Les Alpes du Nord ont voulu se lancer en premier. Mais la candidature annoncée pour l’organisation des JO d’hiver de 2030 « a fait pschitt d’entrée », reconnaît aujourd’hui Gilles Chabert, le conseiller montagne de Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne- Rhône-Alpes. En octobre dernier, c’est lui qui avait lancé l’idée d’une candidature « des Alpes, du Mont-Blanc au Vercors » pour surprendre et décontenancer les instances olympiques françaises et internationales… In fine, le projet serait « à moitié mort-né » selon Gilles Chabert, qui admet une communication maladroite de la candidature, annoncée par la presse et non pas par une figure politique régionale ou un responsable du sport français.
La nouvelle présidente du Comité national olympique et sportif français (Cnosf), Brigitte Henriques, n’était d’ailleurs pas au courant de l’annonce et a fait connaître son malaise aux porteurs du projet nord-alpin. Ces derniers n’auraient toutefois pas dit leur dernier mot. Ils envisageraient ainsi de relancer le processus dans l’optique de 2034 ou 2038. Mais le défi sera plus compliqué que prévu.
Après la victoire de Paris 2024, » il fallait ne pas s’agiter et attendre la bonne fenêtre «
Une telle erreur initiale de concertation et de prise de pouls préalable, le président de la Région Sud, Renaud Muselier, ne l’a pas commise. L’idée d’une candidature des Alpes du Sud pour 2034 ou 2038 est en effet connue depuis plusieurs mois par les principaux acteurs du sport français. Des points décisifs qui pourraient compter sur la ligne d’arrivée en cas de futures « primaires françaises », envisageables avec Auvergne-Rhône-Alpes ou d’autres candidats non déclarés à cette heure. La fenêtre de tir en termes de dates est stratégiquement mieux réfléchie par rapport à ses potentiels adversaires tricolores.
Comme l’explique Jean-Marc Passeron, président du comité de candidature du projet Gap-Pelvoux-Écrins pour les JO d’hiver de 2018, « il ne s’agissait pas de s’agiter dans la foulée de la victoire de Paris 2024. Il fallait attendre derrière la bonne fenêtre. La Région Sud travaille depuis deux ans, je pense, sur le dossier. Une vraie réflexion de fond a été engagée dans ce sens. Depuis avril 2021, nous avons été plusieurs à insister pour y aller. Et Renaud Muselier a dit courageusement, au regard de plusieurs avis, qu’il était temps. » D’autant qu’en presque un siècle d’existence, les JO d’hiver sont venus trois fois en France – Chamonix en 1924, Grenoble en 1968 et Albertville en 1992 -, mais jamais dans les Alpes du Sud.
Il est tout-à-fait possible que le CIO désigne les trois prochains élus dans deux ans
Pourquoi la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur a-t-elle annoncé une candidature pour « 2034 ou 2038 » et pas pour 2030 ? Car le CIO (Comité international olympique) vient de décider de désigner non pas une, mais deux villes hôtes, à la fois pour les JO d’été et d’hiver. Les heureux élus pour les JO d’hiver 2034 et 2038 pourraient donc être connus dès 2024, voire 2023. « Les règles d’attribution sont moins strictes et cela peut se jouer désormais 10 ans avant » indique Jean-Marc Passeron, expliquant qu’il est « tout-à-fait possible que le CIO fasse même un triple choix dans deux ans. Le fait de tourner entre les continents n’est pas gravé dans le marbre olympique, mais il est dans le bon sens d’y répondre à chaque olympiade, afin de promouvoir la neige et les sports d’hiver entre Europe, Amérique, Asie… Le risque, c’est qu’en les attribuant 10 ans avant, on peut vivre l’arrivée des JO à contretemps de l’esprit originel. Pékin avait été choisie en 2015 pour promouvoir les sports d’hiver auprès de toute la population chinoise, mais la quête voulue s’avère catastrophique pour ces JO 2022. »
En 2008, Gap avait clairement mis en avant un projet plus nature, raisonné en termes de coûts, dont une partie en collaboration avec l’Italie
Dans la tournante des continents, l’Italie, avec Cortina d’Ampezzo et Milan, a été désignée pour les JO d’hiver 2026. Après Paris 2024 pour ceux d’été, l’Europe semble servie. Ses chances de remporter la mise pour 2030 sont donc quasi nulles. Le Japon, avec Sapporo, semble avoir pris une avance décisive sur Salt Lake City, aux Etats-Unis, et Barcelone, qui défend une candidature pyrénéenne.
Pour Jean-Marc Passeron, il semble ainsi « inimaginable que l’Europe soit désignée en 2030, d’où l’incompréhension de la candidature des Alpes du Nord. Pour Gap, en 2008, nous avions clairement mis en avant un projet plus nature, raisonné en termes de coûts, avec une collaboration avec l’Italie pour l’utilisation de la piste de bobsleigh et du tremplin des JO de Turin en 2006. Aujourd’hui, je me dis qu’on avait eu raison, mais trop tôt ! Le monde olympique désirait à l’époque faire des JO d’hiver avec l’esprit que l’on voit à Pékin, pour ce résultat : que de la neige artificielle, pas un arbre à l’horizon. Je pense qu’il a dû revoir sa position depuis… »
L’exemple de la Norvège et de Lillehammer en 1994 pour associer pleinement la population aux Jeux
A la différence de celle portée en 2008 par le territoire Gap-Pelvoux-Ecrins, la nouvelle candidature des Alpes du sud semble partir dans le bon ordre. Le projet gapençais avait été lancé d’une initiative très locale impulsée par la société civile, qu’il fallait au fur et à mesure élargir par des cercles successifs influents. Celui de la Région Sud part d’une décision politique qui paraît déterminée à faire preuve d’entrée de légitimité et d’autorité.
« Pour Albertville et la Savoie en 1992, Michel Barnier avait su incarner cette autorité », note Jean-Marc Passeron, rappelant que « en 2008, on avait voulu associer Marseille à notre projet, avec un budget similaire à celui des JO de Lillehammer en 1994. On nous disait que c’était pertinent de proposer des Jeux humains, resserrés, avec une population locale plus intégrée, comme en Norvège. »
Pour le journaliste Laurent Bellet, les JO devraient pleinement jouer sur l’attrait de Marseille et du Vélodrome
Une candidature plus sincère et connectée aux enjeux environnementaux, qui ramènerait aussi à l’esprit d’Albertville 1992, comme le rappelle le journaliste gapençais Laurent Bellet, qui couvre en ce moment pour France Télévision ses dixièmes JO d’hiver à Pékin. « Le projet pour 2034-38 est bien conçu, estime-t-il, et associer Marseille, la deuxième ville de France, qui possède la plus grande patinoire du pays avec une capacité de 7000 spectateurs, a tout son sens. J’étais présent à Albertville en 1992 pour voir Michel Platini allumer la flamme olympique lors de la magnifique cérémonie d’ouverture confiée à Phillipe Decouflé. Je me dis que demander à Zinedine Zidane d’endosser le même costume au stade Vélodrome aurait du sens, aussi ! Cette région a besoin des JO et les mériterait pour ses atouts : montagnes, soleil, diversité des paysages… Les JO lui permettraient de tracer enfin en termes d’infrastructures une voie ferrée moderne pour mieux avoir accès aux stations et entrer de plain pied dans le XXIe siècle en revendiquant un bilan carbone moins élevé. »
Saisir l’opportunité, comme la Savoie en 1992, de faire naître une desserte ferroviaire contemporaine
Une idée reprise par le porteur du projet Gap 2018, Jean-Marc Passeron. « Comme le dit très bien Jean-Claude Killy, il y a eu un avant et un après JO, avec l’héritage pour les territoires. S’il y a le train en Tarantaise, si les stations savoyardes, à l’image de Méribel, ont pu autant monter en gamme, c’est grâce aux JO 1992. Des Jeux qui pourraient donner à notre région un objectif d’excellence environnementale pour savoir se projeter à 50 ou 100 ans. Le président Muselier vient d’ailleurs de bien planter le décor en posant une question : pourra-t-on avoir cette exigence avec la liaison ferroviaire actuelle ? L’opportunité de faire naître une desserte par rail contemporaine, pour une politique de transports à la fois plus respectueuse de l’environnement, des habitants et des visiteurs, qui ont pris la mauvaise habitude de passer des heures dans les bouchons pour rejoindre nos stations. »
Selon Pierre Vaultier, » ce que font les Chinois à Pékin, il faudra faire l’inverse ! «
Du côté des champions olympiques régionaux, la perspective d’accueillir les JO dans les Alpes du sud suscite un bel enthousiasme. Pierre Vaultier, l’enfant de Briançon, double champion olympique de snowboardcross en 2014 et 2018, six fois vainqueur de la Coupe du monde de la discipline, n’y échappe pas. « Il me manque beaucoup d’informations sur le dossier », concède-t-il, « mais en tant que Haut-Alpin et amoureux de mon territoire, j’ai été surpris par cette annonce. Mais je me suis dit aussi vite, bon, pourquoi pas ? Je l’accueille avec beaucoup d’ouverture, car les JO restent une merveilleuse opportunité, malgré tous les déboires et écueils qui se multiplient à Pékin et arrivent à nous avant même les valeurs du sport et des médailles. C’est une belle leçon à tirer par rapport aux prochaines candidatures. Il y a clairement une direction qu’on va pouvoir se donner : en gros, tout ce que font les Chinois, il faudra faire l’inverse ! »
« Est-ce qu’on ne manquera pas de skieurs avant de manquer de neige ? »
Très critique sur les JO de Pékin, le champion parle de « culot » et de « courage » pour décrire son ressenti sur la candidature 2034-38. « On est dans une période où notre société change beaucoup. Plus que jamais, on doit savoir se mettre autour de la table pour parler de tout ça. Il n’est pas facile d’avoir de grosses ambitions dans le contexte actuel. Je vous avoue avoir un regard très pessimiste sur l’avenir, à la fois des sports d’hiver, de nos stations et de nos montagnes. Les changements globaux et climatiques ne vont pas du tout dans le bon sens. Le manque de neige, le raccourcissement des saisons, le pouvoir d’achat des gens en berne… tout ça pose questions. Est-ce qu’on ne manquera pas de skieurs avant de manquer de neige ? Je me dis que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, et ces ambitions de JO peuvent amener un côté positif. »
Reprendre et vite l’habitude d’organiser des compétitions en ski comme en glace
Pour avoir vécu des JO d’hiver à quatre reprises, le champion olympique pointe clairement de sa planche le ciel bleu des Alpes du sud comme atout quasi imbattable. « Je peux vous dire qu’il n’y a rien de pire que le mauvais temps pour les Jeux, cela gâche complètement la fête !
Après, pour la neige, nous en avons aussi, avec même de la haute-montagne sur certains massifs. En termes de pistes, foncier, technique, on a la matière. Mais cela fait longtemps, en ski comme en glace, que nous n’avons pas accueilli de grandes compétitions. Il faudra remettre cela au goût du jour, avoir la volonté de tous les acteurs pour organiser des compétitions internationales. »
Pierre Vaultier valide à cent pour cent l’esprit de Lillehammer pour défendre le dossier 2034 ou 38 devant le CIO. « Je suis complètement d’accord, et même sous le signe de la décroissance camouflée, car tous les derniers JO ont été organisés sous le prisme de la croissance, en disant : on veut faire mieux que celui d’avant ! Il y a une sorte de surenchère sur les Jeux qui n’a pas lieu d’être et qui est en train de tout dénaturer, dans tous les sens du terme. Alors même que le sport et ses valeurs sont l’inverse, à l’opposé de cet égocentrisme. Je prône une décroissance des JO au niveau de l’utilisation des ressources, de l’envergure de l’événement. Je me dis même que ce serait la seule possibilité de sauvegarder l’événement, car en continuant ainsi, les JO n’ont pas d’avenir. » Pour les sauvegarder, Pierre Vaultier en est convaincu, « il faut aller vers des Jeux plus humains, moins gourmands, qui remettent les athlètes et les performances sportives au premier plan. Ce sont eux qui en portent les valeurs. »
Se tourner vers l’Italie pour utiliser la piste de bobsleigh et le tremplin des JO de Turin en 2006
En termes d’installations sportives, les Alpes du Sud ont tout ce qu’il faut pour le ski alpin et le ski de fond, avec des stations comme Serre-Chevalier, Vars-Risoul, Les Orres, Orcières-Merlette, Pra-Loup ou Isola 2000. Idem pour les épreuves de glace avec Briançon, Gap, Marseille et Nice. Cela se complique pour le tremplin et la piste de bobsleigh, deux équipements toujours très coûteux à construire pour les JO et à entretenir ensuite. « Comme on l’avait proposé pour 2018, on pourrait se tourner vers nos amis italiens », plaide Jean-Marc Passeron, rappelant que « à 15 km de Montgenèvre, vous avez la piste de bob de San Sicario, qui n’est plus utilisée et a coûté 90 millions pour les JO 2006. Et juste à côté de nous aussi, les tremplins qui servent toujours à Sestrières. »
A la tête de l’agence de communication RevolutionR, qui couvre 46 stations des Trois Vallées au Vercors, dont Vars, Serre-Chevalier et Montgenèvre dans les Alpes du Sud, Thierry Auzet tient le même discours. « On peut très bien imaginer des Jeux transalpins dans ce but. Il y a un vrai coup à jouer, c’est une candidature très maline avec nos trois massifs à mettre à l’honneur, trois massifs dans l’air du temps avec plusieurs pistes homologuées. Il nous faut maintenant d’autres soutiens de personnalités pour peser et faire du lobbying auprès du CIO, qui a beaucoup à se faire pardonner après l’attribution des JO à Pékin. Pour une majorité de professionnels de la montagne, c’est l’une des plus grosses hontes de toute l’histoire olympique que de voir là-bas des saignées blanches au milieu des montagnes sans neige. Le CIO pourrait se refaire la cerise en désignant un projet comme celui des Alpes du Sud, pour se rapprocher de l’esprit de Lillehammer. »
Le CIO demandera à chacun : êtes-vous capables de pouvoir répondre à ce cahier des charges ?
Dernier point et non des moindres, l’entente scellée entre Renaud Muselier et Christian Estrosi, maire de Nice, pour associer les Alpes-Maritimes à cette candidature, qui est donc bien celle de toute la région. Une entente qui permettrait de rapprocher et fluidifier la remontée depuis la mer Méditerranée et la Promenade des Anglais vers les Hautes-Alpes. Un bel enjeu d’équilibre territorial à porter haut et fort, là encore.
« Pour les épreuves de glace, ce que pourrait apporter l’image de la Côte d’Azur est énorme », assure Jean-Marc Passeron, qui sait d’expérience le caractère aléatoire d’une telle candidature. « Comme d’autres, je ne suis qu’un observateur avisé, mais je pousse », explique-t-il en toute modestie, rappelant toutefois que « ce sont la France, puis le CIO, qui pousseront à la fin et décideront. Avec un CIO qui demandera à chacun : est-ce que vous êtes capables de répondre à ce cahier des charges ? »
Aux dernières nouvelles, Jean-Claude Killy, déjà favorable à la candidature gapençaise en 2008, verrait d’un très bon œil celle des Alpes du Sud. A l’époque, la légende du ski français avait d’ailleurs consolé les Haut-Alpins de leur défaite, assurant qu’ils étaient dans le vrai question état d’esprit, mais avec trop d’avance… En 2034 ou 2038, la revanche pourrait être au rendez-vous.
cet article vous a plu ?
Donnez nous votre avis
Average rating / 5. Vote count:
No votes so far! Be the first to rate this post.