Les saisons théâtrales marseillaises : Coup de projecteur sur les artistes femmes

Un signe des temps ?

Serait-ce là un effet de la nouvelle obligation des structures culturelles du spectacle vivant de jouer la parité au risque de perdre les subsides du Ministère de la Culture ? Depuis l’annonce, puis l’instauration de cette subordination du versement des subventions ministérielles au respect de l’égalité femmes/hommes au Cinéma, en Musique puis dans le Spectacle Vivant, entre 2019 et 2022, les discours des directeurs et directrices de lieux culturels ont évolué.

Pas qu’un peu ! Alors qu’il y a une dizaine d’années, ils et elles peinaient à trouver des femmes leaders dans leur domaine respectif : « il n’y en a que très peu, elles sont rares dans le milieu » nous disait-on avec circonspection, aujourd’hui, comme par hasard, ils et elles ont changé leur fusil d’épaule : « il existe de nombreuses femmes artistes de talent, il suffit de les chercher et on les trouve ! » s’exclame-t-on.

Toucher les administrations culturelles au portefeuille semble porter ses fruits, même si le milieu culturel reste encore l’un des plus touchés par l‘invisibilisation des femmes.  A ce propos, nous vous conseillons le petit ouvrage de Reine Pratt sur le sujet, « Exploser le plafond ! Petit précis de féminisme à l’usage du monde de la culture ».  Les préjugés ont la vie dure. Néanmoins, réjouissons-nous mesdames et messieurs, puisque cette année, à l’affiche de l’Opéra, de la Criée, du Toursky et des Théâtres, les artistes femmes ont le vent en poupe.

« Femmes, femmes, femmes »

A l’Opéra, bien que les héroïnes inspirantes ne soient point absentes du répertoire lyrique avec ses personnages éponymes Elisabetta, regina d’Inghilterra, Giovanna d’Arco et Carmen programmées cette saison aux côtés de Macbeth, l’Auberge du Cheval Blanc, Nabucco ou Les Huguenots, la Soprano reste trop largement en second plan derrière le Ténor.

Néanmoins, pour la 39ème édition des Journées européennes du Patrimoine, l’Opéra Municipal de Marseille a offert un récital dédié aux « compositrices » interprété par la soprano Émilie Bernou, la mezzo-soprano Alina Synelnykova et la contralto Christine Tumbarello accompagnée par Caroline Dauzincourt au piano sur le thème de « La Voix dans tous ses états…Rien de grave dans les aigus…de la Contralto en passant par la Mezzo-Soprano jusqu’à la Soprano » avec des extraits d’œuvres de Clara Schumann, Augusta Holmes, Isabelle Aboulker, Mel Bonis.

De même, un concert donné par l’Orchestre Philharmonique de Marseille, dirigé par Clélia Cafiero, jeune cheffe italienne déjà invitée à Marseille, avec la soprano Ludivine Gombert, rendra hommage aux femmes compositrices à l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, à l’auditorium du Pharo, à 20h tapantes.

« Une première bienvenue », précise Lawrence Foster, le chef associé de l’Opéra. L’occasion de découvrir des extraits d’œuvres de Louise Farrenc dont l’ouverture n°1 en mi mineur opus 23 est selon Maurice Xiberras, le directeur de l’Opéra, « une merveille saluée par les critiques de l’époque » ou encore Lili Boulanger qui surclassa les compositeurs masculins en 1913 au prix de Rome et Mel Bonis à laquelle on refusa la participation à ce même prix en 1881 du fait qu’elle était une femme.

Bien entendu, la saison lyrique, philharmonique et théâtrale de la grande Maison est riche en découverte et en spectacles, que ce soit à l’Opéra ou à l’Odéon avec ses opérettes et ses comédies. Sans oublier l’accueil du festival les Musiques Interdites, la dernière création du Ballet Julien Lestel autour de la figure de Rodin et ses activités culturelles à destination des jeunes pousses.

« Femme libérée »

Clap de fin pour Macha Makeïeff, dont la saison 2022/2023 porte le sceau nostalgique de son empreinte à la Criée. Pour cet adieu, elle continue le travail mené avec les compagnies associées et les metteuses en scène qu’elle a contribué à faire connaître, à l’image de Thiphaine Raffier qui présente sa dernière création « la Chanson – Reboot » du 10 au 13 mai à 20h.

Après la mise à feu de la Criée, les 24 et 25 septembre, Jeanne Balibar s’empare des textes de trois historiennes-autrices ayant contribué par leur combat à la libération des femmes, l’esclave Páscoa, la parricide Violette Nozière et l’actrice Delphine Seyrig.

Qu’il s’agisse de spectacles jeunes publics avec « les petites géométries » du 3 au 5 novembre, de concerts avec « Birds on a wire » le 12 décembre, de créations théâtrales avec « Viva Frida » du 13 au 15 janvier ou « Mister Tambourine Man » du 19 au 21 janvier, deux mises en scènes signées Karelle Prugnaud, « Liebestod » d’Angélica Liddell du 9 au 11 février, voire « COSMOs » de Julie Villeneuve les 30 mars et 1^er avril pour ne citer que ces quelques propositions parmi la soixantaine de levers de rideau, les femmes impriment de leur empreinte cette ultime saison de Macha.

Ce n’est pas la metteuse en scène et ancienne directrice du théâtre national* pour laquelle « programmer des femmes est une évidence » qui nous contredira.

*Robin Renucci lui succède à la tête de l’institution depuis le 1^er juillet 2022.

 « La poupée qui fait non ! »

Au Toursky, la programmation est riche en personnalités féminines au caractère bien trempé : musiciennes, chanteuses, comédiennes ou encore metteuses en scène traversent une saison éclectique.

Le collectif Eclosion 13 invite le public aux « Jupes de ma mère », mise en scène par Dominique Sicilia le 8 novembre à 21h. C’est une revue musicale sur les femmes, certaines connues, d’autres éclipsées par leur homologue masculin, ayant marqué notre histoire : de Jeanne d’Arc à Olympe de Gouges en passant par Louise Michel, les comédiennes croquent avec tendresse et humour des personnages historiques forts, placés dans des situations parfois insolites.

De scènes désopilantes, lorsqu’il s’agit de critiquer l’époque où les femmes étaient cantonnées au foyer en ensemble choral bien orchestré, elles nous font passer de la danse au chant et au jeu, le tout accompagné de compositions originales, jouées en live par les Poulettes. Elles régalent même les plus réticents au genre.

Avec « Fadhma et Louise, 1871, le cri des peuples », le collectif Manifeste Rien brosse du 22 au 25 novembre à 21h (sauf le 24, relâche et le 23 à 19h) un portrait croisé de deux femmes d’exception ayant conduit les luttes sur fond d’histoire coloniale : Louise Michel pour la Commune, Fadhma N’Soumer pour l’insurrection Kabyle (voir notre interview). Le 7 février à 21h, Natasha Bezriche dans « Dames Brunes » propose un tour de chant autour de l’œuvre de Barbara, 25 ans après sa disparition. De petites épiphanies en cadeau.

Pour finir ce bref tour d’horizon, Zouzou présente sa « Gelsomina » le 4 avril à 21h. Marie-Joséphine Susini est comédienne-chanteuse et elle adore le cinéma italien de l’âge d’or. S’inspirant librement du chef d’œuvre de Fellini la Stadra, elle propose une vision personnelle et émouvante, pleine de tendresse, d’humour et d’amour, de Gelsomina, de la même façon qu’elle a offert cet été à Avignon un très beau Anna Magnani, sa dernière création auréolée d’un succès média et public bien mérité.

Notons que la première Université Populaire du 13 octobre à 19h, avec J-M Ghitti et J. Martel, est dédiée à la philosophe Simone Weil, grande intellectuelle débarquée à Marseille en septembre 1940.

« Femmes, je vous aime »

Autre déclaration d’amour faite aux femmes, aux jeunes femmes cette fois-ci, est signée du directeur des Théâtres, Dominique Bluzet ! Notamment avec le spectacle de la rentrée, une coproduction avec la Comédie Française : « 7 minutes ». C’est « une pièce sur les femmes ouvrières, qui raconte l’histoire de 11 femmes en colère ». C’est du 28 septembre au 5 octobre à la Friche, « lieu symbolique et emblématique de la lutte des femmes à l’époque où elles étaient cigarières ».

« Un gros focus est fait cette année sur les femmes metteuses en scène comme Joséphine de Meaux, Maëlle Poésy, Salomé Lelouch, Jeanne Lazar, Louise Vignaud, Marion Bierry ou encore Johana Giacardi de la Compagnie Les Estivants avec sa création la saga de Molière (présentée du 28 u 30 septembre à Marseille) ». A l’honneur, également « les femmes comédiennes à l’instar de Mériam Korichi  ou encore Magalie Bonnat. Et pour ceux qui n’ont pu voir la Ferroni l’an passé lors de sa tournée des bars marseillais, ils peuvent retrouver l’intégralité de ses propositions du 6 au 10 décembre aux Bernardines ».

Les femmes chorégraphes et musiciennes ne sont pas laissées pour compte. Plus de cinquante danseurs du Ballet de  l’Opéra de Paris sous la direction d’Aurélie Dupont seront présents pendant 10 jours pour des masterclass et actions de médiation culturelle à Marseille. Une programmation foisonnante sur trois lieux – le Gymnase étant fermé pour travaux- et de nombreux vagabondages à découvrir au fil de la saison.

Le projet HEKO qui tient à cœur au directeur des théâtres s’adresse aux personnes en EHPAD afin qu’elles puissent profiter au sein des établissements de retransmissions des spectacles, une manière d’ouvrir l’accès à la culture et de re-tricoter du lien afin de lutter contre la solitude. Des rencontres entre résidents et artistes sont également au menu du projet « Aller vers ». Un loto poétique et amoureux signé Marie Vauzelle parcourt les EHPAD du pays d’Arles et d’Aix en Provence jusqu’en décembre.

Ne boudons pas notre plaisir et poussons la porte de ces lieux emblématiques de notre ville afin de partir vers de nouvelles aventures théâtrales.