par leur mère, leur viande tendre et de couleur claire a un goût prononcé d’agneau, sans celui du mouton.»

L’agneau sublimé par Jany Gleize ©La Bonne Etape

L’agneau fait partie des mets qu’il propose sous différentes formes dans ses deux établissements, selon l’inspiration du moment. « Les burgers sont faits avec les poitrines et les épaules, c’est très bon. J’aime aussi l’épaule rôtie ou en croûte d’herbes, les rognons et les ris d’agneau. On utilise tout, de la tête aux pieds, car tout est bon dans l’agneau », s’amuse-t-il. Ces mets peuvent être accompagnés d’un rosé cuvée Les Bories, IGP du domaine des Bergeries, un vin ample légèrement tannique aux notes de baies sauvages, ou d’un rouge AOP/AOC Pierrevert, un vin souple et puissant aux notes boisées et de fruits noirs.

Au pays du Génépi

Les Alpes, ce sont bien sûr les traditionnelles liqueurs de Génépi, de Farigoulette ou de Mélèze, conifère typique du pays alpin. Mais ce sont aussi d’autres nectars réalisés à partir de plantes, de fleurs et de fruits ramassés en montagne, à savourer en apéritif ou en digestif, en accompagnement d’une bonne tarte aux myrtilles, autre spécialité du pays.

Les liqueurs de Osud ©DVDM

Osud, fondée par Olivier Fortoul, ancien parfumeur, est une distillerie implantée au Lauzet-Ubaye, près de Barcelonnette. Labellisé « Station Verte », premier label national d’écotourisme, le village propose une large gamme de produits traditionnels, dont la liqueur de génépi, plante emblématique du massif alpin que l’on ne trouve qu’à plus de 2500 mètres d’altitude à l’état sauvage.

Olivier, en passionné, confie que selon que l’alcool est utilisé pur ou coupé, les arômes des plantes se développent avec plus ou moins de puissance. Sa recette de Mojito à base de liqueur de génépi et de thym sauvage en est l’illustration.

Une terre de vin en devenir

Côté vins, les Alpes commencent à jouer leur carte aux côtés d’appellations régionales plus connues et réputées. Le domaine Allemand, situé à Théus, cultive depuis 15 ans le mollard, un cépage traditionnel des Alpes menacé de disparition, afin de préserver la biodiversité du territoire. De nombreux viticulteurs produisent des vins en IGP. Jean-Luc Monteil, du domaine des Bergeries, à Châteauneuf-Val-Saint-Donat, élève la syrah dans des amphores et Magali Vignaud, à Rourebeau, produit des vins en biodynamie dans sa cave Villa Costebelle. Gilles Delsuc, du domaine de la Blaque, à Pierrevert, est un vigneron réputé pour ses rouges « Collection », élevés 18 mois en barrique.

Une vue aérienne de Château-Arnoux-Saint-Auban ©La Bonne Etape

 «Il y a de plus en plus de bons vignerons en local, et ils font des vins très bons, voire exceptionnels » assure Jany Gleize, qui privilégie les vins locaux dans son restaurant. Avec le réchauffement climatique, la syrah, le merlot et le petit manseng s’épanouissent en montagne. «Les hautes et basses Alpes vont être bientôt connues comme un grand territoire vinicole. Les vins des Alpes, ce sont de grands crus en devenir », prédit le restaurateur en fin connaisseur.

Un souffle inédit pour les produits du terroir et de belles perspectives à venir

Les produits locaux ont donc un bel avenir devant eux. Grâce au dynamisme des producteurs, mais aussi grâce aux soutiens dont ils bénéficient de le part des institutions et au travail de fond des offices de tourisme pour promouvoir les produits du terroir auprès des visiteurs. Une montée en gamme et en notoriété qui ne fait que commencer.

  • (1) : François Tessari est ethnobotaniste, responsable du Conservatoire de Salagon, à Mane.

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