Ligaments du genou : le cauchemar des femmes (et des hommes…)

Footballeurs, rugbymen, skieurs, judokas, tous les sportifs redoutent la déchirure de ces attaches qui tiennent notre genou. Si l'opération est assez simple et rapide, la douleur occasionnée comme la longue rééducation en font un cauchemar pour les nombreuses victimes, notamment les femmes qui présentent une fragilité spécifique. A Marseille on réalise 8 à 10.000 opérations de ces ligaments chaque année et la reprise du ski en 2022 a provoqué une explosion du nombre de cas. Le professeur Matthieu Ollivier, chirurgien orthopédique à l'hôpital Sainte-Marguerite (APHM), explique comment surmonter l'accident. Et, si possible, le prévenir.

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Se « faire les ligaments du genou ou se faire les croisés », comme on dit, est-ce un accident fréquent et de quoi s’agit-il généralement ?

Professeur Matthieu Ollivier : Cet accident peut être considéré comme fréquent dans une population sportive. On a plusieurs ligaments qui stabilisent le genou, principalement 4 pour simplifier. 2 qui sont au milieu du genou qu’on appelle les ligaments croisés, un à l’arrière (ligament postérieur) et un à l’avant du genou (antérieur). Et on a les ligaments sur les côtés du genou qui sont les ligaments collatéraux , médial et latéral. Ils sont assez fragiles. En fait, on a les mêmes depuis des millions d’années. On sait que Lucy, il y a 3,2 millions d’années, avait à peu près les mêmes genoux que nous. La différence c’est que l’espérance de vie de Lucy était autour de 30 ans et qu’elle n’était pas engagée dans des activités à risque type rugby, foot, judo, pour les sports « les plus à risque ».

On sait également qu’il y a une vraie susceptibilité individuelle parce que, à heures de jeu équivalentes, les sportives sont beaucoup plus à risque que les garçons pour des raisons probablement hormonales et posturales, et la façon dont les jambes sont faites entre les garçons et les filles. Donc c’est une pathologie excessivement fréquente, d’autant plus qu’on est sportive et qu’on fait cette activité de façon intensive, potentiellement professionnelle. A Marseille, on pratique cette chirurgie 8 à 10.000 fois par an dans le public et le privé.

A Marseille, une explosion du nombre de blessés

Quelles autres pratiques que les sports collectifs occasionnent ces ruptures de ligaments ? On pense au ski…

Concernant le ski pour les Marseillais, on a en effet une très grosse course vers la montagne de début décembre à fin mars. On a vu cette année une explosion du nombre de cas de rupture des ligaments croisés. Probablement parce que les gens ont eu une sensation de lâcher avec deux ans de ski médiocre (NDLR: en raison de la pandémie de Covid). Ils sont allés volontiers sur les pistes.

Quand on pratique le ski sur une mauvaise neige, une neige verglacée, où l’on se retrouve avec des longues pales au bout des pieds, alors les pieds vont avoir tendance à plus tourner en rotation et créer des mouvements à risque à l’intérieur du genou. En créant des phénomènes de torsion qui dépassent la résistance de ces ligaments qui sont autour d’une force de 200 kilos. Quand on passe une force de 200 kilos, soit à cause de la vitesse, soit à cause d’une torsion, brutale, en appuyant dessus sur une jambe, on peut casser son ligament croisé.

Le footballeur qui rate le ballon peut finir au bloc

Il y a des exemples assez étonnants. On appelle ça le coup de pied dans le vide pour le footballeur, quand il rate le ballon. La puissance qu’il dégage grâce à ses muscles de la cuisse peut suffire à casser le ligament antérieur. De la même façon, on a le retour de schuss du skieur, professionnel pour le coup, donc des mecs qui ont des cuisses bien armées. Sur le relèvement, en tirant sur leurs cuisses pour redresser leur bassin alors qu’ils sont dans une situation où il y a une énorme contrainte et une énorme vitesse, et que se crée une inertie énorme dans leurs jambes, ils peuvent rompre leurs croisés. On a l’exemple d’une tentative de championne olympique française qui s’était rompu les deux croisés à la sortie du paddock, il y a quelques années.

Dans ce cas, la chirurgie est-elle l’unique solution pour restaurer, retrouver la mobilité du genou ?

Deux phénomènes entrent en ligne de compte. Un phénomène aigu, immédiat. Quand on perd son ligament croisé, on peut perdre une grande forme de stabilité de son genou. Il ne répond plus vraiment, il fait des mouvements assez anarchiques. On veut qu’il parte en rotation, il reste droit. Il claque, il saute, c’est ce qu’on appelle une instabilité. Elle peut être très bien contrôlée par la force musculaire des jambes, et parfois on peut surseoir à une intervention en disant : « votre genou est suffisamment stable pour être fonctionnel ».

Ligaments rompus = ménisques + cartilage en souffrance

Le deuxième phénomène, c’est sur le long terme. On sait que perdre les freins de la voiture, ça ne va pas être bon pour les pneus dans chaque virage. Donc, sur le long terme, la perte du ligament croisé risque d’endommager les structures restantes : les ménisques qui sont les stabilisateurs secondaires du genou une fois que les ligaments croisés sont rompus, et le cartilage qui constitue la structure de frottement de notre genou.

En aigu on opère volontiers les gens qui ont soit une grosse demande fonctionnelle, soit qui sont très instables. Car on sait alors que la perte de ce ligament croisé va empêcher le maintien d’une activité type sportif professionnel. On opère également les gens qui ont un genou instable, avec un inconfort tel dans la vie quotidienne, que ça va avoir une répercussion potentiellement professionnelle. En chronique, on essaie d’anticiper les gens qui ont déjà des lésions associées, dès l’accident (ménisque, cartilage), et chez qui l’on sait malheureusement que le genou va se détériorer très vite.

Comment se déroule l’intervention ? Est-ce long et délicat ?

C’est ni jamais long ni délicat. C’est une chirurgie qui n’est jamais « urgente », on a toujours le temps de préparer, d’expliquer et même de préparer le patient. Il est très important de faire une préparation pré-opératoire pour mettre les muscles en condition d’encaisser le choc de la chirurgie. car la chirurgie, c’est un choc. On vient ouvrir, récupérer des tendons pour remplacer les ligaments endommagés. C’est une chirurgie qui dure environ une heure, voire une heure et demie s’il y a d’autres choses à faire que le ligament qu’il faut greffer. C’est une chirurgie très codifiée, très encadrée, on en fait beaucoup et on n’a pas de mal à se former à cette chirurgie. Tout le monde sait faire convenablement une chirurgie des ligaments croisés.

La greffe pour un genou comme avant

Concrètement, que faites-vous en opérant ? Vous allez chercher des ligaments ailleurs ?

Différents ligaments peuvent être prélevés, comme ceux qu’on a l’intérieur de la cuisse, les ischio-jambiers, les plus utilisés en France. Il y a ceux qu’on a autour de l’appareil extenseur, autour de la rotule, le ligament patellaire entre la rotule et le tibia, le tendon quadricipital entre la rotule et le muscle quadriceps. On peut également prélever le fascia lata, la partie externe de la cuisse.

On va prélever des petites portions pour permettre de recréer une structure qui va être très proche fonctionnellement vu la disposition des fibres de collagène et de la capacité à encaisser les contraintes qu’encaissait jusque-là le ligament croisé antérieur. Au final on vient le remplacer en utilisant le moignon, la partie du ligament qui a été rompue, comme une chaussette pour fixer cette nouvelle greffe dans le genou et permettre d’être exactement à l’identique, parfaitement anatomique. Comme le genou aurait dû être juste avant l’accident.

« Je n’arrive pas à plier mon genou à fond ! »

Le patient va-t-il retrouver une mobilité satisfaisante, voire presque parfaite ?

La mobilité est un vrai problème. C’est une angoisse pour le patient, et pour nous chirurgiens car quand on voit des gens 2 ou 3 mois après la chirurgie avec des séquelles fonctionnelles type « je n’arrive pas à plier mon genou à fond », « je n’arrive pas à tendre à fond », mon inquiétude c’est surtout l’extension complète. Car c’est très dur de marcher avec le genou semi fléchi et même avec 5 à 6 degrés de flexion en moins. Les gens marchent sur la pointe des pieds pour essayer de compenser le fait que la jambe est légèrement pliée. Cela donne des crampes et ce n’est vraiment pas agréable.

Il y a un gros travail de kinésithérapie à faire mais aussi de préparation du patient à la phase post-opératoire. On leur demande de faire des mouvements, de mobiliser très vite leur rotule, de faire fonctionner leurs cuisses. Car en fait ces problèmes de flexion-extension viennent de complications post-opératoires qu’on appelle l’inhibition motrice arthrogénique. A partir du moment où on rentre dans une articulation, les muscles se sidèrent. Ils ne veulent plus fonctionner! Et plus vite on récupère la fonction musculaire, plus vite la jambe peut étendre et fléchir à fond. Pour nous, c’est vraiment une des clés de la réussite. On voit les gens très précocement et la seule chose que je regarde de façon attentive, c’est comment la jambe tend, plie, car on sait que ça peut être très compliqué à récupérer, et très long.

Le ligament détérioré est sacrifié

Quelles solutions en cas de ligament trop détérioré ?

Il y a des stratégies de réparation qui se développent et sont encore au stade d’évaluation et que l’on fait à l’APHM. Cela commence à arriver dans la pratique quotidienne des chirurgiens. Ce sont des indications extrêmement rares de venir recoudre, resuturer le ligament croisé dans sa zone d’origine. Le plus souvent, on le sacrifie. On remplace. On enlève la zone initialement attachée en haut, au fémur, on garde la partie qui était attachée en bas, au tibia, pour faire cette « chaussette ». Parce qu’on sait qu’à la base du ligament croisé, il y a toutes les fibres qui véhiculent la sensation de la position du genou. Donc on essaie de ne pas les sacrifier. On en enlève un petit peu pour laisser passer notre greffe à travers.

Cuisses et fesses musclées : ligaments protégés !

Pour éviter de rompre ces ligaments, quels conseils donnez-vous à vos futurs patients – bon espérons qu’ils ne le deviennent pas ! -, en tout cas au quidam qui pratique un peu de sport ?

Il y a un phénomène qu’on appelle les « week-ends warriors » dans le service. Ce sont des gens qui se donnent à fond le week-end mais qui n’ont pas la caisse, ni l’entraînement, ni l’expérience. Il y a l’ancien sportif de très haut niveau qui a tout arrêté pour des raisons professionnelles pendant 15 ans et qui se dit « ça y est, je peux retourner sur le terrain ! » Lui, il est à risque. Le message est que les ligaments croisés sont les garants d’une stabilité du genou, une stabilité passive. La stabilité active vient des muscles. Donc plus on a un renforcement musculaire adéquat, plus on a une balance musculaire qui part de la hanche, qui part de la fesse, qui descend dans la cuisse et jusque dans la cheville. La stabilité active de notre jambe par des muscles peut remplacer et éviter la sollicitation du ligament croisé.

Chaque fois que vous faites du ski, vous êtes en danger

Après, c’est souvent la faute à pas de chance. Sur l’accident de ski par exemple, personne n’est skieur professionnel – ou très peu de gens. Donc chaque fois que vous allez sur les pistes de ski, le risque existe. Si vous avez un genou déjà fragilisé, endommagé, avec des antécédents d’entorse, il existe aujourd’hui des systèmes qui se fixent dans la chaussure de ski et permettent de protéger le genou – ça s’appelle un ski mojo. Cela se loue, c’est très efficace.

Je refais skier mes patients qui ont une rupture du croisé avec ça la première saison. Cela permet de canaliser les efforts à l’extérieur de la jambe dans une espèce d’armature, d’exosquelette. L’autre solution est de ne pas tenter quelque chose qu’on ne sent pas, et de ne pas se sentir des ailes devant la bosse au ski ! On sait très bien qu’on n’a plus 15 ans. Cette petite folie qui reste dans notre tête, il faut savoir la canaliser et faire des choses qu’on est capable de contrôler. Si vous perdez le contrôle de votre genou, votre ligament croisé va suivre.

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