Si l’on se penche sur l’hygiène bucco-dentaire, dans quel état sont les dents des Français ?
Professeur Delphine Tardivo : L’hygiène bucco-dentaire est insuffisante. Elle est sous-valorisée. Les dents des Français pourraient être en bien meilleur état. Une des dernières études, réalisée en 2016, de plus fondée sur du déclaratif où l’on a tendance à surestimer, montrait que 30% de la population déclarait un seul brossage maximum par jour. Ce qui ne suffit pas. Il faudrait 4 brosses à dents par an et 6 tubes de dentifrice par personne, et sur le déclaré on était à 2 brosses à dents et 3 tubes de dentifrice.
Une ou deux visites par an chez son dentiste
Le brossage régulier des dents suffit-il à bien entretenir sa bouche ?
On recommande deux brossages par jour, un matin et un le soir, 2 à 3 minutes selon que vous avez une brosse électrique ou manuelle. Le brossage également des espaces interdentaires soit avec du fil soit avec des brossettes, ou avec les deux. Mais cela ne suffit pas. Il faut un contrôle chez un professionnel de santé une à deux fois par an, pour éventuellement un détartrage et essayer de prévenir les pathologies.
Faut-il systématiquement utiliser une brossette ?
Au moins une fois par jour.
Quel type de brosse privilégier, électrique ou manuelle ?
L’important est que la qualité du brossage soit là. On peut se faire conseiller par son chirurgien-dentiste. Il est vrai que les nouvelles brosses à dents électriques permettent d’arriver à des brossages optimaux car il y a des capteurs de pression, un tas d’applis sur le téléphone pour être sûr qu’on a brossé partout, assez longtemps. Cela a un côté ludique, complétement culturel et générationnel, qui fonctionne bien. Mais un bon brossage manuel peut suffire à enlever la plaque et à rester en bonne santé.
Diabète, endocardites, maladies pulmonaires
On connaît les caries, l’inflammation des gencives, le dépôt de tartre. Quelles en sont les causes et peut-on les éviter ?
Nous avons une prolifération dans la bouche de bactéries pathogènes. On a tous un microbiote oral qui assure la bonne santé buccale puisque la bouche n’est pas un milieu stérile. Mais certaines bactéries sont soit cario-ondonto-pathogènes – elles font les caries -, soit parodonto-pathogènes et causent les problèmes d’ordre gingival et parodontal, au-delà de la gencive, ce qui est le tissu de soutien de la dent comme l’os. Ces bactéries se nourrissent des résidus alimentaires – comme le biofilm ou la plaque qui restent collés aux dents et ne sont pas enlevés ni par le brossage ni par les brossettes ni par le chirurgien-dentiste si on n’y va pas assez régulièrement. Du coup, cette prolifération bactérienne va amener soit une inflammation des gencives, avec des gingivites et si ça s’aggrave des parodontites avec une perte des tissus soutiens de la dent, soit des caries.
Quelles peuvent être les conséquences de dents mal entretenues ou mal soignées? Est-il vrai que cela peut générer des pathologies cardiaques ?
Pas directement. En revanche, c’est vrai qu’un mauvais état de santé bucco-dentaire peut avoir un impact au niveau de la santé générale. On sait qu’il y a des interactions entre le diabète et les maladies parodontales. Une telle maladie présente, active, non traitée, peut empêcher d’arriver à équilibrer un diabète. A contrario un diabète peut avoir des conséquences sur l’évolution de la maladie parodontale. On va retrouver ce type d’interaction au niveau des pathologies cardiaques. N’étant pas stérile, la bouche peut être une porte d’entrée pour certaines bactéries pouvant causer des endocardites infectieuses. Cela peut interagir également au niveau de certaines pathologies pulmonaires. D’où l’importance d’avoir une bonne santé bucco-dentaire pour éviter de dégrader sa santé générale.
Cancers oraux : une fin de vie terrible
La bouche, ce n’est pas que les dents. D’autres pathologies peuvent survenir comme des cancers. Une bonne hygiène peut-elle là encore prévenir leur apparition ?
Oui et non. Les facteurs de risque principaux des cancers oraux sont le tabac, l’alcool, et le cannabis de plus en plus. On a 5 000 nouveaux cas de cancers oraux par an. Ils sont mal diagnostiqués, tardivement, avec une prise en charge moins efficiente et un pronostic qui se dégrade rapidement. C’est une catastrophe. On a un taux de survie à 5 ans très faible et dans des conditions de vie absolument terribles. D’où l’importance d’un diagnostic précoce grâce aux consultations de prévention.
Le tabac, l’alcool, le cannabis peuvent causer l’apparition de cancers. La mauvaise hygiène va faire que ça va être entretenu. Le manque de consultation, de prévention et de contrôle va risquer de retarder le diagnostic, mais la cause en elle-même risque d’être le tabac, l’alcool et le cannabis.
Le tabac a donc un impact délétère sur l’état des dents ?
Oui. Comme sur l’état des gencives, des muqueuses et sur l’état de santé général.
Mauvaise haleine : et si c’était vos dents ?
La mauvaise haleine est un calvaire pour certaines personnes. est-il possible de s’en débarrasser ?
Absolument ! Si elle est d’origine dentaire et qu’elle ne vient pas d’un problème digestif. Là encore lz solution c’est le brossage, le contrôle régulier et les soins des dents infectées qui créent une mauvaise haleine.
Je ne connais personne qui ne tremble pas à l’idée d’aller chez le dentiste. Les anesthésies locales font souvent un mal de chien et le réveil est douloureux. Cela changera-t-il un jour ?
Ce n’est plus aussi douloureux que cela pouvait l’être il y a quelques années voire quelques dizaines d’années. Beaucoup de progrès ont été faits et sur les méthodes d’anesthésie et sur le matériel. Malheureusement on garde cette mauvaise réputation que l’on fait mal à différents niveaux. Les anesthésies font moins mal. On peut aussi disposer en odontologie d’un arsenal d’outils annexes pour aider à cette prise en charge. Il y a la Meopa avec la sédation consciente grâce au protoxyde d’azote, l’hypnose, la RESC (Résonance énergétique par stimulation cutanée)… Si vraiment les patients sont angoissés, il ne faut pas que cela constitue ni un frein ni une limite au recours au chirurgien-dentiste.
Le coût astronomique des prothèses
Est-il justifié que les soins dentaires soient aussi chers, notamment dès qu’il s’agit de se faire poser des prothèses pour lesquelles le remboursement par la Sécurité sociale est ridiculement bas ?
Dans les autres disciplines, ce n’est pas que les soins ne sont pas chers, mais qu’ils sont remboursés. Donc ils « ne coûtent pas ». Comme des soins dentaires, et notamment les prothèses, ne sont pas remboursés, on a l’impression que c’est très cher. Tout a un coût, mais dans toutes les disciplines médicales il n’est pas forcément à charge du patient. C’est tout l’intérêt de la prévention. Ces actes de prévention sont peu connus des patients, sont souvent peu expliqués notamment en libéral où sont suivis la plupart des patients, et sont peu valorisés, contrairement aux pays scandinaves. 37% des Français déclarent avoir recours au chirurgien-dentiste une fois par an de façon préventive versus 70% au Danemark. On est à la moitié. En développant cette prévention, soit on empêche la pathologie d’arriver, soit on la prend suffisamment tôt pour pouvoir s’en tenir à des soins restaurateurs qui eux sont complétement pris en charge et ne pas arriver à ces dépenses de santé liées à la prothèse parce que l’indication de mettre en place des prothèses n’existe plus. D’où l’intérêt encore une fois de la prévention.
La bouche des enfants s’est rétrécie…
Dans le même ordre d’idée, on a l’impression que si on n’envoie pas son enfant chez l’orthodontiste on est un mauvais parent. Est-ce une mode, coûteuse en cas de soins, ou bien les dents de nos enfants sont-elles si mal implantées ?
Tous les enfants n’ont pas forcément besoin d’un traitement orthodontique. Effectivement, il y a plus de besoins de ce type de traitement qu’il y a quelques générations. La forme et la taille des arcades dentaires se sont modifiées au fil des années et des décennies, notamment en raison des modifications dans notre alimentation, du type d’alimentation, par exemple la mastication est beaucoup moins sollicitée. Du coup on a beaucoup moins de place sur les arcades. Donc autant de dents qui prennent autant de place sur des arcades plus petites ne peuvent plus être alignées naturellement. D’où l’augmentation de cette proportion d’enfants qui ont une nécessité de réaligner leurs dents.
A quel âge un enfant doit-il consulter un dentiste pour la première fois ?
Dès la première dent de lait ! Faire cela petit, cela permet de dédramatiser, l’enfant monte sur le fauteuil, ça fait un peu manège. On voit que le dentiste n’est pas si méchant que ça ! Il jette juste un coup d’oeil global. Cela permet de vérifier le brossage et qu’il rentre dans les habitudes d’hygiène corporelle et d’hygiène alimentaire.
Demandez conseil à votre dentiste
Faut-il utiliser un dentifrice aux propriétés particulières ou bien est-ce surtout le brossage qui compte et alors un dentifrice de base suffira ? Et faut-il se brosser la langue ?
Concernant la langue, c’est à la discrétion de chacun. Des patients aiment, d’autres non, ça ne changera pas grand-chose. Concernant le brossage, c’est surtout cette action qui est fondamentale. En fonction de chacun, on va pouvoir s’orienter vers différents types de dentifrice pour les hypersensibilités dentaires, enrichis en fluor pour les personnes plus susceptibles au développement de caries. Il y a des dentifrices plus orientés pour les gens ayant des problèmes au niveau des gencives et du parodonte. L’important est de brosser et de ne pas hésiter à demander à son chirurgien-dentiste si leur brossage est optimal ou pas. Parfois quelques conseils, qui pointent par exemple qu’à cet endroit là ce n’est pas optimal, peuvent résoudre un certain nombre de choses et prévenir l’apparition de problèmes.
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