Depuis le milieu des années 2010, le nombre de brasseries artisanales explose sur le territoire alpin – et ailleurs en France. Une réalité dont le collectif La Bière de Provence, Agribio 04 et la Coopération agricole sud ont pris la mesure, il y a déjà plusieurs années.
Aux côtés d’agriculteurs et de brasseurs, tous travaillent ainsi à la structuration de deux filières de production locale de houblon et de malt d’orge, avec le soutien de la Région et de l’Union européenne, via le Feader. Ces cultures sont en effet trop peu développées et structurées en Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, ce qui complique le travail de ces petites brasseries artisanales qui aimeraient pouvoir s’approvisionner localement mais ne le peuvent pas.
Permettre l’émergence d’une filière locale
Cette volonté de structurer la filière pour faire naître une interprofession remonte à 2018. Depuis, l’association La Bière de Provence, qui regroupe des brasseurs, des cavistes et des agriculteurs, œuvre à l’émergence d’une filière locale. Sans perdre de vue les implications de la crise sanitaire, car l’association était jusque là principalement tournée vers l’événementiel, avec l’organisation de moments festifs autour de la bière.
Dans les départements alpins, l’un des chefs de file de ce mouvement est Nicolas Garcin, fondateur de la brasserie de Serre-Ponçon. « Cela fait six ans que j’ai monté ma brasserie, explique-t-il, mais il était très compliqué de trouver du houblon local. Depuis quatre ans, je me suis donc rapproché d’une agricultrice qui exploite 2000 m² en houblon à Chorges, mais cela ne suffit pas. D’autant plus que de nouvelles brasseries ne cessent de s’ouvrir dans les deux départements », accentuant un peu plus la demande en matières premières produites localement.
Près de 150 brasseries en Paca
En 2021, la France comptait 2500 brasseries, dont 130 en Provence-Alpes-Côte d’Azur – un chiffre qui ne tient pas compte des ouvertures récentes. Et toutes ces structures sont obligées de s’approvisionner dans les deux régions productrices françaises, l’Alsace et les Hauts-de-France, voire en Belgique ou en Allemagne pour le malt et aux États-Unis ou en Nouvelle-Zélande pour le houblon.
Pour pallier ce problème, la décision a été prise de lancer une expérimentation variétale sur des cultures de houblon en climat méditerranéen, mais également sur l’orge, toujours à des fins brassicoles. Sept parcelles test de houblon ont donc été mises en place. Depuis 2019, leur suivi agronomique est assuré par Agribio 04. L’objectif est de déterminer si le houblon est adapté au terroir provençal et si la production est satisfaisante.
Essais d’acclimatation
Pour ce qui est de l’adaptation, rappelons qu’on trouve du houblon à l’état sauvage dans les Alpes-de-Haute-Provence, ce qui laisse présager une bonne acclimatation pour cette plante dont les arômes sont étroitement liés au terroir et aux pratiques culturales. Il en existe d’ailleurs plus de 300 variétés, commercialisées à des tarifs élevés et parfois soumises à des royalties sur la production car elles sont brevetées.
L’objectif, à terme, est de créer une variété locale, productive et qualitative, même si le développement variétal est une activité compliquée, sans garantie de résultat. Les spécialistes parlent d’ailleurs d’un coût moyen de 100 000 € par an pour donner naissance à une nouvelle variété, sachant que la plante ne produit qu’au bout de trois ans.
Premiers résultats encourageants
Les parcelles test sont réparties dans toute la région, sauf les Alpes-Maritimes. Les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence en accueillent une chacun. Les premiers résultats montrent une hétérogénéité liée au respect plus ou moins rigoureux des itinéraires techniques, mais les meilleures parcelles se rapprochent des rendements alsaciens.
L’un des grands enjeux de cette culture est l’irrigation, car le houblon réclame en moyenne 12 litres par jour et par plant pendant la pleine période de croissance. Il faut donc des ressources en eau durables dans le temps pour l’implantation.
Florian Mongin et Karl Gobyn, les pionniers
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, Florian Mongin (à Reillanne) et Karl Gobyn (à Forcalquier) ont été les premiers à se lancer dans l’implantation de houblonnières professionnelles. Les deux agriculteurs ont planté chacun deux hectares de houblon et Karl, ancien régisseur de théâtre, entame en 2022 sa première année de production à grande échelle.
« J’étais en recherche de reconversion et le boom des brasseries m’a donné cette idée, raconte Florian. En 2018, je me suis donc lancé dans un BPREA à Gardanne, comme Karl. Les démarches engagées pour la structuration de la filière et les premiers résultats très encourageants ont grandement facilité mon installation, car cela a rassuré mes interlocuteurs qui ne connaissaient pas cette culture. »
Premières dégustations
Les premiers brassages réalisés en 2021 ont été concluants et une dégustation a même été organisée en décembre à l’Université européenne des saveurs et des senteurs (UESS) de Forcalquier, avec une vingtaine de brasseurs et houblonniers autour du zythologue Emmanuel Girard, un spécialiste de la bière comme l’est l’oenologue pour le vin.
Le projet houblon s’achevant cette année, les acteurs impliqués pensent déjà à la création d’un GIEE pour continuer à travailler de concert et obtenir des financements collectifs. C’est ainsi qu’en janvier, l’association Houblon de Provence a vu le jour. Florian Mongin en est le président et la représente au sein de “Houblon de France”, qui fédère les néo-houblonniers à l’échelle nationale.
L’orge et le malt aussi
Le second projet concerne l’orge et le malt. Il est piloté par la Coopération agricole Sud, avec Agribio 04, Arvalis, l’Inrae et La Bière de Provence, et porte sur la culture d’orge brassicole. Une étude de faisabilité pour la création d’une malterie est également prévue.
Afin d’identifier les freins et les leviers de la production d’orge brassicoles, trois parcelles ont été suivies en 2021, deux dans le 04 et une dans le 13. En 2022, ce sont une dizaine de parcelles réparties dans la région qui seront évaluées. Parallèlement, une plateforme accueille des essais sur différentes variétés.
Ces expérimentations sont couplées à une étude de rentabilité économique de l’orge brassicole pour les producteurs. Au-delà de l’intérêt des brasseurs, ce projet a aussi pour but de redynamiser la production de céréales dans les Alpes, par la mise en place de nouvelles filières rémunératrices pour les producteurs. Si c’est le cas, l’avenir des brasseries artisanales sera plus facile à assurer.
Alexandra Gelber
Contacts :
- La bière de Provence : Thomas Narcy, Tél. : 06 60 54 18 73 ou malt-houblon@labieredeprovence.fr
- Agribio 04, projet houblon : Victor Frichot, Tél. : 06 86 17 68 62 ou maraichage04@bio-provence.org
- Agribio 04, projet orges-malts-bières : Gwladys Fontanieu, Tél. : 07 44 50 30 67 ou grandes-cultures@bio-provence.org
- La coopération agricole sud, projet orges-malts-bières : Sandrine Regaldo, Tél. : 07 76 91 28 80 ou sregaldo@sud.lacoopagri.coop
- Houblon de Provence : Florian Mongin, Tél. : 06 16 41 09 14 ou contact.houblondeprovence@gmail.com
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