L’avenir des Alpes du Sud : Y’aura-t-il encore de la neige à Noël 2050 ? (1/5)

Fragilisées par le réchauffement climatique et la concurrence des autres destinations, les stations de sports d’hiver des Alpes du sud sont aujourd’hui à la croisée des chemins. Que doivent-elles faire pour adapter leur offre à cette réalité et continuer de satisfaire une clientèle toujours plus exigeante ? Dans quoi doivent-elles investir et combien pour rester attractives et rentables ? Que peuvent-elles attendre des « plans montagne » du gouvernement et de la Région Sud pour les aider à surmonter leurs difficultés ? Une candidature des Alpes du Sud à l’organisation des JO d’hiver de 2034 ou 2038 peut-elle aider ces territoires à rester dans la course ? Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre tout au long de cette semaine, avec notre grande enquête consacrée à l’avenir de nos stations 

enquêtes

En montagne, la question brûle les lèvres aussi sûrement que le soleil d’hiver. Même si aujourd’hui, les acteurs de l’économie d’altitude arrivent à en débattre calmement, elle a longtemps divisé les montagnards en deux camps irréconciliables, avec d’un côté les écolos lanceurs d’alerte et, de l’autre, les tenants d’un modèle qui ne tient plus vraiment la piste, comme les carres d’un snowboard sur une plaque de glace vive. Cette question, c’est celle que nous avons repris en titre : y’aura-t-il encore de la neige à Noël 2050 ?

Après trois décennies de doutes, d’intox et de prises de position plus idéologiques que scientifiques, la réponse commence, non pas à se dessiner – les climatologues le savent depuis belle lurette –, mais à être acceptée par la majorité, au point de ne plus vraiment faire débat. D’autant que cette réponse n’est pas si angoissante, puisqu’elle rassure aussi bien les exploitants des stations de sports d’hiver que leurs clients : oui, il y aura encore de la neige à Noël 2050. Mais pas partout, pas sans canons à neige et avec des saisons enneigées plus courtes et des saisons sans neige plus nombreuses que ces 50 dernières années.

Plan montagnes 2021/2027

Cette conclusion, c’est très schématiquement celle des experts qui travaillent sur la question depuis le début des années 1960, dans les laboratoires de Météo France, du CNRS, de l’Inrae et d’une poignée d’organismes spécialisés comme le Centre d’études de la neige de Saint-Martin d’Hères (Isère), qui dépend du Centre national de recherches météorologiques (CNRM).

Ce sont d’ailleurs les recherches et les outils de modélisation développés par ces chercheurs et le consortium Dianeige sur lesquels les élus régionaux de Provence-Alpes-Côte d’Azur se sont appuyés pour élaborer leur plan montagne 2021-2027, présenté mi-janvier par leur président, Renaud Muselier. Les mêmes données climatologiques avaient également servi dans la mise en musique du plan « Avenir montagnes » dévoilé en mai 2021 par le Premier ministre, Jean Castex.

 

Amoureux des Alpes du Sud, le président de la Région sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, a présenté fin janvier ses ambitions pour la montagne sur la période 2021/2027. Un plan doté de 200 millions d’euros, pour aider les stations à s’adapter au réchauffement climatique et revoir leurs conditions d’exploitation, pour atteindre dès que possible la neutralité carbone ©Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur

Aider les stations à s’adapter aux changements climatiques

Qu’ils aient des responsabilités nationales ou régionales, les préoccupations des politiques sont les mêmes : comment aider les stations de montagne à s’adapter aux changements climatiques, en garantissant un enneigement satisfaisant d’un bout à l’autre de la saison d’hiver et un cadre toujours accueillant et sûr en période estivale ?

La réponse dépend évidemment du climat et de son évolution, mais aussi d’une multitude de facteurs qui font de chaque station un cas unique. Comment sont exposées les pistes ? Dans quelle gamme d’altitude se situe le domaine skiable ? Quelle part de ce domaine est équipée de canons à neige ? De quelles réserves d’eau dispose-t-on pour fabriquer de la neige ?… autant de critères déterminants pour l’avenir des stations de montagne, mais des questions auxquelles il est impossible de répondre de façon univoque, justement parce que chaque station est un cas unique.

 

Fabriquer de la neige de culture implique d’avoir de grands réservoirs d’eau en altitude, comme ici à Serre-Chevalier. Au grand dam de certains écologistes, qui estiment cette pratique incompatible avec la préservation de la ressource en eau. Dans les stations, le recours à cette technologie est néanmoins devenu indispensable pour garantir une bonne qualité d’enneigement, tout au long de la saison ©HV

Au moins jusqu’au milieu du XXIe siècle

Pour autant, les experts s’accordent sur un certain nombre de prévisions, quelles que soient les inquiétudes qu’elles portent pour les exploitants, les habitants, les commerçants et tous les passionnés de montagne qui font vivre les vallées.

L’un de ces scientifiques, Samuel Morin, directeur du CNRM, a donné une conférence sur le thème « adaptation au changement climatique : le cas des Alpes », en décembre 2021, à l’invitation du Centre de formation sur l’environnement et la société (Ceres) de l’Ecole normale supérieure (ENS). Il y confirmait que l’on pourrait continuer de skier dans les Alpes au moins jusqu’au milieu du siècle, même si les conditions d’enneigement vont continuer de se dégrader progressivement jusque là. Plus ou moins rapidement selon les choix politiques qui seront faits à l’avenir pour limiter les émissions de gaz à effet serre, donc la hausse des températures à l’origine de ces bouleversements climatiques.

Comparaison des états actuels et futurs de l’enneigement (48 stations) consortium (service CLIMSNOW) DIANEIGE/INRAE/Météo-France

Des saisons d’hiver amputées de 20% en 30 ans

Comme il le rappelait au début de son propos, les Alpes françaises ont perdu, selon les massifs, de 5 à 7 jours d’enneigement par décennie depuis le début des années 1960, date à laquelle le Centre d’études de la neige a commencé de mesurer les précipitations pluvieuses et neigeuses à sa station du col de Porte, à 1300 m d’altitude. « Cela fait donc plus d’un mois d’enneigement de perdu en 60 ans », explique Samuel Morin, soit une saison d’hiver skiable amputée de 20% en moyenne sur ce pas de temps.

En termes de quantité de neige sur une saison, le constat est le même. Si on compare les trois décennies qui viennent de s’écouler à la période 1960/1990, ce sont près de 40 cm de neige en moyenne qui ont été perdus en 30 ans, soit une perte « quasiment proportionnelle à l’élévation des températures », souligne-t-il.

La grande variabilité de l’enneigement d’une saison sur l’autre n’est certes pas une nouveauté. Des années déficitaires, parfois lourdement, il y en avait déjà dans le passé. Ce qui nouveau, en revanche, c’est la fréquence à laquelle ces années moins enneigées reviennent. Sur les cartes produites par le Centre d’études de la neige, le phénomène est frappant, avec une aggravation marquée à partir des années 1990, au point que sur la dernière décennie, 7 années sur 10 étaient en déficit d’enneigement par rapport à la période de référence 1960/1990. 

Très problématique en dessous de 2000 mètres d’altitude

A l’aune de ces données et de leur tendance, que peut-on espérer – ou craindre – d’ici 2050 pour les stations de sports d’hiver ? « Cela dépendra en partie du niveau et de la vitesse de réduction des émissions de gaz à effet de serre », pronostique Samuel Morin, soulignant que si on maintenait simplement la trajectoire dessinée au fil des COP, c’est-à-dire contenir le réchauffement sous les 2° C d’ici 2100, l’enneigement deviendrait très problématique sous 2000 m d’altitude, dans la seconde moitié de ce siècle.

Dans les Alpes du Sud, les difficultés insurmontables pourraient même survenir avant 2050 pour les sites de basse et moyenne altitude, qui ont déjà vu leurs conditions d’enneigement se dégrader plus vite et plus sévèrement ces dernières années que les stations situées au-delà des 2000 m. Car si les températures continuent de grimper, c’est la possibilité même de fabriquer de la neige de culture qui ne serait plus assurée en-deça de cette altitude, puisqu’il faut évidemment des températures négatives pour pouvoir mettre en route les canons à neige. Et des températures pas trop élevées dans la journée pour que cette neige de culture ne fonde plus vite qu’on la produit.

« Eviter l’ingérable et gérer l’inévitable »

L’objectif des plans montagne évoqués plus haut n’est donc pas de lutter contre les conséquences du réchauffement, mais bien de permettre aux stations de s’y adapter au mieux en fonction de leur situation, tout en respectant les engagements de neutralité carbone que beaucoup d’entre elles ont pris à l’horizon 2030/2040. L’ambition ultime, c’est de parvenir, hiver après hiver, à « éviter l’ingérable et à gérer l’inévitable », prédit Samuel Morin.

L’ingérable, ce sont des saisons sans neige. L’inévitable, c’est la remontée graduelle de la limite pluie/neige, qui condamne à plus ou moins brève échéance les petites stations sans réserve d’altitude.

Des massifs fragilisés par la fonte du pergélisol

Autre conséquence qu’il va falloir apprendre à gérer, la fonte estivale du pergélisol (ou permafrost en anglais), cette eau gelée en permanence qui maintient les blocs rocheux entre eux depuis des millénaires. Tous les montagnards se souviennent du brutal écroulement du pilier Bonatti, en juin 2005 dans la vallée de Chamonix, qui avait emporté près de 300 000 m3 de roches sur le flanc sud-ouest du Petit Dru.

Depuis, ce sont entre 50 et 100 éboulements que l’on recense chaque année sur l’arc alpin, du fait de ce dégel accéléré consécutif à la multiplication des épisodes de canicule en altitude. Et toutes les prévisions convergent vers une aggravation, puisque les engagements pris lors des récentes COP n’ambitionnent pas de stopper la hausse des températures, mais seulement de limiter son ampleur.

Inquiétudes sur l’état des glaciers et la ressource en eau

Dans le même ordre d’idées, les climatologues s’inquiètent aussi de l’état des glaciers et de leur évolution dans les prochaines années, avec peu d’espoir d’enrayer le phénomène de fonte qui ne cesse de s’accélérer depuis la seconde moitié du XXe siècle. La célèbre mer de glace de Chamonix a ainsi perdu quelque 50 m d’épaisseur depuis 1900.

Et là encore, les études prospectives ne sont guère réjouissantes, prédisant la disparition de la plupart des glaciers alpins d’ici 2100, avec ce que cela signifie en termes d’impact sur la ressource en eau. Donc sur la capacité des stations à fabriquer de la neige, puisque que c’est essentiellement dans les rivières d’altitude qu’est puisée l’eau transformée par les canons.

Indispensable pour les stations, la neige de culture fait toujours débat

La production de neige de culture figure d’ailleurs parmi les griefs les plus fréquemment évoqués par les fondamentalistes de la montagne, bien aidés ces derniers temps par les images des JO d’hiver de Pékin, disputés sur de la neige intégralement fabriquée pour la circonstance. Dans les stations, et singulièrement dans les Alpes du sud, la neige artificielle est déjà une vieille histoire.

Les premiers enneigeurs installés par les stations des trois départements alpins de la région remontent en effet à la seconde moitié des années 80. A l’époque, il s’agissait moins de lutter contre les effets du réchauffement que d’entretenir les pistes dans les passages pentus et mal exposés, où l’herbe et les pierres se découvraient très vite sous la seule neige naturelle. Mais très vite, on s’est aperçu des services que cette technologie pouvait rendre à plus large échelle, les années où l’enneigement s’avérait problématique.

Serre-Chevalier veut atteindre la neutralité carbone d’ici 2030

Patrick Arnaud, directeur du domaine skiable de Serre-Chevalier, explore toutes les solutions pour atteindre son objectif de neutralité carbone avant 2030 : production d’électricité renouvelable, stratégie de production de neige calée sur les besoins réels, adaptation de la vitesse des remontées mécaniques à l’affluence, dameuse électrique… la révolution est déjà en marche ©HV

A Serre-Chevalier, la seule station des Alpes du sud dans le Top 10 des stations françaises, c’est le terrible hiver 1989/1990, où les premiers flocons tombèrent mi-février, qui ouvrit l’ère des canons à neige. Trente-deux ans plus tard, le domaine géré par la Compagnie des Alpes est couvert par 700 de ces engins répartis sur une bonne partie de ses 250 km de pistes, principalement sur les axes les plus fréquentés par les skieurs.

Patrick Arnaud, le directeur du domaine skiable de Serre Chevalier Vallée, a conscience de la mauvaise réputation de cette technologie auprès des défenseurs de l’environnement. Mais il la sait aussi indispensable pour l’avenir des sports d’hiver, et pas seulement à cause du changement climatique. La clientèle veut en effet « des pistes bien damées et pas de trous dans la neige en toutes circonstances », ce qui nécessite canons à neige et engins de damage, donc dépenses d’eau et d’énergie, plus émission de CO2. 

Mais la station s’est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2030. Elle a donc revu de fond en comble sa stratégie à l’occasion de son 80e anniversaire, célébré le 21 décembre 2021. « Nous avons interrogé tous les aspects de l’exploitation pour faire mieux dans chaque domaine et réduire tous nos impacts, assure Patrick Arnaud, expliquant que 30% de l’énergie nécessaire au fonctionnement de l’ensemble devrait être produit localement en 2023. Voire 40% si nous arrivons à réduire notre consommation d’autant. »

Energies renouvelables et locales

Deux éoliennes tournent déjà au sommet des pistes, des panneaux solaires ont été déployés et deux torrents ont été équipés de turbines pour produire autant d’énergies renouvelables que possible. « En altitude, le vent est souvent présent, justifie-t-il, et sur la neige, les panneaux sont beaucoup plus efficace qu’en plaine, grâce aux températures basses et à la réverbération. » Côté neige de culture, « on ajuste désormais la production aux besoins du moment, alors que pendant longtemps, on fabriquait le plus possible quand les conditions étaient favorables, au cas où en aurait besoin plus tard. » 

Un prototype de dameuse électrique « made in France » en test

D’autres mesures sont expérimentées, comme le ralentissement des remontées mécaniques lorsqu’il n’y a pas de queue, ou même projetées, comme le fait de laisser certaines pistes vierges de tout damage, afin de retrouver quelques murs de bosses comme naguère. Et de faire quelques économies au passage.

Il faut aussi parler de l’arrivée prochaine d’une dameuse électrique prototype, réalisée en partenariat avec le seul fabriquant français, CM Dupon, dont le développement a été cofinancé par le plan montagnes 2021/2027 de la Région Sud. « L’idée, c’est d’avoir à terme des engins qui marchent à l’hydrogène, annonce Patrick Arnaud, et que les stations françaises puissent se fournir en France et plus seulement en Autriche ou en Italie. »

Les marges de progrès impliquant tout le monde

Reste que pour gagner ses galons d’industrie à faible impact, ce n’est pas seulement sur les pistes et dans les stations qu’il convient d’enclencher une révolution culturelle, mais aussi dans les habitudes des usagers de la montagne, dont les exigences et les comportements ne sont pas toujours compatibles avec les objectifs climatiques et environnementaux. A l’heure actuelle, 80% de l’empreinte carbone d’une station de sports d’hiver est liée au transport, à l’hébergement et à la restauration de ses clients. C’est donc là que résident les marges de progrès les plus importantes. Une réalité à méditer pour tous les skieurs, snowboarders, randonneurs, raquetteurs, fondeurs, parapentistes, alpinistes, vététistes et autres touristes qui fréquentent la montagne et espèrent qu’elle survivra aux épreuves que l’humanité lui inflige.

L’AVENIR DE LA MONTAGNE DANS LES ALPES DU SUD EN PODCAST

 

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