Emmanuel Berteloot raconte volontiers son histoire. « J’étais un commercial à l’export chez un négociant de Beaune, dans le monde viticole. Avec mon épouse, Delphine, nous avions un pied-à-terre dans l’Embrunais, aux Orres précisément, depuis de nombreuses années. Au moment de prendre la retraite, elle m’a dit : si on prenait un peu de vigne par ici ? ». Voilà comment une décision prise au coin d’une table peut participer à la relance du vignoble embrunais, aux côtés de quelques autres initiateurs.
Chardonnay pour le blanc, Bourgogne oblige ! Syrah et Mollard pour le rouge
Il est aisé d’imaginer qu’un tel parcours est toujours parsemé d’obstacles. Le premier consiste à trouver des terres à vigne. « J’ai passé deux années à essayer de trouver une ou des parcelles », dit le futur vigneron et viticulteur. Tâche peu aisée quand on connaît l’attachement des propriétaires à leurs terres, fussent-elles à l’abandon depuis des décennies, ou favorables à la culture de la vigne. Pour beaucoup, la terre est un bien familial inaliénable et, qui sait, sera-t-elle un jour constructible.
En outre, si l’Embrunais a été une terre à vigne comptant jusqu’à 1800 hectares au début du XIX e siècle, les parcelles étaient de petite surface et disséminées. Emmanuel Berteloot frappe également aux portes des mairies. Bonne inspiration, car à Puy-Sanières, Valérie Rossi, maire, et son conseil municipal, ont la clef qui ouvre la voie. Deux hectares abandonnés sont disponibles et loués par un bail de longue durée. Qui plus est idéalement placés au-dessus du lac de Serre-Ponçon, quasiment plein sud, en pente douce, d’un seul tenant. « Je remercie vivement la commune de Puy-Sanières et Valérie », s’exclame-t-il.
Dès lors, les choses se précipitent. Au printemps 2018, près de 10 000 plants de vigne sont mis en terre. « Chardonnay pour le blanc, Bourgogne oblige ! Syrah et Mollard pour le rouge. Ce dernier cépage est endémique des Hautes-Alpes et je tenais à en cultiver », explique-t-il. Ce Mollard était le cépage fondamental du vignoble haut-alpin et portait le nom de Chaliant dans l’Embrunais.
Les Bourguignons !
Emmanuel a trouvé son lopin de terre pour entreprendre sa reconversion de commercial du vin en « faiseur » de vin. Une deuxième bonne nouvelle l’attend. Sous la forme de sa rencontre avec Charly Tavernier, viticulteur à Embrun qui souhaite céder son petit domaine. Tope là ! Il va falloir faire une grande enjambée car de Puy-Sanières, en rive droite de la Durance, il faut aller à Saint-André-d’Embrun, en rive gauche, pour les deux hectares de Charly.
Tout le monde l’appelle comme cela, le jeune vigneron à la dégaine décontractée. Et voilà l’instant de l’anecdote impossible à oublier. « Je découvre que les habitants de Saint-André sont surnommés les Bourguignons ! Bien sûr, cela m’a interpellé », assure Emmanuel dans un sourire. L’histoire, la grande, est passée par là.
De retour des guerres d’Italie menées par plusieurs rois de France à la fin du XV e et au début du XVI e siècle, des soldats s’étant battus pour la France, malades ou blessés, font halte dans l’Embrunais. Certains venus de Bourgogne constatant la présence de vignes partagent leur savoir et leurs pratiques avec les Saint-Andréens qui les hébergent. Cinq siècles plus tard, un nouveau Bourguignon entre en scène !
« Ces deux hectares sont à la même altitude que ceux de Puy-Sanières. Ce qui offre une similitude, c’est vrai. Cependant, le sol est différent. Plus sec à Saint-André, plus tassé également, décrit-il. Avec des cépages différents aussi ; cabernet franc et gamay, un cépage commun toutefois avec le Mollard. J’ai une vieille parcelle qui contient vingt cépages distincts, dont un pied de Melon de Bourgogne. »
Quelqu’un a dit : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rencontres ». Pour les cépages de vin blanc, pinot gris d’Alsace, Chasan et Chardonnay. Ajoutons qu’à Saint-André, au hameau de la Pinée en particulier, les parcelles, nombreuses, sont entourées de murets en pierres sèches. Encore une ressemblance avec les clos bourguignons ceinturés, eux aussi, de pierres sèches.
Des consommateurs heureux de trouver des vins de montagne
Emmanuel et Delphine qui l’assiste ont un équilibre à trouver dans leur travail de viticulture, celui de récolter sur deux versants dissemblables. « La maturité des raisins n’est pas identique évidemment », révèle-t-il. Pas vraiment un problème puisque cette situation engendre une vendange étalée et, de la sorte, ne nécessite pas un nombre de bras accru. Emmanuel Berteloot a également repris le bâtiment qui abrite la cuverie à Embrun, au hameau des Terrasses.
C’est là qu’il a accroché l’enseigne du Domaine du Mont-Guillaume, le sommet emblématique qui domine la cité embrunaise. « Les récoltes de 2019, 2020 et 2021 étaient faibles car les deux hectares de Puy-Sanières n’étaient pas encore en production, mais cette année 2022 sera la première en production complète même si les jeunes vignes ne seront pas encore en pleine production », poursuit-il.
« Les habitants de Saint-André sont surnommés les Bourguignons ! »
La qualité des vins déjà produits ont eu une répercussion immédiate avec l’adoubement au label Esprit Parc national octroyé par le parc national des Écrins et l’entrée dans le giron de la marque territoriale Hautes-Alpes Naturellement®. « Je suis très satisfait de voir des consommateurs heureux de trouver des vins de montagne », insiste Emmanuel. Ses vins sont disponibles chez des cavistes et magasins bio du département. Pour la vente directe il faut patienter jusqu’à la prochaine récolte.
À 63 ans, issu d’un millésime estimé très bon pour le Blanc de Bourgogne, Emmanuel Bertheolot a pour horizon plus très lointain la transmission du domaine créé avec son épouse. L’un des fils paraît d’ores et déjà avoir le sang de la vigne dans les veines. D’ici là, quelques récoltes sont à effectuer et des barriques à remplir.
Maurice Fortoul
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