Les dons d’organes en chute à Marseille, des médecins s’engagent

C'est une vérité, terrible, que peu de gens connaissent : 823 personnes sont décédées l'an dernier car il n'y avait pas de coeur, de poumons ou de foie disponibles pour les greffer. Et pourtant ! Ces organes sont théoriquement là mais de plus en plus de familles refusent le prélèvement sur leur proche décédé accidentellement. A Marseille, ce taux de refus a explosé à 60% en 2023 ! C'est pourquoi MProvence engage avec les médecins de l'APHM une campagne d'information qui démarre ce jeudi 17 octobre à l'occasion de la Journée mondiale du don d'organes.

Santé

Le Pr Jean Hardwigsen ne décolère pas. Ce spécialiste de la greffe de foie à l’hôpital de la Timone à Marseille ne comprend pas que tant de familles refusent que les médecins prélèvent certains organes sur leur proche en état de mort cérébrale. Le chirurgien fulmine car on n’a jamais connu une telle situation : le taux d’opposition a dépassé 60% en 2023 à Marseille quand il était à 36% à l’échelle nationale.

Pr Jean Hardwigsen, chirurgien spécialiste de la greffe de foie au CHU Timone.
Pr Jean Hardwigsen, chirurgien spécialiste de la greffe de foie au CHU Timone.

Difficile d’expliquer ce recul dans la générosité et la solidarité, sinon par la flambée de l’individualisme, le repli sur soi, l’envie de dire « merde » à la société comme le pressent un médecin, ou par des croyances religieuses officiellement infondées quant à l’intégrité du corps qu’il faudrait préserver à tout prix pour accéder à l’au-delà. Quasiment toutes les religions, monothéistes en tête, se déclarent favorables au don d’organes.

A Marseille, des patients morts faute d’organes disponibles

Le problème est crucial, car en face des enfants et des adultes meurent faute d’un coeur ou de poumons nécessaires en urgence. Exactement 823 l’an dernier en France, dont une vingtaine d’enfants. « Si vous saviez dans quel état sont vos organes dix jours après votre mort, vous préféreriez les donner à un patient qui en a besoin pour vivre ! » grince le Pr Hardwigsen.  La professeur Valérie Moal, néphrologue et présidente de la commission de transplantation des Hôpitaux de Marseille confirme : « Des patients décèdent chez nous faute de coeurs, de foies et de poumons disponibles. »

Pr Valérie Moal, présidente de la commission de transplantation de l’APHM.

L’an dernier, on a greffé 5 633 organes en France, dont 277 au sein de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille (147 reins adultes et 6 reins enfants, 56 foies adultes et 7 foies enfants, 21 coeurs adultes et 3 coeurs enfants, 37 poumons adultes). La majorité des transplantations concernaient des reins. Ces malades ne meurent pas grâce à la dialyse qui permet la filtration du sang. Mais pour ceux dont le coeur flanche ou les poumons s’obstruent inexorablement,  ou encore les victimes d’une hépatite fulminante, il n’y a que la greffe qui peut les sauver. Ces pathologies peuvent frapper absolument tout  le monde. D’où l’impuissance des soignants face au refus croissant des familles. Faute d’organes, ils ne peuvent pas soigner.

11 000 Français en salle d’attente !

La crise du Covid a visiblement bouleversé la donne, là aussi. On observe une légère hausse des greffes en 2023 par rapport à 2022, mais on n’a pas rattrapé le niveau (déjà pas flamboyant) de 2019. Cette année-là on avait greffé en France 425 coeurs contre 384 en 2023, 384 poumons contre 298, 1 356 foies contre 1 343, 3 643 reins contre 3 525 l’an dernier. Le taux d’opposition est passé de 33% en 2022 à 36,1% en 2023. L’âge moyen des donneurs décédés prélevés était de 57,8 ans.

Au 1er janvier 2024, l’Agence de Biomédecine recensait 21 866 patients en attente de greffe dont 11 422 en liste active. Une file qui ne fait que s’allonger.

On est presque tous d’accord mais…

La Coordination hospitalière des dons d’organes n’a que quelques heures pour organiser un prélèvement d’organes après qu’un hôpital de la région lui a signalé une personne en état de mort encéphalique. Ensuite l’Agence de Biomédecine dispatche le coeur, les reins, les poumons, le foie ou le pancréas qui ont été minutieusement retirés au bloc opératoire. Ils seront transplantés aux malades parfois en état d’urgence ou à bout de souffle, et bien sûr compatibles avec le donneur. Ainsi des organes prélevés à Lyon ou Toulouse peuvent partir généralement en avion ou par TGV à Nice, Rennes, Strasbourg ou Marseille.

Paradoxalement, la loi française indique depuis 1976 que toute personne est automatiquement donneuse d’organes sauf si elle a manifesté son opposition en s’inscrivant sur le registre national des refus. Une infime minorité de nos concitoyens l’a fait. Quand on les interroge, 8 personnes sur 10 se disent d’ailleurs favorables au don de leurs organes s’il leur arrivait malheur.

…on ne l’a pas dit à ses proches ! »

Mais pourquoi dans la réalité est-ce l’inverse qui se produit ? « C’est la plus mauvaise question que l’on pose aux familles au plus mauvais moment » reconnaît la Dr Véronique Delaporte, responsable chirurgicale de la greffe rénale à Marseille. « Elles sont effondrées par le drame qui survient avec la perte brutale d’un fils ou d’un frère à la suite d’un accident de la voie publique ou d’un AVC massif par exemple. On vient, toujours avec tact, leur demander si elles accepteraient le prélèvement des organes pour sauver d’autres vies. On leur explique comment ça va se passer et qu’on leur rendra le corps sans modification de son aspect. C’est dur à entendre, surtout que les gens voient le corps chaud maintenu en vie par des machines, comme si la personne dormait. Souvent ils répondent qu’ils ne savent pas ce qu’aurait voulu la personne et ils préfèrent donc s’abstenir de donner. Heureusement, certains d’entre eux acceptent encore, ils préfèrent que les organes de leur proche continuent à vivre dans des malades qu’ils ne connaîtront jamais. Mais ces dons ne sont pas suffisants. »

La Dr Véronique Delaporte (CHU Conception) lors d’une greffe de rein en octobre 2024, avec le Dr Abel Tadrist.

La loi, on s’assoit dessus

Et la loi, on s’assoit dessus, direz-vous ? Car depuis 1976 elle autorise le prélèvement, sauf si vous êtes inscrit sur le registre national des refus comme l’ont fait seulement 300.000 Français sur 67 millions de citoyens. Le principe qui prévaut depuis 48 ans dans notre pays est donc celui du consentement présumé de tous les Français. Tous donneurs d’organes ! C’est la théorie. Car la réalité est tout autre. Aucune équipe médicale ne prélève des organes sur un patient en état de mort cérébrale sans le consentement de ses proches.

Le « consentement présumé » ne tient plus en effet face à la réalité d’une famille effondrée, parfois énervée, assaillie par un sentiment d’injustice engendré par une mort brutale qui les frappe de plein fouet. Dans la pratique, il est inenvisageable pour les médecins de s’opposer au choix d’une épouse, d’une mère ou d’un fils en réalisant de force un prélèvement d’organes sur leur défunt maintenu en vie artificiellement.

Autour du corps dont le cerveau est irrémédiablement détruit – à ne pas confondre avec le coma -, mais où les autres organes et la circulation sanguine sont maintenus en activité quelques heures supplémentaires grâce aux machines, les chirurgiens venus de toute la France s’activent et repartent au plus vite avec les greffons prélevés pour sauver des vies aux quatre coins du pays. Le corps est ensuite rendu à la famille avec un aspect tout à fait normal, l’abdomen ayant été refermé comme lors d’une intervention chirurgicale.

Le don d’organes est la SEULE solution

Et n’essayez pas de botter en touche en imaginant qu’on n’a qu’à mettre des coeurs et des reins artificiels. Ou des reins de cochon comme cela a été testé aux Etats-Unis. Les médecins sont formels : ça ne marche pas. « Les organes artificiels sont au stade de la recherche, point, résume le Dr Geoffroy Brioude, chirurgien pulmonaire à l’Hôpital Nord de Marseille. Les xénogreffes – les greffes d’organes animaux – ne seront pas d’actualité sans doute avant plusieurs dizaines d’années. On ne peut pas compter sur ça pour soigner les gens et les empêcher de mourir. »

Ah oui, vous pensez aussi que votre papa mort à 68 ans d’un AVC est trop vieux pour donner ? Perdu ! « Il n’y a pas d’âge limite ni pour donner ni pour recevoir« , rappelle la Pr Valérie Moal. Si son état général le permet, on peut recevoir un rein à 80 ans voire plus et ainsi échapper à la très contraignante et épuisante dialyse.

On a tous le pouvoir d’inverser la tendance

Que faire pour changer la donne ? On pourrait faire comme dans certains Etats américains : votre choix est inscrit sur votre permis de conduire. Au moins vous vous êtes posé la question et avez dû y répondre. Mais en France ? Il y a une chose essentielle à faire : dire à ses proches qu’on est favorable au don de ses organes. Ainsi, en cas de malheur, leur réponse à la question des médecins sera alors évidente. Et votre volonté profonde sera respectée.

Parce que la situation est grave – encore plus à Marseille qu’ailleurs – nous avons décidé avec l’équipe de MProvence et l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille de nous engager conjointement à parler du don. Nous débutons nos actions ce jeudi 17 octobre, qui est  traditionnellement la Journée Mondiale du don d’organes, avec plusieurs opérations.

Les lycéens, fers de lance

D’abord, nous entamons une campagne d’information intitulée « Je donne, tu donnes, il donne » via les réseaux sociaux. Plusieurs d’entre nous ont tagué leur profil en vert, couleur du don et de l’espoir, avec le slogan « Je suis donneur/donneuse ». Nous amorçons simultanément une série de conférences mensuelles – jusqu’à fin 2025 – auprès des lycéens puisque chaque individu de plus de 13 ans est libre de se prononcer sur le sujet.

Ce jeudi c’est le lycée Saint-Charles Camas à Marseille 5e qui ouvrira le feu en accueillant la chirurgienne Véronique Delaporte, une infirmière de la Coordination Hospitalière pour le Don d’Organes, Marion Jacquin, et une jeune greffée aixoise, Virginie. Le lycée technique Perrimond accueillera également une réunion conduite par la Dr Sandrine Wiramus de l’Agence de Biomédecine, avec le Dr Marco Caruselli, médecin de la Coordination Hospitalière pour le Don d’Organes, et Matthieu Courtines, l’infirmier coordinateur.

Pourquoi miser sur les lycéens ? Eh bien tous les parents le savent : quand un élève est intéressé par un sujet, une expérience, il en parle le soir à table. Et ainsi la sensibilisation est démultipliée. Après, que l’on soit pour ou contre, l’essentiel est de le dire.

Marseille accueille la France de la transplantation

Et puis, peut-être est-ce un signe pour Marseille : du 3 au 6 décembre, la ville accueillera le congrès de la Société Francophone de Transplantation. L’occasion de poser la spécificité marseillaise sur la place publique et d’interpeller la population sur un choix de société fondamental : nous avons le pouvoir de sauver des vies. Le voulons-nous ?

A cette occasion, MProvence et l’APHM organiseront une conférence publique mercredi 4 décembre à 18h30 au Centre des congrès du Pharo (58 Bd Charles Livon, 13007 Marseille). Médecins, infirmiers et greffés témoigneront que ça peut arriver à tout le monde. De donner. Ou de recevoir pour avoir la vie sauve. Ils expliqueront en détail les enjeux médicaux et sociétaux. Ce sera un très beau moment d’apprentissage et d’échange auquel tous nos lecteurs sont invités.

A Marseille, 700 patients attendent une greffe !

La prise de conscience est-elle déjà à l’oeuvre ? Au 9 octobre le taux d’opposition au prélèvement d’organe en 2024 dans la deuxième ville de France avait reculé à 53%. C’est déjà mieux que les 60% de 2023 même si c’est encore une nette majorité des familles qui refusent le don. Sans doute pour des tas de raisons qui leur semblent légitimes, elles ne permettent pas aux organes de leur disparu de sauver des vies.

Ne relâchons pas l’effort. Car rien qu’à Marseille toujours, plus de 700 patients sont en attente d’une greffe d’organe.

Inscription conférence à la conférence du 4 décembre prochain

Le don, comment ça marche ? Qui peut en bénéficier ?
Une conférence en présence des médecins experts des Hôpitaux de Marseille et à l’occasion du congrès international de la Société Francophone de Transplantation mercredi 4 décembre à 18h30 au Centre des congrès du Pharo

Cliquez ici  pour vous inscrire à la conférence  : https://forms.gle/Bq6YjgGg1LPnc9W46

🎟️ Entrée libre et gratuite
📍Centre des congrès du Pharo, 58 boulevard Charles Livon, 13007 Marseille – Entrée libre

 

 

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